Mercredi, notre petite famille sera reconstituée. Les filles nous diront bonjour à l’anglaise. Louis et Fantôme seront infiniment plus démonstratifs. Les enfants auront des mines superbes et des cheveux dorés. Ils voudront nous montrer ce que leur mamie leur a offert pendant le séjour. Louis commencera par le vélo que je ne connais qu’en photo et qu’il avait été choisir avec son papa au début du séjour dans l’Ain. J’aurai donné à ma belle-mère de la confiture de mirabelles et des courgettes. Cette dernière sera fatiguée d’avoir eu ses quatre petits-enfants pendant quinze jours et, aussi, à certains moments de la journée, une petite cousine et les petits-enfants de son amie et voisine Marithé.
Après notre départ, Louise aura sa mamie rien que pour elle avant que ses parents ne les rejoignent le lendemain et que le trio s’envole pour la Roumanie. Les filles seront tristes de se quitter. Elles ne se voient pas beaucoup dans l’année et s’entendent à ravir. Chez leur mamie, dans une maison qui est un vrai paradis pour des enfants, le quatuor se fabrique une belle mémoire commune. C’est le rôle des grands-parents de fédérer la famille autour d’eux et de permettre des réunions joyeuses. Bien sûr, tous les grands-parents n’ont pas l’espace ni l’envie ou encore l’énergie d’assumer cette mission et, encore faut-il que, dans les fratries, les relations soient paisibles.
Le mercredi soir, nous arriverons dans la bonne et vieille maison de Pont. Comme à chaque fois, je serai subjuguée par les platanes montant la garde le long de la départementale et par la vue sur la ville depuis le pont édifié au Moyen Age, un pont ayant résisté aux assauts du temps, aux crues du Rhône et aux bombardements de la seconde guerre mondiale. La porte bleue s’ouvrira sur une grand-mère accablée par la chaleur gardoise mais si heureuse de voir arriver une partie des siens. Les enfants se précipiteront. Fantôme sera survolté. Comme toujours, je retrouverai l’odeur si particulière de l’entrée de la maison, un mélange de cendres froides, de lavande et de cire. Le pas franchi, je me sentirai enveloppée par la présence de toutes les bonnes âmes de la famille. Une seule âme ne sera pas là pour nous accueillir: celle de notre père. La sienne est ailleurs quelque part là où tout finit et tout commence: le Finistère.
Une quantité phénoménale de bagages en tout genre viendra s’accumuler dans l’entrée: sacs à dos, valises, tentes, tapis de sol, chaussures de marche, camping-gaz. On pourra à peine circuler. Samedi, à Montélimar, c’est ma soeur qui arrivera par le TGV et le 3, jour d’anniversaire de notre maman née en 1940 sous le signe du lion et de la guerre à Nîmes, ce sont les enfants de ma soeur qui seront déposés par leur papa sur le retour de la montagne. Ma soeur et ses enfants ne dormiront pas dans la bonne et vieille maison de Pont, une maison de ville ne possédant qu’une petite cour intérieure et aucune vue sur le Rhône ou le Ventoux. Ma soeur et ses enfants (à moins que certains préfèrent rester à Pont) iront s’installer dans une magnifique yourte montée dans un grand domaine abritant une piscine.
La veille de notre départ pour Pradelles, dans le Velay, nous irons dîner à la terrasse d’un restaurant que nous affectionnons tous: Les tourelles. Les filles pourront faire jouer Charlotte dans le parc et nous ferons la connaissance de Ferdinand, jeune collaborateur de Stéphane, scout dans l’âme, ayant voyagé à la fin de ses études, roi du Blablacar et qui se joint à notre folle équipée les premiers jours. Le lendemain, ce sera le branle-bas de combat dans la maison! Il faudra se concentrer pour ne rien oublier en chargeant les deux voitures, celle de notre maman et celle de Stéphane. Fantôme restera à la maison. Les ânes et les chiens ne font pas toujours bon ménage. Camper avec Fantôme est compliqué d’autant qu’en mâle dominant non opéré il a une nature facilement bagarreuse et que pour couronner le tout, un de ses coussinets ne cicatrise pas depuis de plusieurs semaines.
Voici deux ans, sur une partie du chemin de Stevenson que nous entreprenions à l’envers au départ de Saint-Jean-du-Gard, notre maman avait été contrainte de nous y rejoindre après que Stéphane ait réalisé que l’une de ses chaussures de marche était restée sous la table de l’entrée. Ce fut un mal pour un bien. Nos amis, Xavier et Nelly et leurs deux enfants nous ayant rejoints un peu tard et les explications de Cannelle sur les soins à prodiguer à Cadeau et à Bijou ayant duré longtemps, nous avions amorcé la montée (très raide) en pleine chaleur. Notre maman avait décidé d’épargner cette première grimpette à Mané, Lucian et Louis. Nelly l’avait accompagnée. Nous nous étions retrouvés sous des arbres pour pique-niquer. Il faisait une chaleur accablante. Le sentier était raide et, dans la montée, il avait fallu débâter les ânes à deux reprises pour qu’ils puissent avancer sans se blesser et sans arracher les sacoches en cuire et en toile remises par Cannelle. Nous n’étions pas beaux à voir à l’issue de cette première journée! Nos trois adolescentes avaient été très courageuses. En arrivant au campement, les enfants avaient été se rafraîchir dans la rivière et un orage avait salué notre première nuit sous tente. Ce sont les péripéties qui donnent du relief aux aventures!
