Chronique à l’approche de la rentrée

Passé le 15 août, on sent bien que quelque chose change dans la perception que nous avons des grandes vacances. C’est majoré quand on a des enfants scolarisés. Avant ou après les enfants, la notion de « grandes vacances » n’est plus la même. C’est merveilleux de partir en juin ou en septembre. J’ai des souvenirs magiques de Porquerolles à la fin de l’été. Plus personne sur les plages abandonnées aux coquillages et aux crustacés comme le chantait si bien Brigitte Bardot. Passé le 15 août, les randonnées en montagne ne sont plus vraiment conseillées. Il est très effrayant d’être surpris par un orage en montagne. La foudre frappe le matériel des alpinistes. Depuis l’enfance, l’Assomption est pour moi marquée par ces orages magistraux qui déchainaient le ciel gardois. Quand tout allait bien, la veille, un magnifique feu d’artifice était tiré depuis les îles du Rhône. Cette année encore, la sécheresse a conduit les artificiers à la plus grande prudence. En Balagne, pas de feu pour le 14 juillet. Depuis la terrasse de la maison offrant une vue imprenable sur la baie de Calvi, le feu d’artifice est une splendeur!

Passé le 15 août, les jours sont plus courts et, normalement, les nuits plus fraiches. On rentre les confitures. On sort les petites laines. Notre mirabellier a manqué d’eau. Les rares fruits ont été mangés par les oiseaux. Les animaux souffrent terriblement de la sécheresse. La chasse devrait être repoussée de manière à leur laisser le temps de reprendre des forces. Il sera si simple d’abattre les malheureux chevreuils qui vivent sur le plateau. La nuit, ils se couchent au pied d’un pylone sur un reste d’herbe encore verte.

Passé le 15 août, les peaux exposées au soleil de plus en plus brulant sont sèches et les cheveux dorés. Il faut penser à s’enduire d’une crème bien grasse pour ne pas avoir des jambes de vieux lézards! Les pieds, souvent nus ou habitués à vivre à l’air libre, ont goûté à l’indépendance. Les enfermer est une véritable contrainte! Bientôt, il ne sera plus nécessaire de mettre du vernis sur les ongles. Je dois à l’un de mes amis préhistoriques pratiquant un humour à la Guitry de prendre soin de la plante de mes pieds. Il ne le sait pas mais si mes pieds sont à peu près doux, c’est grâce à une remarque qu’il avait faite quand nous avions respectivement 24 et 23 ans: « les femmes dont la peau des pieds sont sèches coûtent cher à leurs maris en collants ». Cela m’avait fait délirer qu’on pense que les femmes en étaient encore à dépendre financièrement de leurs compagnons ou qu’on ait envie, sans le savoir, de se rendre indispensable grâce à l’agent qu’on va gagner qui, lui-même, servira de prétexte pour déserter sa famille. Dans un registre différent, c’est fascinant de constater comme dans notre société on a durablement stigmatisé les femmes ménopausées quand les hommes sensiblement au même âge traversent l’andropause liée à une baisse de la testostérone dans le corps. Mais, on n’en parle pas…On ne dit pas non plus qu’un homme est pénible car il est en pleine andropause! On ne dit pas non plus que la ménopause pour une femme n’est pas toujours forcément ce désastre de sa féminité mais une nouvelle liberté! Plus de contraception! Plus de confiance en soi! Des enfants ayant quitté le nid ou déjà grands!

Le ventre des femmes (en réalité leur utérus) a toujours été la propriété des hommes, de la Couronne ou de l’Etat. Dans les pays gouvernés par l’Eglise, la sexualité n’avait pas d’autre finalité que la procréation. Durablement, dans les milieux bourgeois, les femmes ayant mis au monde le nombre d’enfants requis étaient plutôt satisfaites que les maris aillent trouver ailleurs le moyen de vivre leur sexualité. Porter et mettre un enfant au monde ont toujours été deux actes très mortels pour les femmes. Longtemps, le mari et père sacrifiait sa femme et conservait le bébé…Plus tard, il se remariait pour qu’une femme se substitue à la mère de ses enfants. On connait ces mots de Marie Leczinska, fille du roi de Pologne et femme de Louis XV qui a donné à la Couronne dix enfants, « toujours coucher, toujours grosse, toujours accoucher ». Claude de France et Anne de Bretagne sont mortes d’épuisement. Claude de France avait donné sept enfants en dix ans à François 1er qui lui a transmis la syphilis! Anne de Bretagne ne parvenait pas à mettre au monde un héritier pour la couronne. Elle perdait les enfants qu’elle portait ou ils naissaient non viables.

