Chronique autour d’une confirmation

Les baptêmes des trois enfants, les communions et les professions de foi des filles et la confirmation de Victoire sont désormais derrière nous. Hier, nous avons vécu notre dernier rassemblement autour d’un évènement religieux. Désormais, il faudra attendre d’éventuels mariages des enfants ou baptêmes de nos petits-enfants. Toutes nos précédentes réunions familiales s’étaient déroulées à la fin du printemps et nous avions toujours pu inviter largement famille et amis et déjeuner à l’ombre des canisses de la terrasse ou des branches du prunus. Ici, la confirmation se déroule toujours au moment de la fête de Christ-Roi. La maison n’étant pas extensible à l’infini et le coronavirus aimant les temps plus froids, nous avons été contraints de limiter drastiquement le nombre de convives. Victoire tenait essentiellement à être entourée par des personnes ayant contribué à faire grandir sa foi. Elle espérait que notre ancien prêtre, Paul, qui a accompagné les jeunes de l’aumônerie pendant quatre ans serait là mais il était dans le Perche pour une réunion familiale. Pendant le pèlerinage VTT, Victoire a sympathisé avec Christine et Rémi, couple de paroissiens très investis et grands-parents de l’un des meilleurs amis de Louis. Victoire avait demandé à Armelle, l’une de ses amies, d’être sa marraine de confirmation. Les échanges que Victoire a eus avec Armelle l’année dernière ont joué un rôle très important dans sa réflexion spirituelle. Armelle et sa petite soeur sont servantes de messe tous les dimanches et leur grand frère, guitariste, anime les offices. Leur maman, Marie, née à Madagascar, est en charge du catéchisme. Victoire avait aussi invité ses deux amies proches, Léonie et Léa venue avec Guillaume et son amoureux, Louis. La vraie marraine de Victoire, Natalie, rentre du Qatar dimanche. Elle viendra nous voir plus tard.

Vendredi, dans l’après-midi, notre maman arrivait de Sceaux suivie par la maman de Stéphane partie de l’Ain. Une grand-mère toujours prête à soulager le quotidien de ses enfants épuisés partait chercher Victoire et Léa à leur descente du car et Céleste à la gare. Joie des retrouvailles familiales et bonheur de Fantôme qui adore nos deux mamans. Le soir, comme cela arrive régulièrement, mes deux mamans pour reprendre la tendre expression de Marie, font mon procès. Je n’ai pas su poser un cadre fort s’agissant de l’éducation de nos enfants ou alors j’y parvenais avant d’ouvrir le cabinet. Si réussir une éducation, c’est avoir des enfants cadenassés qui ne bougent pas, n’expriment rien et obéissent au doigt et à l’oeil alors, clairement, j’ai échoué! J’ai été souvent une maman seule avec trois jeunes enfants sans aucun soutien et j’ai fait de mon mieux pour tenir la barre contre vents et marées. Aujourd’hui, si Louis a faim en rentrant du collège et dine avant nous, si la chambre des filles peut vite se transformer en capharnaüm, je n’ai presque plus d’énergie pour lutter! Je préfère faire plutôt que de m’épuiser à répéter inlassablement les mêmes choses. Nos enfants sont épanouis, libres. Ils ne sont pas forcément dans le cadre qu’on souhaiterait sans doute car ils ont une mère hors cadre! Je me suis souvent sentie incomprise dans ce que je voulais exprimer et bridée dans ma nature profonde alors, certainement, j’ai souhaité que nos enfants ne le soient pas.

Le samedi, à quatre heures du matin, je ne parvenais plus à dormir. Dans ma tête dansaient des pommes et des pommes de terre, des crumbles et un gâteau au chocolat, des tables à installer et des rôtis à cuire. A six heures, mon tablier noir ceint autour de ma taille et avec mes camarades de France Inter, je commençais par mettre les trois rôtis à cuire dans des cocottes, continuais avec le gâteau au chocolat et le crumble et finissais avec le gratin dauphinois. Je ne pensais pas que ce serait aussi physique de couper en fines lamelles 5 kilos de pommes de terre avec une râpe! A la fin, mes doigts demandaient grâce. Claude m’a relayée. J’avais peur qu’elle se coupe le bout des doigts avec la lame. Je me rappelais les accidents avec la mandoline dans la cuisine de Gilles, rue Bréa. Dés que je sortais un plat du four s’était pour en glisser un autre! Le four a tourné six heures durant. Il faisait une chaleur tropicale dans la cuisine. Notre maman a emmené Victoire à la répétition de la messe de demain. En rentrant, elle s’attaquait à l’argenterie qui a bien besoin d’un toilettage!

