chronique autour d’un plateau en automne

Enfant, je me rappelle qu’à la fin de l’été, je regardais les hirondelles se rassembler sur les fils électriques comme autant de notes noires sur les lignes d’une partition. Quand nous habitions le Gard, j’aimais les observer chasser au-dessus des eaux du Rhône. Elles étaient aussi vives que les hérons installés en embuscade près des arches du pont, sur de larges pierres luisantes, étaient impassibles. Le matin, en ouvrant les volets de la chambre sur un ciel toujours si parfaitement bleu, je les entendais chanter à tue-tête. Au printemps, elles maçonnaient leur nid sous les toits. Une année, quand nous avions poussé la porte de la cour après que la maison soit restée fermée de longs mois, nous avions découvert une famille d’hirondelles installée dans l’escalier conduisant à la cave. Notre grand-mère aimait tant, à la nuit tombée, quand le figuier planté par notre père exhalait ses notes sucrées, les voir voleter au-dessus d’elle et regagner leur nid. L’année suivante, des rouges-queues avaient investi le nid laissé vacant par les hirondelles. Le chant des hirondelles m’a toujours fait penser aux bruits aigus émis par les dauphins.

Depuis de longues années, je ne les vois plus tenir de conciliabules suspendues sur les fils électriques avant leur départ. Je ne peux pas leur dire au revoir ni leur souhaiter bon voyage. J’ai appris récemment qu’elles parcouraient pas moins de dix-mille kilomètres en deux mois. Elles gagnent l’Afrique du Sud en empruntant une voie commune à tant de malheureux migrants: la traversée de la Méditerranée, Alger, le Sahara et le Soudan avant d’atteindre leur destination. Maintenant, je ne verrai plus les hirondelles, en fin de journée, descendre en rase motte pour venir boire à la surface de la piscine, leur ventre noir virant au bleu. Quelques criquets et quelques feuilles de prunus viennent encore faire des ronds dans l’eau. Samedi, Stéphane a arraché les pieds de tomates. La glycine, depuis les canisses, donne ses dernières grappes de fleurs.

Samedi, à seize heures, nous avons entendu le portail en bois vert et vermoulu s’ouvrir sur la voiture de ma soeur. Fantôme s’est précipité. Ma soeur avait à peine ouvert sa portière qu’il se ruait sur elle et couvrait son pantalon bleu marine de longs poils blancs. Valentin a été le premier à extraire sa grande silhouette du véhicule assez vite talonné par Margot et Charlotte. Margot, notre première nièce, qui fêtera bientôt ses dix-neuf ans n’était pas revenue à la maison depuis presque deux ans. Elle avait concentré toute son énergie et  consacré tout son temps à des études supérieures excessivement difficiles. Charlotte retrouvait vite les bras aimants de ses grandes cousines, Céleste et Victoire. Ma troisième filleule, Pauline, était également là.

Nous mettions à profit cette dernière vraie journée estivale pour partager le gâteau de trois anniversaires: celui de Céleste, fêté pour la seconde fois et ceux de Virginie et de Stéphane célébrés avec un peu d’avance. La dernière bouchée de gâteau avalé, le club des adolescents disparaissait pour tourner un film à l’initiative de Margot. Si Margot ne ressentait pas une vraie vocation pour la médecine, elle aurait pu devenir réalisatrice. De ses deux parents, elle a hérité la fibre artistique.

Le groupe des adolescents étant concentré sur le tournage du film, Virginie, Charlotte, Fantôme et moi allions rendre visite à Muguette. Muguette n’avait encore jamais rencontré ma soeur et sa dernière petite fille. Muguette est cette femme étonnante chez laquelle je m’arrête tous les matins et dont je parle souvent dans mes chroniques. Je ne lasse jamais de ces moments que je partage avec Muguette entre le potager, le jardin et l’étable. Nos visites sont très ritualisées. Avec Fantôme, nous poussons la porte du portail ouverte à notre intention. Nous entrons dans la maison et allons chercher Muguette dans sa cuisine ou son salon. En général, Pépette, sa petite chienne, dort encore sur le canapé. Muguette jette des morceaux de pain sec dans une boite en plastique bleu, se saisit de sa canne et va tirer de l’eau fraîche du puis que Fantôme boit dans l’arrosoir. Tandis que Fantôme se désaltère, Muguette et moi échangeons autour de l’actualité. Ensuite, nous  nous dirigeons vers l’enclos des moutons. Les morceaux de pain dur sont équitablement partagés entre les moutons, Kiki et Nénette, et Fantôme. Dans l’étable, Muguette verse le contenu d’une casserole d’orge aux moutons dans la mangeoire, change leur eau et leur remet un ballot de paille. La paille sent délicieusement bon. Elle vient d’une ferme qui se situe à La Cour-Marigny. C’est Christophe, l’un de ses deux fils, qui l’apporte à sa mère. Pépette adore se coucher au sommet d’un ballot.