Longtemps, la pression subie par les femmes pour mettre des fils au monde a été épouvantable! La société indienne a fait disparaitre dans le ventre de leur mère 63 millions de petites filles! En Asie, en 2017, 150 millions de filles manquaient à l’appel! L’une de mes patientes légèrement plus jeune que moi pense que son manque de confiance et à sa quête incessante de légitimité seraient liés à ce « Ah! Merde alors! » prononcé par sa mère à sa naissance. Les beaux-parents espéraient que leur belle-fille leur donnerait un fils car le leur était le dernier à porter le nom de famille! Il est possible que cette pression ait été ressentie par la future maman désolée de ne pas avoir pu répondre aux attentes de sa belle-famille. L’intonation de la voix marque un bébé de manière indélébile. Dans son livre passionnant sorti en 2018, Sorcières, La puissance invaincue des femmes, devenu culte, Mona Chollet met en lumière cette pression insoutenable et cette peur de la sexualité des femmes qui ne serait plus maitrisée par les hommes. Une femme libre devient si facilement une sorcière! Je pense que c’est sans doute ce qui aurait pu me guetter si j’étais née en pleine Inquisition! Je pense d’ailleurs que j’aurais pu me reconnaitre dans l’approche que les Cathares avaient de la religion épurée de toutes ses scories purement humaines.

Ce matin, j’avais pour projet de vous raconter mon marathon culturel parisien avec ma soeur et je me suis considérablement éloignée de cette évasion capitale! Je suis revenue samedi par un train bondé. Dans ma valise, beaucoup de livres! A la Procure, j’avais acheté Comment faire l’amour avec un fantôme de Philippe Charlier, à la Fnac, La famille de Suzanne Privat, dans la librairie du Bon Marché deux des ouvrages mis en lumière dans les vitrines: Un jour ce sera vide de Hugo Lindenberg et L’île des âmes de Piergorgio Pulixi et enfin dans celle de la Fondation Cartier La chute du ciel. Paroles d’un chaman Yanomami de Davi Kopenawa et Bruce Albert. Si je m’étais laissée aller encore plus à ma boulimie culturelle, j’aurais ajouté Picasso sorcier co-écrit par par l’une de ses petites-filles Diana Widmaier Ruiz-Picasso et Philippe Charlier, Un miracle de Victoria Mas, Les matriarches de Nadia Ferroukhi et L’allégresse de la femme solitaire d’Irène Frain.

Maintenant que je suis installée dans ma cinquième décade, je sais que c’est l’anthropologie que j’aurais aimé enseigner. D’ailleurs, dans ma thèse, c’est ce que j’ai eu le plus de plaisir à étudier. J’aimais le terrain: rencontrer des médecins, des chercheurs, des donneurs, des receveurs. La dimension anthropologique du don d’un élément ou d’un produit du corps humain est passionnante. David Le Breton l’a amplement travaillée. La lecture des travaux de Sainte Hildegarde de Bingen ayant vécu au XIIème siècle montre combien l’approche médicale englobait toujours le corps ET l’esprit. Cette vision était celle d’Hippocrate et est toujours en cours en Asie. Depuis quelques années, on semble se rappeler en Occident qu’un patient n’est pas seulement un ensemble d’organes, de muscles, de nerfs, d’os, d’hormones, de tissus et de cellules mais aussi un esprit. Je me rappelle une anecdote du psychiatre/psychanalyste que je voyais à Paris. Le docteur F qui travaillait aussi à l’hôpital me racontait avoir reçu un patient victime d’une chute. On ne s’était focalisé que sur une seule et même partie de son corps quand il présentait des lésions multiples. Autrefois, nos médecins savaient poser un diagnostic précis par la seule observation du corps du patient. Les machines de plus en plus sophistiquées ont fait oublier l’étude du corps qui parle si bien quand on sait l’écouter du bout des doigts. Je l’ai vécu avec un ORL, un homme aussi suffisant que froid. Le sachant dans toute son horreur!