Contrairement à beaucoup de femmes de la génération précédente, j’utilise couramment toutes les belles choses qui nous ont été offertes lorsque nous nous sommes mariés. Je sais très précisément qui nous a offert quoi. Ainsi, tous les matins, Stéphane boit son chocolat chaud dans l’une des tasses du service de Gien que son oncle paternel et sa femme avaient choisi pour nous. C’est avec un plaisir à chaque fois renouvelé que j’utilise les verres que mes beaux-parents nous ont offerts et qu’ils avaient acheté à Venise. Bien sûr, avec le temps, les grandes réunions, des verres se sont cassés mais ce n’est pas si grave! Ce qui serait grave, ce serait de les contempler sur une étagère, les voir prendre la poussière et ne pas les utiliser!

Stéphane était parti nous chercher du poisson, des clémentines et des fleurs pour décorer la maison. Pour le déjeuner, saumonette avec la sauce de notre père, celle qui accompagne les asperges du dimanche de Pâques, une sauce hollandaise. Pour la réussir, il faut idéalement une petite casserole à fond épais mais je n’en ai pas et j’y arrive malgré tout. Les ingrédients doivent être à la température ambiante. On presse le jus d’une moitié de citron. On ajoute deux cuillères à soupe d’eau tiède, un jaune d’oeuf, du sel et du poivre. Sur le feu, avec le fouet, on remue le mélange jusqu’à ce qu’il commence à épaissir mais, attention, à ne pas faire cuire le jaune d’oeuf! Hors du feu, on rajoute 100 grammes de beurre coupé en dés. Quand le beurre a fondu, on glisse trois grosses cuillères de crème fraîche épaisse. On peut préparer la sauce à l’avance et la réchauffer à feu très doux. Avec tous les poissons et les asperges, cette sauce est un délice!

Louis, l’amoureux de Victoire, nous rejoints dans l’après-midi. Claude emmène tous les jeunes dont Erwan, un ami très proche de Louis, dans sa voiture électrique dont les portières s’ouvrent comme les ailes d’un papillon. Ils mettent la musique à fond et partent en ville. Céleste est ravie de trouver LE manteau qu’elle convoitait: un manteau long avec une forme kimono. C’est sa mamie qui le lui offre pour Noël. Le temps change. C’est maintenant qu’elle a besoin d’un vêtement chaud. Je suis heureuse qu’il soit long car il viendra dissimuler ses longues jambes quand elle circule dans le métro ou marche dans la rue passé une certaine heure. Céleste est comme beaucoup de jeunes filles de sa génération. Elle ne comprend pas pourquoi elle devrait s’interdire des vêtements courts sous prétexte que des hommes sont incapables de refouler leurs pulsions…A 20 ans, personne n’avait besoin de me le dire. Evidemment, trouvant mes jambes affreuses, je ne les exhibais pas beaucoup! Le nombre de viols a explosé et, le plus souvent, il s’agit de viols commis à l’occasion de soirées qui dégénèrent. La pilule du violeur circule très facilement. Je continue de penser que plus les femmes exerceront les mêmes métiers que les hommes, réussiront mieux les concours qu’eux et se retrouveront de plus en plus à des postes élevés le nombre de viols ira croissant. Certains hommes finissent par avoir peur des femmes et à les détester pour cette liberté qu’elles se donnent après des générations de combats acharnés. La plupart des hommes sont capables de soumettre à leur force physique les femmes. Violer une femme, c’est assouvir une forme de vengeance. C’est se croire encore plus fort! Mais quand on la viole alors qu’on l’a droguée comment peut-on ne pas se sentir absolument misérable?

Autour d’un apéritif, Claude et les jeunes disputent des partis de rami. L’ambiance est très joyeuse. Louis veut savoir ce que nous pensons de Zemmour. Ensuite, il fait jouer sa mamie au jeu de cartes des valeurs. Ce jeu permet d’identifier sur un total de 96 cartes les quatre valeurs qui fondent notre vie. A Paris, quand nous y avions joué avec Margot, Antoine, ma soeur et ses deux grands enfants, Céleste et Victoire avaient été tristes que la valeur « amour » ne soit pas au nombre de mes quatre cartes. Quand Stéphane l’avait fait à son tour, l’amour n’était pas non plus dans son choix. Qu’en penser? Les valeurs choisies sont le reflet d’un moment donné et elles peuvent changer en fonction de ce que nous vivons ou pas.

