Chronique à l’entrée de la quatrième semaine de confinement

A quatre heures, j’ai été réveillée assez brutalement. Le train venait de freiner. Le contrôleur toujours sanglé dans son éternel uniforme impeccable est venu tambouriner à la porte et m’intimer l’ordre de descendre. J’ai essayé de l’attendrir mais rien n’y a fait. J’ai rassemblé mes affaires et ai quitté le wagon. De toute manière, en quelques minutes, ma tête s’était remplie de mots que je devais maintenant coucher non pas sur du papier mais sur l’écran de ma vieille pomme. J’aurais aimé pouvoir me réfugier dans le ventre chaud d’un café mais tout était fermé. Hier soir, alors que nous avions passé une agréable après-midi, un grain de sable est venu enrayer mes mécanismes. Je me suis couchée fâchée. Pourtant, la journée avait été belle même si ce dimanche des Rameaux était assez éloigné de ceux auxquels j’étais habituée. Le matin, en me levant, plus tard qu’à l’accoutumée, puisque le jour avait grignoté complètement la nuit et que les oiseaux ne chantaient plus leur louange au soleil naissant, j’avais écrit ce post témoignant de ce que j’avais toujours ressenti en assistant à la très longue messe des Rameaux.

Post J+20

Dimanche des Rameaux. Quand nous étions à Séville, avec les enfants, et que, tous les soirs, les habitants entraient dans les églises pour y prier, je me disais que sur cette terre encore irriguée par une foi puissante, la Semaine Sainte devait être d’une ferveur intense comme en Bolivie où nous l’avions vécue voici vingt ans. Aujourd’hui, toutes les portes des églises resteront closes. Les évêques béniront seuls les rameaux de buis ou d’olivier que les chrétiens glissent ensuite derrière une croix. Aussi loin que je puisse faire remonter mes souvenirs, j’ai presque toujours assisté à la grande et longue messe des Rameaux. J’ai entendu écouté la lecture de l’Evangile. J’ai imaginé l’entrée de Jésus monté sur une ânesse dans Jérusalem. J’ai vu les gens dans la foule étendre leurs manteaux sur le chemin et d’autres déposer y déposer des branches coupées. J’ai souffert en pensant à ce pauvre Judas qui, pas un seul instant, n’avait pu penser que Jésus serait crucifié et s’est donné la mort. J’ai pensé à ce dernier repas échangé avec ses disciples, au moment où Jésus, en signe d’humilité, lave les pieds de ses amis qui, plus tard, seront emportés par le sommeil quand ils devaient veiller, à Pierre qui, avant que le coq chante, par peur, n’a pas eu le courage d’assumer son amitié pour Jésus condamné à mort, à l’hésitation de Pilate dont la femme a fait un songe et lui dit de laisser ce juste et l’abandonne à l’excitation de la foule, à la marche de Jésus jusqu’au mont Golgotha, sa crucifixion, sa souffrance et sa mise au tombeau. Depuis que je suis enfant, l’émotion me submerge quand, à bout de force, ayant, un instant perdu le sens de toute cette souffrance, il s’adresse à son père : « Mon Dieu, mon Dieu, pourquoi m’as-tu abandonné ? ». Ce n’est qu’ensuite que Dieu prouve à tous que Jésus était son fils et que la terre se met à trembler. Je crois en Jésus. Je crois en son message d’amour mais je refuse l’idée culpabilisante pour des siècles et des siècles qu’il soit mort pour nous laver du péché originel : la désobéissance à Dieu tout puissant par la volonté d’Eve et d’Adam de goûter à une pomme de l’arbre de la connaissance.

