Chronique dominical depuis un plateau venteux

Un vent violent balaie le plateau depuis hier soir. La semaine passée, j’avais promis aux enfants une soirée pleine de vie pour briser la monotonie de notre confinement. Vendredi, Victoire, notre cadette, me la réclamait depuis le matin mais, le soir venu, je calais. Stéphane et moi nous étions heurtés et, comme tant de femmes et de mères, je ressentais combien cette nouvelle organisation pesait sur mes épaules. Mon mari travaille toujours et, en ce moment, faute de pouvoir se rendre à Paris, il organise un grand nombre de visioconférences. Louis, notre benjamin, peste. Ces visioconférences prennent beaucoup de bande passante. Il ne parvient plus à évoluer normalement dans les parties de jeux vidéo qu’ils disputent avec ses amis. Avant le confinement, Louis n’avait pas le droit de jouer en semaine. Maintenant, je le laisse jouer tous les jours. C’est sa seule manière d’être en lien avec ses camarades. J’essaie (mais ce n’est pas facile) de le faire travailler avant qu’il ait commencé à jouer.

Vendredi soir, j’étais à la fois fâchée, triste et ressentais à nouveau ce vide intense en lien avec la fermeture du cabinet depuis quinze jours. J’avais naïvement pensé que ce temps de mise à l’arrêt forcé pourrait être pour moi un temps dédié à des projets personnels comme de longues plages d’écriture ou de lecture, mais il n’en est rien. Comme des milliers de personnes, mon sommeil est affecté. Les trains se font rares dans les gares. Dans les prés, les vaches s’ennuient. Les trains sont rares mais les contrôleurs sont toujours capables de vous en faire descendre et de vous abandonner sur un quai au milieu de nulle part. Ces gares isolées peuvent être peuplées de personnages dangereux, d’animaux hybrides. Dans ces gares isolées, c’est l’inconscient qui raconte nos peurs. Mon sommeil s’altère. Je n’attends plus de train. Je me lève et rejoins Ar-Men. Il fait nuit. J’essaie de deviner les contours du plateau depuis la fenêtre. J’allume la lumière de mon bureau et ouvre mon ordinateur. J’écris. Je profite du calme. Je profite de ce que tout le monde dort. Parfois, j’entends Fantôme qui rêve et émet des gémissements. Je suis la gardienne du plateau. J’écris avant de partir marcher avec notre fidèle berger australien, de contempler la nature au point du jour, puis, en rentrant, de devoir réveiller les enfants, donner mon ordinateur aux filles, me demander ce que je vais préparer pour le déjeuner, mettre une machine en route, nettoyer une salle de bains ou passer la serpillère dans le bas de la maison, ramasser ces coton-tiges qui tombent toujours à côté de la poubelle, ranger des chaussures dans le garage, faire du repassage, chercher ma brosse à cheveux et superviser l’école à la maison.

Ce temps de confinement a mis en lumière que tous les enfants de France ne possédaient pas un téléphone portable, un ordinateur, une imprimante et une connexion de qualité…Les professeurs abattent un travail colossal pour suivre leurs élèves mais certains continuent de demander des devoirs communs et d’autres mettent l’accent sur certains niveaux plutôt que sur d’autres. Céleste et ses camarades ont reçu 44 pages de cours en philosophie sur l’homme et l’animal. Sans un cours normal, il est très difficile d’intégrer les concepts philosophiques. J’ai commencé à lire le cours. Je vais prendre le temps de le digérer et, ensuite, j’en donnerai à notre aînée la substantifique moelle. Il est important de reconnaître sa valeur. S’il est une qualité que je possédais quand je transmettais des savoirs, c’est celle de ne donner à retenir que l’essentiel pour ne pas noyer mes étudiants dans des détails. Transmettre l’essentiel demande d’avoir fourni au préalable un travail colossal.

Vendredi, je n’étais pas en mesure de faire la fête. Tout ce contexte est très éprouvant. Tous les jours, je prends des nouvelles de mes patients mais aussi des médecins, des infirmières et des aides soignantes que je connais. Je pense aussi au mari de Nadège. Je me demande si lundi il va exercer son droit de retrait et cesser de faire la navette la nuit entre le Loiret et Lyon avec son camion. Je pense à toute cette France de l’extérieur qui court tant de risques. Une maman qui habite sur le plateau travaille dans une petite boutique de fruits et légumes. Hier, via les réseaux sociaux, elle me racontait combien les clients ne respectaient pas les gestes barrières et qu’elle n’avait pas le droit de le leur faire remarquer. Elle m’écrivait avoir peur de tomber malade et de contaminer les siens.