Depuis que les enfants sont chez leur mamie, Stéph et moi avons entrepris de belles marches ou des sorties vélo de jour comme de nuit. Une marche au départ de la ville de Toucy où était né Pierre Larousse et, hier, une promenade au rocher d’Avon, depuis Fontainebleau. La forêt de Fontainebleau est magnifique et assez magique. On marche dans une odeur constante d’épines de pin. On serpente entre des rochers dont les corps travaillés par des millions d’années forment un véritable bestiaire. Hier, j’avais le sentiment que Stéphane et moi étions deux des aventuriers du « Monde perdu » de Conan Doyle. Nous allions découvrir de grands singes, des hommes préhistoriques et des dinosaures. On marche sur un lit d’épines de pin reposant sur du sable d’une grande finesse qui vient rappeler que la mer recouvrait cette zone.
En finissant la promenade, je m’arrête devant un monument érigé à la mémoire de Claude Renaud, un ancien officier de l’école d’artillerie mort après avoir fait une chute de cheval. Bien sûr, je pense alors à notre grand-père, le père de notre mère qui, a la sortie de l’X, était à Fontainebleau de 1937 à 1939 et faisait le choix du 61e d’artillerie, le régiment à fourragère rouge. Dans l’une de ses lettres, il raconte sa peine immense de devoir abattre son cheval blessé dans un combat. Pendant cette guerre éclair, il fut blessé mais demanda à être renvoyé au front alors qu’il n’était pas tout à fait remis. Il accomplissait ses fonctions sous le feu et dés qu’il fut prisonnier n’avait qu’une pensée: s’évader et rejoindre les forces libres du Général de Gaulle à Londres. S’il n’était pas mort en déportation en avril 1944, il aurait voulu devenir attaché militaire dans les ambassades. Il était très doué pour les langues étrangères ce qui est également le cas de notre mère et de ma soeur qui parlent sans accent français anglais ou allemand.
Dans notre chambre, les affaires à emporter s’accumulent et je me suis fais un pense-bête, un pense-homme comme aurait dit notre père. J’ai déjà glissé le tire-tique dans ma trousse de toilettes. Il nous avait fait défaut dans les Cévennes. Un matin, à Barres-des-Cévennes, Victoire et moi attendions dans la salle d’attente du cabinet vétérinaire. Victoire avait une tique dans le cou. Cette année, peu d’endroits pour se ravitailler. Il va falloir se répartir de la nourriture dans les sacs à dos. Les ânes ne portent que le matériel de camping.
Ce matin, à 7h30, Muguette donnait des bouts de pain sec à Kiki et Nénette depuis la grille de l’enclos. Ensuite, elle entrait par la porte menant à l’étable pour leur apporter de la pulpe de betterave et de l’eau fraîche. Muguette arrose ses plantes avec l’eau de la veille. Cela faisait de longues semaines que Fantôme et moi n’avions pas été avec Muguette quand elle soigne ses moutons. J’aime l’ambiance qui règne sous la grange et dans l’étable. J’aime voir Muguette retirer le couvercle d’un container pour y puiser de l’orge avec une petite casserole. Chez Muguette, tous les objets utiles ont été peints en bleu car c’est la couleur que les yeux de Muguette perçoivent le mieux.
Elle avait enfilé de grosses chaussettes de ski et c’est à peine si ses pieds tenaient dans ses crocs. Je la taquinais tout en lui disant de faire attention à ne pas perdre l’équilibre. Elle m’annonçait avoir jeté la paire de chaussettes mauves qui étaient du plus bel effet avec sa polaire de la même couleur. Elle me demandait de lui lire la température de ses deux thermomètres. L’un indiquait 16 et l’autre 19 degrés. L’un des deux appartenait à son beau-père. Il est très grand et des dictons aujourd’hui effacés étaient inscrits au milieu d’animaux des champs. Dans le potager, les tomates ont désormais une belle peau rouge. Muguette a arraché des fleurs de poireau, quelques chardons et m’a suggéré d’aller couper des brins d’orge et des soleils dans les champs de son petit neveu. Voici le bouquet issu de notre collaboration. Cet été, du marché de Pont-Saint-Esprit, je pense rapporter à Muguette des sachets de lavande à glisser dans ses tiroirs. Je lui écrirai une carte tout en sachant qu’il lui faudra les yeux de l’un de ses deux fils pour la lui lire.
Avant de terminer cette chronique et de vous dire à bientôt pour le récit de réunions familiales gardoises et de nos aventures sur le chemin de Stevenson, je voulais vous dire combien Instagram m’a fait rencontrer de personnes merveilleuses et apporté déjà de grands bonheurs à partir de vrais partages. Voici plusieurs années, j’avais renoncé à mon compte Instagram pour des raisons liées à de la violence que j’avais reçue au sein de ma propre famille et qui avait eu des répercussions dans ma vie dans la durée me donnant à penser que j’étais une sorte de pestiférée. C’est sur les conseils de Stéphane que j’y suis revenue. Je l’en remercie et suis pleine de gratitude pour ces personnes merveilleuses avec lesquelles, de semaine en semaine, j’ai tissé de vrais liens d’affection. J’ai même l’immense bonheur d’avoir fait la connaissance d’une épistolière! La correspondance me manquait tellement! J’ai rencontré une personne qui, comme moi, attache de l’importance au grain de la feuille, à la forme des lettres et au choix du timbre. Une personne qui a eu la délicatesse de me faire parvenir des étiquettes fait main pour mes pots de confiture de mirabelle. Son écriture, très belle, me rappelle celle de mon professeur de philosophie, Josette, dont je n’ai plus de nouvelles depuis janvier. Je m’en inquiète car non seulement Josette, comme Muguette, s’enfonçait dans la nuit mais qu’en plus elle m’avait appris souffrir d’un cancer et subir un traitement. Mes sms étant restés sans réponse, je vais l’appeler avant notre départ.
Prenez tous soin de vous.
A bientôt,
Anne-Lorraine Guillou-Brunner