Samedi quand nous sommes arrivées, Muguette était installée avec un couple d’amis autour d’une table en fer. La bouteille de pastis était sortie avec des gâteaux apéritifs et des glaçons. Muguette était ravie de voir Charlotte qui charme tout le monde avec  sa vivacité, sa joie de vivre, la précision de son langage et ses belles boucles blondes. Le lendemain matin, nous revenions. Dans la chambre de Céleste, Margot montait le film. Elle était flanquée de ses trois assistantes. A l’étage, Valentin et Louis cherchaient activement la queue d’un planeur.

La pluie faisait chanter de joie les oiseaux. Des odeurs de terre humide montaient au-dessus du plateau. Charlotte avançait sous un parapluie rose et blanc ayant appartenu à Victoire. Nous trouvions Muguette dans son potager. Elle était occupée à déterrer des carottes. Mardi, son fils aîné vient déjeuner avec elle. Il lui a passé commande d’un boeuf carottes. Elle nous a rejointes et nous avons été donner des carottes et des fanes à Kiki et à Nénette. Ensuite, nous sommes allées admirer le magnifique coq de Muguette. Un coq qui pourrait remporter un prix au salon de l’agriculture. Dans la basse-cour, c’est la petite nègre de soie blanche que je préfère. Muguette nous expliquait que les poules perdaient leur plumage d’été avant de se doter de leur plumage d’hiver. Avec la canne de Muguette, Charlotte était occupée à retirer le vert de gris sur les grilles du portillon.

Un peu après quinze heures, ma soeur repartait déjà avec ses enfants. Nous avions passé moins de vingt-quatre heures ensemble. Je ne savais pas quand ils pourraient revenir nous voir. Une maison à la campagne est un lieu merveilleux pour se façonner des souvenirs quand on est enfant et adolescent. Dans une grande maison, on peut tourner des films, inventer des pièces de théâtre, disputer d’incroyables parties de cache-cache, transformer les chambres en dortoir. A la campagne, on peut rêver depuis un hamac en suivant la course des nuages dans le ciel, sillonner les alentours en vélo, imaginer des chasses au trésor, s’amuser à se perdre, construire des cabanes dans les bois. Ici, les enfants ressentent toujours une vraie liberté.

Ma soeur m’a appris qu’elle n’aurait pas ses enfants à Noël. Ils seront avec leur papa, sans doute à la montagne dans sa famille. C’est la première fois que ma soeur sera sans son mari et ses enfants pour les fêtes de fin d’année. Cette situation étant particulièrement douloureuse, elle m’a prévenue qu’elle préfèrerait être seule ou partir quelque part avec un de ses amis très chers plutôt que de vivre une réunion de famille. Nous nous organiserons pour faire un petit Noël entre nous ici ou à Paris avant les vacances.

Même si un voile de tristesse enveloppait ces vingt-trois heures passées ensemble, nous étions tous heureux de nous retrouver, et ma soeur sachant si bien ce qui peut me faire plaisir avait eu la délicatesse d’arriver avec une bouteille du champagne que je préfère. Comme cela arrive dans beaucoup de fratries, ma soeur et moi avons connu des tensions et  des incompréhensions mais l’amour profond qui nous unit et la complicité forgée aux temps de l’enfance et de l’adolescence ont tenu bon et tiendront jusqu’à ce que l’une ou l’autre d’entre nous passe de l’autre côté du miroir.

A tous une belle entrée dans l’automne!

 

Anne-Lorraine Guillou-Brunner

 

 

2 commentaires sur “chronique autour d’un plateau en automne

  1. Je suis admirative et emue de l’amour qui transparait de tes chronique envers toutes les personnes qui t’entourent, et ce malgré les difficultés du quotidien. Je t’embrasse bien fort. Ton amie.

    1. Ma chère Fari,

      Je n’ai pas l’impression de déployer tant d’amour autour de moi. En fait, je me contente de faire les choses et, quand je le peux, de m’assurer que cela sera agréable pour mes proches. Je t’embrasse très fort

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