La 4L orange de Jean-Claude descend sur le chemin herbeux et détrempé. Fantôme et moi avons eu le temps de contempler un groupe de huit chevreuils près du pommier avant que le bruit de la voiture les effraie. Les petites fesses blanches sautillantes disparaissent dans les bois. Le soleil revient au-dessus du plateau. Un vent frais pourchasse des bancs de nuages. Victoire est repartie à l’internat sans ouvrir la deuxième fenêtre de son calendrier de l’Avent. Louis avait ouvert la première case le 30 novembre. L’an dernier, en deux jours, il avait mangé tous les chocolats!
Mardi, je suis heureuse de ne pas travailler pour pouvoir suivre depuis le canapé de la mezzanine la cérémonie pour l’entrée au Panthéon de Joséphine Baker. Comme j’aurais aimé être rue Soufflot pour vivre cet évènement en direct! La cérémonie est magnifique et met en lumière tous les visages d’une femme absolument remarquable. Il est triste de penser qu’elle a accédé au succès à Paris dans des numéros de danse où on l’exhibait nue. Comme le faisait observer un historien, si elle consentait à se dénuder sur scène, Joséphine Baker parvenait à casser le caractère érotique de sa nudité par sa nature de clown roulant des yeux et faisant des grimaces. Mariée à l’âge de 13 ans, Joséphine n’a jamais pu mettre des enfants au monde. Après une grossesse à l’issue de laquelle Joséphine Baker accouche d’un enfant mort-né, elle contracte une grave infection post-partum et doit subir une hystérectomie à Casablanca en 1941. Cette infection a été provoquée par une « grave maladie contractée en service commandé« , écrit Le Figaro dans son édition du 15 novembre, « elle sera la cause de l’infertilité de l’artiste« . Une douloureuse période durant laquelle elle enchaîne péritonites et septicémies jusqu’à la fin de 1942. En dépit de ses problèmes de santé, elle continue avec courage de servir la Résistance française et les visiteurs qui viennent à son chevet son souvent des agents de renseignements.
Avec son mari, le chef d’orchestre, JoBouillon, elle va fonder une magnifique famille Arc-en-Ciel adoptant douze enfants venant des quatre coins de la planète. Elle choisit le château des Milandes, dans le Périgord noir, pour élever ses enfants. Si elle est aimante, c’est aussi une maman qui peut se montrer sévère. C’est ainsi que l’un des enfants ayant commis un petit larcin chez un commerçant elle l’a fait défiler dans les rues du villages avec un carton autour du cou sur lequel il était écrit: « Je suis un voleur ».
A l’occasion de la cérémonie, j’apprends que son engagement dans la reconnaissance des droits civiques pour la communauté afro-américaine est lié à un épisode très humiliant pour l’artiste déjà internationalement reconnu. A New-York, dans un bar très sélect, on refuse de lui servir un verre. Grace Kelly, future princesse de Monaco, assiste à la scène. Les deux femmes seront proches toute leur vie et quand Jospéhine et son mari verront leur propriété du Périgord saisie, c’est l’ancienne actrice d’Hitchock qui mettre à sa disposition un appartement et veillera sur ses enfants quand l’artiste mourra brutalement emportée par un AVC. On raconte que Grace de Monaco se serait rendue au chevet de Joséphine Baker alors que l’artiste est déjà dans le coma. Quelques années plus tard, c’est également un AVC qui provoquera l’accident de la route alors que Grace de Monaco conduit sa plus jeune fille prendre un avion pour Paris à l’aéroport de Nice.
Quelle femme volontaire, courageuse, brillante, généreuse et quelle élégance! Toutes ces qualités m’ont fait penser à notre grand-mère maternelle qui, elle aussi, était une authentique artiste et a eu ce bonheur de vivre au contact de musiciens, de chanteurs, de danseurs et de peintres tout au long de sa carrière à l’opéra Garnier, sa seconde maison. Je pense à elle en ce premier jour de décembre car c’est elle qui nous offrait à ma soeur et à moi nos calendriers de l’Avent toujours magnifiques. Quelle joie de découvrir de jolies illustrations derrière les fenêtres! Notre grand-mère avait ce don d’apporter des touches de magie et d’humour et, aussi, de toujours nous offrir le cadeau qui allait nous enchanter. J’ai toujours la maison de poupée qu’elle m’avait offerte pour mes 10 ans. Electrifiée, les lampes s’éclairaient et un feu brillait dans la cheminée. J’ai découvert que les calendriers de l’Avent étaient nés en Allemagne en 1903. La mère de leur créateur, un éditeur bavarois, offrait à son fils une meringue tous les jours de décembre avant Noël pour le faire patienter. Cette année, c’est notre maman qui offrait des calendriers de l’Avent à ses petits-enfants.
Seules les guerres et les épreuves peuvent façonner des femmes de cette trempe! On ne se révèle à soi-même que dans l’adversité. Il n’y a pas si longtemps j’écrivais à l’un de mes amis que je ne savais pas du tout comment je me serais comportée pendant l’Occupation et si, comme tous les membres de notre famille, j’aurais été capable de me mettre en danger pour résister et défendre mes idéaux. C’est cette réflexion qui m’a valu à l’épreuve écrite de philosophie en terminale de bien réussir. On ne peut jamais savoir à l’avance comment on se comportera. J’aimerais me dire que j’aurais le même courage que les membres de ma famille aujourd’hui tous morts mais je n’en sais absolument rien!