Samedi, après le diner et les bougies soufflées du gâteau d’anniversaire de Louis, comme toujours, les jeunes partent marcher autour du plateau. Notre maman, ma belle-maman, Stéph et moi allons nous coucher. La nuit est perturbée par les allers et venus des jeunes, les rires des filles qui dorment dans le canapé-lit du bureau de Stéph, les lumières laissées à brûler un peu partout dans la maison et le chat qui nous réveille deux fois car la baie vitrée est restée ouverte…

Six heures, je me lève. Tout le monde dort. j’allume la radio. Je commence par couper en tranches fines les rôtis de porc. Je les répartis sur deux plats avec des cornichons. Je prépare la salade d’endives, noix, gruyère et pommes. Je prie pour que le gratin soit cuit! Je fais de la place sur le dessus d’un meuble que je fais disparaitre sous une nappe blanche damassée. Je sors les assiettes et les couverts. Je mets la table à l’étage sur la mezzanine pour Victoire et ses amis. Je lis le texte dont je ferai la lecture tout à l’heure à la messe. Je me regarde dans le miroir de la salle de bains. J’ai une tête affreuse et mes cheveux sont à la fois tout aplatis et pleins d’épis! Problème supplémentaire, le naevus qui est apparu sur mon visage est bien rouge. Parfois, il forme une croute et saigne. Le dermatologue a estimé inutile de le retirer. Il pose un vrai problème à notre maman qui le juge hautement inesthétique comme les rides qui marquent mon front et mes cheveux blancs que j’ai toujours refusés de soumettre au diktat des couleurs. Je n’ai aucune envie de ressembler à l’une de ces femmes avec des papillotes en aluminium sur la tête qui m’évoque les chiens présentés à des concours de beauté! Faute de pouvoir effacer 20 ans de fatigue sur mon visage, je récupère dans la trousse de toilette de Céleste la terra cotta que je lui ai offerte et qui redonne un peu d’éclat à mon teint blafard. J’enfile un tailleur pantalon/veste que j’ai acheté voici de longues années dans un Benetton de la rue de Rennes. A l’époque, je flottais dedans…maintenant, il serait presque juste. Sur le revers de ma veste, j’accroche une broche en argent avec des motifs cambodgiens que notre grand-père avait offerte à notre grand-mère. J’enfile à l’annulaire de ma main gauche une bague très moderne achetée par notre grand-mère. Un peu de mascara, un coup de crayon, du rouge à lèvres et je suis prête.

Notre maman et ma belle-maman mettent la table dans la salle à manger-cuisine. Nous utilisons l’une des nappes en madras que notre maman avait cousue pour le mariage de ma soeur et de Mathieu placé sous le signe de la Martinique. Si le cocktail avait eu lieu dans les salons très élégants de l’hôtel Regina, le dîner et la soirée se tenaient dans le Loiret, aux Alouettes, à Courtenay, chez Serge et Gunilla que nous avons connus enfants aux Antilles et qui ont hébergé Stéphane pendant toute la durée des travaux dans la maison. J’étais dans le Gard avec Céleste et Victoire et notre famille ne se reconstituait qu’un week-end toutes les trois semaines.

Notre maman part avec Victoire, Céleste et Louis. Notre Louis ne veut pas venir. Sa soeur ne lui en tient pas rigueur. Il fait ses devoirs. Avec Stéphane et sa maman, nous partons à notre tour. L’église des Cités est une immense église ultra moderne faite de briques et de grandes ouvertures lumineuses. Tout l’espace qui entoure l’autel a été magnifiquement fleuri. J’aime beaucoup la grande croix faite dans deux traverses de chemin de fer. Les 13 confirmants sont habillés en blanc. Ils portent une écharpe rouge. Trois prêtres pour célébrer la messe. Première messe de confirmation pour le Père Karl, vicaire de la paroisse d’Orléans qui se substitue à l’évêque Jacques. On sent combien les confirmants sont habités et ont mûri pendant leur année de préparation avec leurs animateurs. La retraite de deux jours chez les soeurs de Bouzy-la-Forêt a été un temps très fort. Victoire et deux de ses camarades prononcent le mot d’accueil.

Après les lectures et l’homélie du Père Karl qui nous invite à être des arbres enracinés (la racine est le symbole que les confirmants ont choisi pour témoigner de leur foi) dans notre foi mais des arbres marchant comme ceux du Seigneur des anneaux, Angèle, Maria, Elysa, Flira, Kellyah, Zorah, Anayde, Noëlla, Sara, Lisa, Jules, Vincent et Victoire sont appelés pour recevoir l’apposition des mains des prêtres et l’onction du Saint-Chrême. Chaque jeune se voit confier une mission en lien avec ses qualités. Reconnue dans sa foi profonde, Victoire est sollicitée pour donner la communion. Quelle émotion pour nous toutes et tous de recevoir la communion des mains de notre propre fille ou petite-fille ou soeur!