Redonnons à nos soignants le temps dont ils ont besoin pour procéder à de vraies lectures du corps. Redonnons à nos médecins hospitaliers les moyens de travailler dans des conditions humaines. Arrêtons de traiter comme des esclaves les étudiants en médecine. Libérons les médecins libéraux de la tonne de paperasse administrative si chronophage. La maltraitance rend maltraitant. Le manque de temps et de moyens déshumanise les services. Je me suis retrouvée aux urgences perfusée et étendue sur un lit rangé dans un couloir avec des voisins âgés, perdus, ensanglantés. Pendant plus de quatre heures, j’ai vu des femmes et des hommes aller et venir dans ce couloir et tout mettre en oeuvre pour prendre en charge des patients. Une vieille dame avait essayé de se défenestrer pour la seconde fois. Elle hurlait qu’elle voulait mourir. Quand je suis ressortie chancelante en raison de mes vertiges persistants, j’étais encore plus mal qu’avant ce passage aux urgences. Je me suis demandée comment notre fille ainée allait supporter tout ça pendant ses années de formation au métier d’infirmière.

Le temps file. Le soleil est revenu. Si, hier, Paris pouvait ressembler à Bombay au moment de la mousson, ici, il n’en est rien. Je me réjouis que la pluie tombe doucement laissant à la terre le temps de se ramollir pour l’accueillir. Notre ainée est chez sa grand-mère dans le Gard, dans cette maison de famille qui a été sa maison de sa naissance à ses deux ans et fut aussi celle de sa soeur jusqu’à ses cinq mois. Victoire, Louis et leurs amis pédalent le long de la Loire en direction de Briare. Voici que j’écrivais hier: « La petite troupe a quitté le canal d’Orléans pour suivre la Loire dont le niveau est historiquement bas. Cela me fait un drôle d’effet de voir nos vieux vélos conçus pour la Nouvelle-Zélande et les sacoches vivre de nouvelles aventures sans nous. Mais je suis heureuse de voir nos enfants marcher sur nos pas et opter pour des vacances sportives au plus près de la nature. Nos trois tentes se promènent aussi dans la nature. La jaune est repliée et rentrera bientôt au bercail. La blanche et la verte prennent l’air ».

Grâce à un groupe Whatsapp, nous pouvons suivre le quatuor dans ses aventures. Le premier jour et sachant que nous étions les seuls parents sur site, voici ce qui était arrivé: « Nous finissons de déjeuner quand Victoire nous appelle depuis leur premier camping. Ils n’ont pas le sac contenant les arceaux. Ce sac est toujours roulé avec la tente. Le sac est dans le garage et un arceau est abîmé. Notre fils a omis de nous dire qu’un copain l’avait cassé…Stéphane fulmine et entreprend une réparation avec du scotch de plombier. La terre est dure. Un maillet s’impose. Nous retrouvons le quatuor à 45 minutes de route. Steph les aide à monter la tente. Le camping est très sympa: une ferme, un étang, des chevaux et une roulotte. Même pas un petit verre à boire! Nous repartons. Demain, il faudra que nos cyclistes trouvent un arceau de rechange. Parents un jour, parents toujours! »

J’avais été un peu triste de ne pas assister au départ de la bande. Il faut dire que Stéphane et moi (surtout Stéphane) nous nous étions investis dans ce projet. Stéphane avait aidé les jeunes à trouver un itinéraire et des points de chute. Il avait vérifié les vélos, changer un pédalier. J’avais lavé les sacoches qui n’avaient pas pris l’air depuis plus de 20 ans! Le jour du départ, j’avais ajouté une éponge, un torchon et du produit vaisselle. J’avais aussi acheté un kit premiers secours et donné à Victoire de quoi parer une allergie en cas de piqûre d’insecte. Même si nous avons fait une heure trente de voiture, j’étais heureuse de voir les jeunes dans leur premier camping à la ferme et de découvrir des villages que je ne connaissais pas.