Si Jésus revenait, sa place serait à Lesbos au milieu des migrants parqués comme des bêtes, en Syrie, parmi les civils, sur un bout de trottoir dans une grande ville avec des sans-abris, une belle de nuit frappant le pavé avec ses talons hauts, dans un service d’oncologie pédiatrique, dans une unité de soins palliatifs et, maintenant, avec les soignants engagés dans la lutte contre le Covid-19. Il s’exprimerait par la voix du Professeur Raoult car Jésus fut un révolutionnaire, un homme libre qui nageait à contre-courant. Jésus est là où sont les plus fragiles, les plus démunis. Je ne suis pas une évangélisatrice et si j’ai animé pendant des années l’éveil à la foi à destination d’enfants ayant entre trois et sept ans, c’était parce que faire vivre Jésus, relayer son message d’amour et de partager, donner envie de marcher dans ses pas, tout cela me semblait essentiel. J’essaie à mon tout petit niveau de donner l’exemple à nos trois enfants. Je ne crois qu’en l’exemple. »

Nous avions été marcher avec Fantôme et Stéphane. Je place naturellement Fantôme avant Stéphane car c’est notre Australien qui partage absolument toutes mes promenades à vélo ou à pied, par temps breton ou provençal. Comme tant de Français je lis beaucoup de témoignages de personnes confinées. La plupart expriment leur joie d’être en famille, de ressortir les jeux de société, de partager de vrais temps d’écoute autour de la table des repas. Ce sont des personnes qui ne travaillent plus ou sont en télé-travail. Ce sont des personnes qui, souvent, ont des modes de vie qui les éloignent des leurs, des personnes qui partent tôt ou rentrent tard ou alors sont souvent en déplacement en province ou à l’étranger. Presque tous les étudiants ont rejoint leur famille. Ce n’est pas toujours facile de se couler à nouveau dans une vie sous le toit parental quand on a commencé à goûter à sa liberté, qu’on n’a plus à rendre des comptes, qu’on organise son temps à sa guise. Nous ne sommes pas à l’image de ces familles. Nos enfants sont encore à la maison et, depuis leur naissance, j’ai fait le choix de leur consacrer beaucoup de temps, un temps qui s’est rééquilibré avec l’ouverture du cabinet. Je suis celle qui reste, la gardienne du feu. Je suis celle qui se demande quand elle pourra prendre la clé des champs. C’est Stéphane qui a toujours mis de la distance entre nous et lui. Je ne ressens donc aucun manque des miens. Ce que je ressens, c’est qu’on peut être confinés et mener des existences parallèles.

En trois semaines, en famille, nous n’avons joué à aucun jeu de société mais les enfants ont joué au bac. Il faut dire que je ne suis pas une adepte des jeux ou alors que nous n’aimons pas jouer aux mêmes jeux de société. Stéphane avait offert un Risk à Louis qui le lui demandait. Nous avons mis plusieurs heures à en comprendre les règles qui changent selon le genre de parties qu’on veut disputer et le nombre de joueurs. Il prend maintenant la poussière sur une étagère du garage. La semaine, Stéphane travaille beaucoup, essentiellement en visio-conférence. Il s’arrache à son bureau pour faire travailler Louis, aider Céleste en physique ou en SVT, revenir sur un point de maths avec Victoire et partager les repas. Parfois, il va sauter dans le trampoline avec Louis. Comme beaucoup d’hommes, mon mari est très pris par son métier et, souvent, même physiquement présent, il est absent. Son esprit est ailleurs. Il nous prête une oreille très distraite.

Louis passe beaucoup, beaucoup trop de temps à jouer avec sa console mais c’est son unique moyen de rester en lien avec ses amis. Je doute de plus en plus que les enfants retournent en classe avant septembre. Comment cela se passera-t-il pour les élèves qui n’auront pas pu suivre l’école à la maison? Tous les enfants de France n’ont pas de connexion à Internet ou d’ordinateur.