La messe se termine sur un chant plein d’allégresse « Par toute la terre ». Chaque confirmé rejoint sa famille avec, à la main, un petite bouquet et une icône en miniature comme celle que Louis avait choisie dans la boutique de l’abbaye de Notre-dame-des-Neiges où nous avions dormi lors de notre marche sur le chemin de Stevenson. Alors que nous sommes presqu’arrivés à la maison, nous rencontrons un chien manifestement perdu. Je le fais monter dans la voiture. Le numéro de ses parents deux pattes est inscrit sur une médaille. Louis appelle. Enrico est une sorte d’épagneul mais noir. Nous le ramenons à sa maitresse qui me dit que c’est un animal fugueur. Son mari est parti en voiture le chercher. Je me dis qu’il a de la chance de ne pas avoir été percuté par une voiture sur la départementale.

Le champagne apporté par Claude est délicieux. Les jeunes s’installent à leur table sur la mezzanine, ferment la baie vitrée et nous ne les entendons plus. Nos échanges semblent plus animés que les leurs. Alors que nous en sommes encore à boire du champagne dans le salon qui n’en est pas vraiment  et qui n’est pas loin de provoquer un incident diplomatique entre notre maman et moi, les jeunes ont déjà attaqué le rôti et le gratin! Au moment où nous en sommes au fromage, Victoire et ses amis ont fini de débarrasser la table et sont allés chercher des jeux de société dans le garage. Ouf! Le gratin est cuit mais pas très gourmand. A des années lumière de celui que prépare avec tant de générosité bressanne Patricia, la femme d’Olivier, le frère de Stéphane. Claude a apporté des magnums d’un côte du Rhône biologique que je ne connaissais pas et porte un très joli nom « Le 45ème parallèle ».

La nuit s’installe. Les jeunes sont partis se promener. Louis est reparti à Tours en Blablacar. Le garçon dont il partage le véhicule était à la messe à l’église des Cités ce matin! 17h30, la maison se vide. Les animaux sont exténués. Claude s’attaque à la vaisselle. Tout doit être lavé à la main. Notre maman et moi essuyons les verres, les couverts et les plats. Chaque chose retrouve sa place! Fantôme, en battant de la queue, a cassé une flûte. Notre maman ramène Céleste à la gare et dépose Léonie au passage. Victoire part préparer sa valise pour sa semaine à l’internat. Louis travaille avec son papa. La fatigue m’envahit. Je n’ai plus l’habitude de rester plusieurs heures perchée sur des chaussures à talon. J’ai des crampes dans les mollets. Dîner rapide et tout le monde au lit!

Victoire est ravie! C’est le plus important! Elle aurait aimé avoir plus de membres de sa famille dont ses cousins mais elle a été entourée par des personnes qu’elle aime profondément et qui ont joué un rôle important dans son cheminement spirituel. Elle est touchée par la carte de ma soeur et le petit mot de notre ex-beau-frère. Je sais que la confirmation marque vraiment un commencement et non pas une fin pour Victoire. En février, elle part à Taizé avec tout un groupe de jeunes de l’aumônerie et début aout, avec son amie Flore, elle sera brancardière à Lourdes. Cette foi profonde, cet amour partagé avec Louis, son cercle d’amis et sa vie à l’internat font de Victoire une jeune fille épanouie. Même si je suis épuisée je sais que je préfèrerai toujours faire les choses par moi-même plutôt que de les confier à un traiteur car, comme le dit Saint François : « C’est en se donnant qu’on reçoit ». Ceci dit, c’est la première et la dernière fois que je me lance dans un gratin dauphinois pour 20 personnes!

Pour finir la si belle prière de Saint François d’Assise qui pourrait nous guider tous les jours dans notre vie.

“Seigneur, fais de moi un instrument de ta paix,
Là où est la haine, que je mette l’amour.
Là où est l’offense, que je mette le pardon.
Là où est la discorde, que je mette l’union.
Là où est l’erreur, que je mette la vérité.
Là où est le doute, que je mette la foi.
Là où est le désespoir, que je mette l’espérance.
Là où sont les ténèbres, que je mette la lumière.
Là où est la tristesse, que je mette la joie.

O Seigneur, que je ne cherche pas tant à
être consolé qu’à consoler,
à être compris qu’à comprendre,
à être aimé qu’à aimer.

Car c’est en se donnant qu’on reçoit,
c’est en s’oubliant qu’on se retrouve,
c’est en pardonnant qu’on est pardonné,
c’est en mourant qu’on ressuscite à l’éternelle vie.”

 

Anne-Lorraine Guillou-Brunner

1 commentaire sur “Chronique autour d’une confirmation

  1. Ton gratin n’était pas aussi gourmand que souhaité ? Pas grave ! Il a été préparé avec beaucoup d’amour n’est-ce pas le principal ?
    Tes jeunes convives et les autres, moins jeunes, se rappelleront de cette très belle journée remolie de joies et de bonheur !
    Je t’embrasse très très fort !

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