Hier, une ancienne patiente m’a écrit qu’une de ses amies de longue date qui a aussi été ma patiente a été testée positive au Covid-19. Cette nouvelle m’a bouleversée. Je connais J depuis de longues années. C’est son médecin traitant qui lui a conseillé de venir me voir. J avait enfin trouvé la force de quitter un mari violent. Leurs deux enfants étaient déjà des adultes et des parents. Elle avait trouvé refuge auprès d’une association de défense des droits des femmes. En quittant son mari, J avait tout perdu: ses enfants qui étaient toujours soumis à l’autorité paternelle et sa maison. Fou de colère, son mari avait réussi à brûler sa voiture. S’en étaient suivis des années de procédure au pénal et au civil. J était toujours restée en contact avec l’un de ses deux petits-fils et avait entrepris des démarches pour se voir reconnaître un droit de visite s’agissant de son second petit-fils. Ce droit lui avait été reconnu. Depuis quelques mois, J et son petit-fils avaient repris leur histoire là où elle s’était arrêtée presque dix ans en arrière…J est en passe, enfin, de percevoir la moitié de la somme de la maison qu’elle habitait avec son ex-mari ainsi que les loyers correspondant à l’occupation qu’il a faite de leur bien commun. Cet homme monstrueux a certainement tué la maman de J qui était venue vivre chez eux. Un jour, elle a disparu sans plus jamais donner de nouvelle. Le mari de J avait une entreprise de maçonnerie. Jeanne est persuadée qu’il a fait disparaître le corps de sa maman. Une enquête a été ouverte mais elle n’a pas permis de prouver sa culpabilité.

Hier, j’ai envoyé un sms à J et elle m’a tout de suite répondu. Elle est à la maison, sans traitement et sans masque. Le virus semble s’être installé non pas sur les poumons mais sur le tube digestif. J a traversé tant d’épreuves dans sa vie. Elle est sur le point, après des années à devoir économiser sur tout, de retrouver enfin un peu d’aisance financière. La dernière fois que J est venue faire une séance, elle m’a dit espérer, quand elle toucherait enfin ce à quoi elle a droit, ne pas faire des bêtises. Je vais désormais prendre de ses nouvelles tous les jours pour m’assurer qu’elle va bien. J’espère que ses enfants en seront avertis par leurs fils et qu’ils sauront appeler une maman qui, si en ne trouvant pas la force de quitter leur père quand ils étaient enfants, les a fait grandir dans un environnement épouvantable et prédestinés à des schémas violents, les aime de tout son coeur. L’histoire familiale de J explique les raisons profondes qui l’ont conduite à ne pas quitter son mari mais il me faudrait une autre chronique pour vous la raconter. Sans retour sur son histoire passée et sur celle de ses parents, grands-parents et arrière-grands-parents on ne peut pas vraiment comprendre son choix ou non-choix de vie. Ci-dessous un entretien avec un homme fabuleux dont je lis l’un des livres. J’ai, dés le départ, placé l’approche transgénérationnelle au coeur de ma pratique. J’en ai déjà beaucoup parlé dans mes chroniques. La psychogénéalogie est, dans mon histoire personnelle, le prolongement naturel de la passion qui animait nos deux parents pour la généalogie.

https://www.youtube.com/watch?v=vT-Z1hl-gwY

Si vendredi, je n’avais pas le coeur à faire une fête, hier, en revanche, j’ai réussi même si Victoire était déçue que nous ne fassions pas l’effort de nous habiller avec élégance. J’avais préparé un dîner mexicain. Nous avons écouté de la musique et, après le dîner, avec les enfants et Fantôme nous avons dansé. Fantôme est sur-excité quand il nous voit danser. Ensuite, serrés les uns contre les autres, sur le vieux canapé de la mezzanine, nous avons ri devant les aventures de Patrick Chirac et de ses amis du camping des flots bleus. J’ai une de mes jeunes patientes désormais étudiante qui me racontait combien, toute l’année, elle attendait de partir avec sa soeur et ses grands-parents paternels dans ce camping où ils avaient leurs habitudes depuis la petite enfance. Elle adorait retrouver ses amis, se sentir libre et vivre dehors. Elle avait tellement touché d’apprendre que la fille d’amis de ses grands-parents avait donné son prénom, très original, à sa fille.

Le vent souffle de plus en plus fort. Les pétales blancs du prunier et du mirabellier s’envolent. Les tulipes et les narcisses se courbent. Je vais retourner à la vision politique de Lamartine et de George Sand. Je n’ai jamais aimé cette période de l’histoire qui va de la fin de l’empire napoléonien au début de la IIIè République. Légitimistes, orléanistes, Restauration, Charles X, Louis-Philippe, révolution de 1848, IIè République, monarchie de juillet…salade historique pour moi complexe et assez indigeste que j’ai pourtant beaucoup travaillé en première année de droit en histoire du droit. Comme je ne fais jamais rien comme les autres, je n’avais pas pris en matières de travaux dirigés, droit constitutionnel et droit civil mais droit constitutionnel et histoire du droit.

Le temps file. Le soleil revient. Il est temps que je prépare le déjeuner. J’ai décongelé des filets de poisson. Je vais les faire en papillote. Céleste vient de pousser la porte de mon bureau. Elle se charge de les préparer. Je vous souhaite à tous de passer un agréable dimanche et, plus que jamais, de rester chez vous et de limiter au maximum vos déplacements.

Anne-Lorraine Guillou-Brunner

Laisser un commentaire

Votre adresse de messagerie ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *

Ce site utilise Akismet pour réduire les indésirables. En savoir plus sur comment les données de vos commentaires sont utilisées.