Dimanche, de très bonne heure, avec Stéphane, nous visitions une exposition intitulée « Migrer au féminin, partir, rester, se souvenir » et organisée par l’association « Mémoires plurielles ». Cette association recueille les témoignages de femmes qui ont été obligés de quitter leur pays quand elles étaient enfants avec leurs parents ou quand elles étaient déjà adultes. Onze portraits de femmes pour témoigner de la dimension historique et de la diversité du fait migratoire dans la région Centre-Val de Loire. Aujourd’hui, la plupart des femmes arrivent dans le cadre du regroupement familial mais elles sont aussi de plus en plus nombreuses à émigrer seuls ou avec d’autres membres de leur famille. Un film retraçait le parcours d’une dame née en Espagne au début de la guerre civile et dont les parents étaient venus se réfugier en France et celui d’une femme née au Laos et dont les parents avaient fui leur pays par le Mékong pour arriver en Thaïlande. Pour cette femme et les siens, une première étape en Espagne avant de s’installer en France mais le papa souhaitait émigrer aux Etats-Unis.
Il est essentiel de rappeler que l’Europe a connu de grandes vagues migratoires liées à des régimes dictatoriaux ou à l’absence de travail. Les Espagnols, les Portugais et les Grecs ont fui des régimes autoritaires. Les Polonais et les Italiens n’avaient plus d’avenir dans leur pays. J’ai été bouleversée par le témoignage de cette dame d’origine espagnole. Elle racontait comment, très vite, elle avait appris le français et avait même sauté une classe tant elle était douée à l’école. L’instituteur avait remis aux élèves le dossier d’inscription pour le collège un lundi. A l’époque, le collège n’était pas gratuit et une bourse ne suffisait pas à couvrir tous les frais. Elle était l’ainée d’une fratrie de six enfants. Le jeudi soir, son papa n’avait toujours pas rempli le dossier. Après le diner, il a expliqué à sa filles, des larmes dans les yeux, qu’il ne pouvait pas lui permettre d’aller au collège. Elle devait travailler le plus vite possible. Toutes ces années après, en faisant le récit de ce moment, elle était toujours aussi bouleversée d’avoir ressenti tant de peine chez son père. Elle est devenue sténo-dactylo, est entrée dans une mairie où elle a très bien réussi tout en s’engageant en politique et en luttant toujours pour la défense des droits des étrangers en France.
Cette année, j’ai installé la crèche à côté de la cheminée et j’ai suspendu la couronne de l’Avent à un clou au-dessus de l’âtre. Il y a très peu de chance pour que notre cheminée fonctionne un jour à nouveau. Je le regrette tant un feu est agréable en hiver. Je compenserai l’absence de feu par la lumière des bougies. Si nous avions pu faire arranger la cheminée, j’aurais aimé instituer avec les enfants quand ils sont tous là une soirée veillée sans portable mais avec des jeux et des histoires.
Le week-end prochain, nous serons seuls avec Louis. Victoire et son Louis rejoignent Céleste à Paris chez ma soeur et ils vont faire la connaissance de Dénis le copain de Louise. Louise, Dénis et ses parents passent une semaine à Paris et Louise avait à coeur de présenter ses cousines à Dénis. Notre Louis ne peut pas les accompagner car il va valider la seconde partie de son BSR samedi matin.
Le ciel est désormais tout bleu et le vent fait zwinger les branches du sapin. Je ne pourrai pas voir Muguette avant samedi. Elle a désormais bien chaud avec le gaz et Pépette ne tremble plus. Je vais aller lui chercher des jacinthes comme je l’avais déjà fait l’année dernière. Elle les avait gardées très longtemps. Une patiente va arriver. Fantôme l’adore! Elle est souvent habillée en rouge. Elle avait très gentiment rapportée de la montagne une petite bouteille de chartreuse verte à notre maman. Avant de clore ma chronique depuis la deuxième fenêtre du calendrier de l’Avent, je partage avec vous une lecture qui m’enchante: la biographie d’Edmonde Charles-Roux « Edmonde » par Dominique de Saint Pern. C’est remarquablement bien écrit et on revisite tout un pan de notre histoire contemporaine.
Enfin, j’ai entendu dire le plus grand bien d’un ouvrage intitulé « les remèdes musicaux » dans lequel trois passionnés de musique confient leurs remèdes pour soigner différents maux de l’âme. Voici la présentation qu’en fait l’éditeur Buchet-Chastel : » Michka Assayas, Benoît Duteurtre et Alexandre Fillon vous prescrivent des ordonnances musicales où le rock, le classique, la soul, le blues ou encore la chanson française se révèlent les plus stimulants des traitements. À la façon d’un dictionnaire, cette musicothérapie brillante et amusante – qui permet de revisiter des classiques et de faire d’incroyables découvertes – raconte aussi comment de grands compositeurs et interprètes étaient convaincus de l’effet de leur mélodie, et offre des clés étonnantes pour surmonter les tourments de toute sorte, et se sentir infiniment mieux.
Quelle que soit l’épreuve que vous traversez, il existe une musique qui vaut tous les remontants ! »
Passez une agréable fin de semaine!
Anne-Lorraine Guillou-Brunner