Chronique au plus près d’un bébé

Dimanche soir, j’avais le coeur lourd. Ma soeur et son bébé, la petite Charlotte, née le 16 juin, étaient reparties pour Paris. Notre aînée avait rejoint sa mamie et sa cousine Louise dans l’Ain. Stéphane et sa maman avaient, chacun, fait un bout du voyage. L’échange avait eu lieu à Pouilly-en-Auxoix, à la croisée de l’autoroute 6 et de l’autoroute 38. Céleste était enchantée de retrouver sa cousine et sa mamie et de rester presqu’un mois au pays des grenouilles, des marais, des cheminées sarrasines,  des toits aux tuiles vernissées, et des poulets aux pattes bleues. Tandis que Stéphane était sur la route et que Louis jouait avec Gabin, Victoire et moi avons regardé deux épisodes d’Hercule Poirot: « les pendules » et « drame en trois actes ». Victoire et moi aimons à partager ce temps complice autour des aventures du détective belge sanglé dans des costumes de la meilleure facture et dont les petits pas rapides évoquent ceux d’une geisha entravée dans son kimono.

J’avais le coeur lourd comme cela m’était arrivé si souvent quand notre famille et nos amis repartaient pour Paris après un week-end ici, à la campagne. Eux, ils étaient toujours ravis l’automne d’aller en forêt chercher des champignons, de contempler la magie des couleurs dans les chevelures des arbres, de respirer l’odeur de la mousse, l’hiver de se réchauffer au coin d’un bon feu crépitant, en écoutant du Chet Baker ou du Chopin, en sirotant un verre de ti’punch, l’automne de voir la nature se réveiller après le long sommeil hivernal, de sourire à la vue des jeunes agneaux jouant sous les pommiers, l’été de vivre le bonheur de ces longues soirées qui chatouillent l’éternité, d’humer, dans l’air, l’odeur du blé mûr et du foin coupé. Mais moi, j’avais envie de repartir aussi. Je ne comprenais pas pourquoi je devais rester là…

Ce dimanche, c’est ce sentiment qui revenait m’habiter et je savais que jamais plus je ne pourrais inverser le cours des choses et que je n’aurais pas davantage un pied à terre à Paris, aussi petit soit-il pour me sentir chez moi, avoir la liberté totale que l’on a que lorsqu’on est sous son propre toit. A ce sentiment se mêlait ma peine d’avoir senti combien ma soeur était fatiguée et fragile. Je sais que cet état est propre aux mamans de nourrisson qui courent après le sommeil et sont sujettes au vertige hormonal. Pourtant, j’étais triste et le fait qu’elle ait puni ses deux aînés en les laissant à Paris le samedi avait rajouté à ma tristesse. Les enfants étaient restés avec leur papa, contraint au travail forcé après la cyberattaque. Je m’étais fait une joie de ce week-end en famille.

Pendant deux jours, Charlotte est passée de bras en bras. Céleste et Victoire ont, d’instinct, trouvé les bons gestes. Louis était fasciné par les petits pieds de sa toute petite cousine. Charlotte était heureuse dans les bras accueillants de ses grandes cousines. De mon côté, j’étais ravie de la sentir contre mon coeur, de respirer l’odeur de ses cheveux si doux aux reflets acajou, de caresser sa peau tendre au grain parfait. La maternité était inscrite au plus profond de mes cellules. Adolescente, je me rêvais en professeur, écrivain et maman par quatre fois comblée. Ce n’était pas un caprice. La vie ne m’a pas laissé l’espace pour développer une

nature d’enfant gâtée. C’était un désir profond, viscéral.

 

Je n’ai pas eu de quatrième enfant deux pattes mais un enfant quatre pattes, Fantôme, notre berger australien de sept ans et demi qui, cet été, va nous suivre dans nos aventures en Haute-Corse. Si, au matin du 1er août, vous vous ennuyez, que vous ne savez pas quoi faire alors pensez à nous. Nous serons sur le quai du RER B à la station Bourg-la-Reine avec nos trois enfants, les bagages, Fantôme et la caisse de Fantôme. Le trajet jusqu’à Orly Ouest sera certainement un grand moment! Pendant trois semaines, chaleur oblige, je quitterai la maison à six heures et, seule ou avec quelques rares courageux (?), j’irai marcher avec mon enfant tout poilu jusqu’à ce que les rayons du soleil commencent à mordre ma peau « endive ». La journée, Fantôme restera au frais et, au couchant, ensemble, nous repartirons nous promener. Ce sera son premier voyage en avion. La seule fois où il nous a accompagnés en Corse, il avait quelques mois et nous y avions été en bateau. Tous les jours, nous descendions jusqu’à la plage interdite aux chiens. Je dégoulinais. J’aurais aimé nager avant d’attaquer la remontée dans la chaleur et la poussière des voitures avec plateau des artisans. Fantôme n’aime pas l’eau. Il n’y entre que contraint et forcé.

J’ai grandi dans une famille où l’amour des bêtes était très fort. Les animaux devenaient des membres à part entière de la famille. Bibique et Réo, les chiennes, Iris et Minou, les chats, ont été de toutes nos aventures, nos déménagements, nos vacances, nos voyages en avion et nous avons veillé sur eux jusqu’à leur dernier souffle. La mort de chacun d’entre eux a été une vraie douleur. Parfois, Louis me demande si Fantôme sera toujours avec nous quand il quittera la maison pour entamer ses études supérieures. Dans huit ans, Fantôme aura un peu plus de quinze ans. J’espère que Louis, en effet, sera parti et que lui sera épargnée la mort de Fantôme à laquelle je pense, déjà et que je redoute.

Le dimanche, tandis qu’un poulet au citron finissait de dorer dans le four, Stéphane improvisait une séance photos avec Virginie et son bébé, Virginie, son bébé, ses nièces et moi, Charlotte et ses cousines, Charlotte et sa tante. C’est une grande chance d’avoir un photographe dans une famille. C’est aussi précieux qu’un médecin ou un électricien,  un avocat ou un cuisinier. Pour l’anniversaire à venir de notre lion de mère, je prépare un album avec des clichés de ses désormais six petits-enfants. Les albums sont devenus une denrée aussi rare que les lettres. Les photos sommeillent dans les disques durs des ordinateurs. Mais, rien ne remplace le plaisir de tourner les pages d’un album, d’en lire les légendes, de voir des vies en condensé, un mille-feuilles de moments heureux.

Le soleil et la chaleur reviennent. Le ballet des moissonneuse-batteuse va reprendre sur le plateau. Leurs mâchoires puissantes avaleront l’orge et le colza. Aujourd’hui, je sens une boule au creux de mon ventre. Nous sommes à la veille de l’annonce des résultats du bac. Je pense à Margot, notre nièce, qui, si elle décroche une mention, pourra partir étudier sur un campus anglais dans l’Essex. Je pense aussi à Marie, sa cousine, et à tous les jeunes patients qui sont venus chercher de la confiance sur le canapé de mon cabinet, un canapé recouvert d’un tissu acheté à Leh, au Ladakh, dans le nord de l’Inde, à la fin de notre tour du monde et qui, presque vingt ans plus loin, conserve dans ses plis l’odeur de la petite échoppe du tisserand.

 

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