Louis, notre fils, et Mala sont arrivés à bon port dans l’Ain. Ils devaient parcourir 316 kilomètres en cinq jours mais l’arrivée des orages et le fait que la chaine du vélo de Mala se soit cassée ont fait sauter une journée. La maman de Mala faisait la voiture balai avec les deux chiens. Habituée au scoutisme, Hélène a mené cette entreprise avec joie et facilité. Elle avait prévu des campings au bord de lacs et des activités en plus du vélo: accrobranche, canöé et rafting. Après une très grosse journée, Hélène a choisi une nuit en gite.

La tente jaune prise par Louis et Mala retrouvera la maison ce soir. La tente verte et la tante blanche se promènent le long de la Loire. La tente cinq places est en Haute-Corse. Nous ne l’avons utilisée que deux fois. La première, par une nuit très froide, dans le jardin, pour que Stéph teste son sac de couchage avant le Baïkal et la seconde fois, dans un camping, à coté de Corte. Une nuit terrible avec Fantôme qui se levait dés qu’une voiture arrivait, battait de la queue dans la poussière et notre tapis troué qui se dégonflait! Je suis ravie que nous ayons donné à nos enfants l’envie de passer des vacances sur un mode sportif, simple et sain au plus près de la nature. Je ne me sens jamais aussi vivante que sous une tente après une grande journée de marche ou de vélo! Dans ces moments-là, tout est merveilleux: un bain dans une rivière, une douche chaude, une soupe en sachet, des pâtes au beurre, un tee-shirt propre! Le confort nous anesthésie, nous coupe de notre instinct.

La prochaine fois, je vous raconterai ce Paris en août que j’aime tant et aussi Salli Gabori, Giacometti, Chaumet, Elsa Schiaparelli, Delacroix, la fondation EDF, la galerie Roger-Viollet, le musée Picasso et le porteur d’histoire au théâtre des Béliers.

Anne-Lorraine Guillou-Brunner

6 commentaires sur “Chronique à l’approche de la rentrée

  1. Une longue et jolie chronique qui traite de vastes sujets…
    Sais tu que la fille d’une de mes amies à été foudroyée en montagne il y a 2 ans ? C’est une miraculée….
    Bientôt plus de vernis rouge mais les jolis sabots jaunes! Lorsque j’étais enfant je pensais que les personnes aux pieds rugueux étaient atrocement vieilles et je me bats actuellement avec mes talons affreusement caleux…
    Le camping fait partie de mes plus beaux souvenirs d’enfance avec mes parents…ma tante…mon oncle…mes cousines… Hélas, Guillaume exige un confort de base ( qui ont pour nom WC douche et wifi…) Et mon état de santé ne me permet pas d’envisager ça seule….
    Belle journée ♥️

    1. Chère Alex,
      Avant de faire la connaissance de Stéphane, je ne savais pas que je pourrais un jour aimer la vie sous la tente.J’avais des souvenirs horribles du scoutisme! Finalement, je suis reconnaissante à cet ami cher de faire que je me soucie de la peau de mes pieds!!! Tu renoueras avec un mode de vacances plus « nature ». Guillaume a-t-il au moins essayé? Nos cyclistes arrivent en fin de journée. Comment te sens-tu? Je t’embrasse

  2. Merci Anne Lorraine pour cette lecture indispensable le jour de notre retour sur Noisy!
    Comme je partage cette soif de nature et ce besoin sportif , je ne peux qu’ encourager tes enfants dans leur belle aventure suivant la trace de leurs parents .
    Merci également pour cette liste non exhaustive de lectures
    J espère que tu vas mieux et que nous nous verrons très vite !
    Sandrine

    1. Chère Sandrine,

      Un grand merci pour ton message. Je suis heureuse que la chronique t’ait plu. Victoire et son copain arrivent en fin d’après-midi. Impatiente de les entendre nous faire le récit de leur boucle. Louis et Mala, eux, du haut de leurs 14 et 15 ans, ont trouvé le vélo…ennuyeux et les campings choisis par Hélène pas assez festifs!
      On se voit quand vous en avez le temps. Je vous embrasse Marc et toi

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