Chronique autour du documentaire Vivre avec les loups

Samedi, à 18h30, nous voici Stéphane et moi installés dans les fauteuils de la salle 9 du cinéma. La nuit est tombée sur les canaux et les péniches. Une odeur forte de pop-corn flotte dans le hall. En marchant vers nos places, j’ai regardé les spectateurs. La moyenne d’âge s’élève à soixante-dix ans. Nous sommes les plus jeunes de l’assemblée. Après avoir eu droit aux annonces locales et aux bandes annonces de films qui ne nous ont rien dit, nous suivons avec bonheur le photographe et réalisateur Jean-Michel Bertrand sur la piste des loups et à la rencontre des personnes que le retour des canidés en France peut inquiéter: éleveurs et bergers. Ce film est le dernier opus d’une trilogie démarrée en 2016 avec La vallée des loups et poursuivie en 2019 avec Marche avec les loups. C’est dans les Hautes-Alpes dans une vallée tenue secrète entre Champsaur-sur-Bonnet et Valgaudemar que l’enfant du pays s’est mis à suivre la trace des loups.

Les loups sont revenus naturellement en France en 1992. C’est dans le Mercantour qu’est observé le premier couple. Le loup et la louve viennent d’Italie. Les animaux ne connaissent pas les frontières. Ils sont en quête de grands espaces pour y trouver de quoi se nourrir et élever tranquillement leurs louveteaux. En France, les documents d’archives attestent que le loup était historiquement présent dans toutes les campagnes françaises. Les dommages causés aux animaux d’élevage font de lui un ennemi public, la bête à abattre et des primes sont versées à ceux qui les tuent. En 1937, on estime que la population a été éradiquée. Dans l’hexagone, le loup a d’abord été victime d’une loi votée le 3 août 1882 qui visait la suppression totale de l’espèce. A la fin du XIXème siècle, le désenclavement des campagnes, l’exploitation forestière plus poussée et le développement des voies de communication ont contribué à la disparition d’un animal capable de parcourir 100 kilomètres en une seule journée. Les chiffres parlent d’eux-mêmes: 2 131 loups tués en France en 1823; 1 300 en 1883, 50 en 1910 ; deux ou trois captures par an dans les années 1930.

Dans La vallée des loups, Jean-Michel Bertrand se mettait en quête de loups. Leur présence était certaine mais il voulait les voir. Pour cela, le réalisateur utilisait des caméras attachées aux troncs des arbres et dissimulées sous un habit d’écorce et de mousse. Pendant trois ans, il avait suivi les loups par tous les temps et en toutes saisons. Les loups sont des animaux discrets. A force de patience, le réalisateur avait fini par se faire accepter de la meute. Dans Marche avec les loups, Jean-Michel Bertrand faisait le récit du grand mystère de la dispersion des loups. Il cherchait à comprendre comment les jeunes quittent la meute et partent à la conquête de nouveaux territoires. Pour ce faire, il a suivi ces jeunes loups.

Dans Vivre avec les loups, Jean-Michel Bertrand qui a été menacé par ceux qui s’opposent à la protection des loups en France part du principe que maintenant qu’il s’est réinstallé sur le territoire, on ne pourra plus les éradiquer. Il convient alors de réfléchir à la manière dont on peut vivre en bonne intelligence avec le loup. Quand il ne sillonne pas l’hexagone pour rencontrer du public à la fin des projections, des adultes mais aussi de nombreux enfants, où passe les frontières pour comprendre comment nos voisins vivent avec le loup, il s’installe dans sa cabane adossée à une paroi rocheuse. Il ne nous emmène pas seulement sur la piste des loups mais il nous invite à des promenades magnifiques sous les arbres en automne, dans la neige en hiver. Avec lui, nous respirons et cueillons les fleurs de génépi qu’il fera macérer dans de l’alcool; nous découvrons sous les feuilles de superbes cèpes qui seront coupés en lamelles et mis à sécher sur un fil; nous ramassons des framboises et des myrtilles; nous réalisons une soupe avec des orties fraiches; nous assistons à de merveilleux couches de soleil et entendons gronder l’orage sans crainte puisque nous sommes à l’abri dans la cabane. En plus des loups, Jean-Michel Bertrand nous donne à voir des cerfs, des biches, des renards, des sangliers, des lapins ou encore des blaireaux.

Le réalisateur n’est jamais dans le jugement mais toujours dans l’écoute et la pédagogie. Il comprend la colère des éleveurs qui retrouvent leurs animaux massacrés. Il échange avec des bergers qui vivent au plus près des troupeaux et apprennent à cohabiter avec les loups. En France, on compte désormais 7000 chiens de protection pour 1000 loups. Quand nous marchions dans le Mercantour l’été dernier, nous avions rencontré un berger avec son troupeau et ses trois chiens. Son patou portait un collier avec des piques acérées et, sur le flanc gauche, une marque encore fraiche d’une rencontre avec un loup. On apprend que l’Etat soutient financièrement les éleveurs pour qu’ils électrifient les clôtures ou nourrissent les chiens. Un berger plein d’esprit s’amuse que les croquettes soient fabriquées en Bulgarie. Ce même berger dira que s’il est très malheureux quand un loup s’en prend à ses bêtes, il ne l’est pas moins quand il songe à la manière dont sont tués les animaux dans des abattoirs-usines.

Jean-Michel Bertrand se rend dans les Abruzzes et le Valais. Dans les Abruzzes, la population n’a jamais cherché à éradiquer les loups et les ours. Les animaux sauvages sont protégés. Ils font partie de la culture. Les éleveurs vivent avec les loups depuis toujours. La nuit, les bergers surveillent les troupeaux avec les chiens. Quand ils voient des loups approcher, ils lui font peur avec des lumières et avec leurs voix. Le loup est un animal peureux. Le tourisme fait vivre les douze communes du parc national. Nombreux sont les visiteurs qui viennent pour avoir la chance d’observer les animaux sauvages. Le loup, en tant que grand prédateur au sommet de la chaîne alimentaire, joue surtout un rôle essentiel dans l’équilibre de la faune. Dans les Abruzzes, les autorités du parc ont même réintroduit des cerfs dans les années 70 pour que le loup chasse plutôt dans les forêts que dans les pâturages. Dans nos forêts françaises exposées à une surdensité de sangliers et d’ongulés sauvages causant des dommages aux jeunes pousses, le loup pourrait justement contribuer à la régulation de ces animaux.

Dans le Valais, les éleveurs s’organisent comme leurs voisins européens mais ont récemment été autorisés à former eux-mêmes à la protection des troupeaux d’autres chiens que les bergers des Pyrénées (patous) et les bergers de Maremme-Abruzzes. Les saint-bernard, kangal, transmontano ou berger des Carpathes sont désormais admis. Ce sont des chiens qui n’ont pas été exclusivement pensés en terme de protection des moutons ou des chèvres. Ils sont socialisés comme s’ils étaient des animaux de compagnie. Ils ne constituent pas une menace pour les promeneurs. En effet, depuis plusieurs années, dans le massif alpin et pyrénéen, des randonneurs ont été blessés par des chiens de protection. Bien souvent, les marcheurs avaient manqué de vigilance.

Ce dernier opus est vraiment une réussite. Les paysages sont magnifiques comme les scènes avec les animaux. Le réalisateur donne également la parole à des femmes (elles sont peu nombreuses) et des hommes passionnés. A voir!

Anne-Lorraine Guillou-Brunner

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