Hier, j’ai allumé la télévision pour suivre la messe des Rameaux. Victoire est venue me rejoindre sur le vieux canapé de la mezzanine. Blotties l’une contre l’autre, nous avons suivi ensemble la célébration. Le recteur de Notre-Dame de Paris était entouré de trois Dominicains dont les voix étaient magnifiques. Je profitais de ce moment pour expliquer à Victoire mon approche de l’Eucharistie et de la mort de Jésus pour « le rachat du péché du monde ». Je lui disais n’avoir jamais pensé que l’Eucharistie transforme le pain et le vin en corps et sang du Christ. Les catholiques ne sont pas des cannibales. L’Eucharistie permet de se nourrir spirituellement du Christ. Je lui expliquais en quoi consistait ce fameux péché du monde, cette tache originelle que portait tout bébé à sa naissance et, qu’en aucun cas, elle devait se sentir coupable parce que Jésus avoir souffert la Passion. Jésus était mort parce qu’il accomplissait son destin et, aussi, parce que les Juifs avaient craint devant sa popularité croissante que Rome ne se décide à envoyer ses armées de légionnaires. Cela aurait provoqué un bain de sang.

La semaine passée, Céleste a réalisé un puzzle en 3D de Notre-Dame de Paris. Victoire a délavé à grand renfort d’eau de javel non diluée une des jambes d’un jean dont la toile a fini par partir en lambeaux. Stéphane a commencé à préparer une bande de terre dans le jardin pour le futur potager. Le trio et leur papa ont achevé le nettoyage de la piscine, la grosse méduse bleue, qui sera bientôt remplie d’eau. J’ai fait des gougères et un caviar d’aubergine pour nos apéritifs. Stéphane a préparé une pintade avec des tomates à la provençale. Nous avons vu trois films: « Paris-Brest » de Philippe Lioret, le réalisateur qui a signé « L’équipier », « La belle époque » et « Leto », film russe ayant enthousiasmé les critiques et le public lors de sa projection à Cannes en 2018. J’ai découvert l’existence de deux chanteurs russes, Viktor Tsoï et Mike Naoumenko, dont j’ignorais tout et, aussi, des Koryo-sarams déportés par Staline vers l’Asie centrale dans les années 1930. « Paris-Brest » est un film tout en sensibilité et magnifiquement porté par Anthony Bajon dont la prestation nous avait impressionnés dans le film « La prière ». Avec son dernier film, Nicolas Bedos montre une nouvelle fois qu’il est un esprit libre (avec son père, il a été à bonne école!) et que, manifestement, il ne conçoit pas la vie de couple sans orage violent ni réconciliation vibrante. Daniel Auteuil est magistral. Fanny Ardant qui a le don de m’exaspérer est remarquable. « Leto » est une sorte d’OVNI cinématographique. La magie du noir et blanc opère comme dans « Les ailes du désir » ou « Cold war ». On découvre que la jeunesse russe a connu avec presque vingt ans d’écart ce que la jeunesse occidentale avait exprimé dans sa quête de liberté à la fin des années 60.

Dans le jardin, les deux hamacs ont retrouvé leur place. Le blanc, rapporté de Guyane par un ami de nos parents, est accroché sous les canisses. Le bleu, acheté par Stéphane, est installé entre le magnolia persistant qui donne de magnifiques fleurs tout l’été dont le parfum évoque celui du cédrat et un arbre assez vilain dont j’ignore le nom mais dont le tronc est assez solide pour supporter le poids d’un adulte ou de plusieurs enfants. Dans les champs, la terre est prête à être semée. Arnaud et Cédric hésitent à mettre du tournesol. C’est une plante extrêmement gourmande en eau et nous avons traversé deux étés de sécheresse. Si je ne me trompe pas, quand on passe en « bio », on n’a plus le droit de recourir à l’irrigation. On doit compter sur les seules ressources envoyées par la nature.

Nous sommes entrés hier dans la Semaine sainte. Dimanche, avec les filles, je suivrai la messe à la télévision. Les enfants sont en vacances vendredi soir. Nous avions eu le projet de passer le week-end de Pâques dans l’Ain, chez la mamie des enfants et, ensuite, de rejoindre leur grand-mère dans le Gard mais tout ceci n’est plus d’actualité comme le mot « vacances ». Qui peut se penser en vacances? Peut-être Séverin dans sa chanson que j’aime tant!

https://www.youtube.com/watch?v=FESQThZNMVI

Habituellement, nous accueillons nos deux familles pour le week-end de Pâques et j’ai déjà réfléchi aux menus. Nous en avons des photos des enfants et des cousins cherchant les oeufs dans le jardin, des dimanches de Pâques avec des déjeuners sur la terrasse ou des apéritifs près de la cheminée et de nos deux mamans émues devant cette jeunesse qui grandit toujours si vite! Nous avons même des souvenirs de déjeuners de Pâques avec notre grand-mère qui, quand nous étions enfants, ma soeur et moi nous apportaient toujours des chocolats si originaux. Comme c’était touchant l’an passé de voir Louis aider sa petite cousine à dénicher les oeufs disséminés autour de la maison!

Lundi, Victoire aura quinze ans. Quel âge magnifique! Je me souviens de mes quinze ans avec tant de netteté! Je me rappelle mon déjeuner avec le traditionnel plat de langoustines et la tarte au chocolat de notre père dont la recette s’est perdue quand il est mort. Il était incapable de suivre une recette. Nous habitions dans le Tarn. Avec Anne et Olivier, nés le même jour que moi, nous avions réuni nos amis pour une soirée déguisée. J’étais habillée en Gigi, héroïne de Colette. L’un des tubes du moment était « Life is life ». Nous avions la chance d’habiter dans un magnifique hôtel particulier que l’Etat mettait à notre disposition. Je ne suis pas en mesure de permettre à nos enfants d’organiser des soirées. Il faudrait une grange perdue dans un hameau.

Même si nous serons confinés, même si Victoire n’aura pas sa famille élargie et ses amis autour d’elle, nous allons faire en sorte de lui offrir un bel anniversaire. Dans tous les cas, plus tard, quand nous serons sortis de cette période triste et pesante, elle invitera ses amis à la maison.

Plus que jamais en ces temps compliqués où on peut perdre ses proches si brutalement sachons nous dire « je t’aime ». Parfois, une seule fois suffit!

https://www.youtube.com/watch?v=W5eDAne7nl0

Anne-Lorraine Guillou-Brunner

2 commentaires sur “Chronique à l’entrée de la quatrième semaine de confinement

  1. Pour être précis non l irrigation n est pas interdite sinon il n y aurait pas de légumes bio. Ça n a pas grand chose à voir avec ce que la nature nous donne. Le tournesol est au contraire très peu gourmand en eau le maïs l est bcp plus mais contrairement à ce qu’ on pense il nécessite bcp moins d’eau que le blé mais la maïs pousse à une période où on en manque. La question qui se pose c est après un hiver de pluies continues est venu 2 mois sans une goutte d eau ce qui est inédit a cette époque On ne peut plus parier sur le temps qu il fera. Le tournesol est cher a semer il est très attaqué par des oiseaux pigeons corbeaux limaces il faut le biner ce qui est long et espérer qq pluies estivales quand même. Devant les situations météorologiques on essaie d evaluer le risque quouqu il arrive il reste bcp de hasard , trop…

    1. Cher Cédric,
      Muguette que je vois tous les jours ne parle pas de tournesol mais de soleil. Je trouve cela très joli. Je ne suis pas agricultrice (même si ma famille bretonne l’était en partie) et, cependant, j’ai bien constaté l’état de sécheresse dramatique de la terre. Terrifiant! Je me promène au minimum deux fois par jour et j’ai amplement le temps d’observer ce qui m’environne. Je connais un monsieur qui est en bio depuis de longues années et qui n’arrose pas mais c’est sans doute parce qu’il ne le peut pas. Il a vu ses deux dernières années ses maïs brûler sans rien pouvoir faire. Catherine m’a expliqué comment Arnaud et vous vous vous étiez organisés pour le travail depuis le confinement. C’est super! On m’a contrainte de fermer mon cabinet le 16. C’était très violent. Je l’ai mal vécu! Je rouvre à compter du 18 mais je crains que la remise en route soit très, très longue…La plupart de mes patients risque de se retrouver vite dans des situations professionnelles hyper tendue. J’aimais bien quand vous me parliez de votre grimoire. Vous rebondissez toujours sur des questions agricoles quand j’écris sur des dizaines d’autres sujets. Un couple de bernaches se promène sur vos terres. Il vient de l’étang.

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