Ce matin, quand, à 5 heures, mes yeux s’ouvrent, je suis tout de suite saisie par la délicieuse odeur de l’épicéa qui s’invite jusque dans notre chambre dont la porte est restée entrouverte. J’éteins l’alarme programmée pour sonner dans trente minutes et je referme mes yeux. Je me laisse transporter dans une forêt, dans le Queyras, à côté de Saint-Véran là où les ciels sont si clairs la nuit qu’on raconte que les coqs peuvent picorer les étoiles. La neige est tombée en abondance. Les épines des mélèzes ont une belle couleur rousse. Au-dessus d’un pont, j’entends l’eau qui cavale, invisible. J’observe les traces fraîches laissées par les animaux en fin de nuit. Pas de bruit si ce n’est celui de mes chaussures ou de la neige qui tombe lourdement des branches. Je respire profondément. Je me laisse gagner par le calme. Des baies oranges ou rouges apportent de la couleur.
C’est à regret que je laisse ce paysage de montagne en hiver et reviens au plateau. Il disparaît dans la nuit et le brouillard. Une odeur âcre de plastique brûlé flotte dans l’air. Nous entrons dans la période où la vie ici devient vraiment austère et ou il faudrait pouvoir par moment partir pour mieux traverser l’hiver humide et doux. Je m’efforce malgré tout, tous les jours, à chaque promenade avec Fantôme, à trouver des éclats de beauté dans la nature qui nous entoure mais cela devient difficile. Le potager de Muguette est triste. Il reste encore des poireaux, des carottes et des choux. Dimanche dernier, quand, avec Muguette, nous avons marché autour du jardin, elle m’a fait part de son projet de sortir son piochon pour bêcher et retirer toutes les mauvaises herbes dont son coq, Coco, est si friand.
Nous avons tous un climat qui nous correspond. En ce qui me concerne, je pense que ce sont les grands froids secs que je préfère. Une fois qu’on est bien habillés, on peut s’aventurer dehors sans avoir froid et profiter de la nature. Notre cheminée ne marche plus et nous le regrettons tous tant il était merveilleux de s’installer sur le canapé et de se laisser hypnotiser par les flammes dansant au-dessus des bûches.
L’esprit de Noël est moins présent dans la maison que les années précédentes. Sur la table de la cuisine, un pied de rose de Noël, des jacinthes blanches et un pointsettia. Dimanche, ce sont les filles qui ont décoré le sapin. Elles aspiraient à une décoration épurée. Elles ont fermement repoussé les guirlandes touffues et les sujets multicolores que Louis voulait y suspendre. Elles n’ont choisi que des objets rouges ou dorés. Dans les cartons, je regardais avec un peu de tristesse des objets en pâte à sel, des boules fabriquées par les enfants quand ils étaient à l’école qui étaient vendues au marché de Noël de l’APE, le Père Noël et le sapin réalisés au crochet par Carole qui travaillait à la cantine. Ils ne connaîtraient pas leur moment de gloire. Ils allaient retrouver l’ambiance noire du placard. Depuis que le sapin est décoré, je dois repousser les attaques du chat qui a tellement envie de disputer une partie de foot avec une des boules de Noël!
Demain, le trio aura droit, au collège ou au lycée, au traditionnel déjeuner de Noël. Cela reste un moment attendu par les élèves. Quand ils étaient encore écoliers, ils revenaient ravis du goûter de Noël organisé par les membres de l’APE. Une année, tous les enfants avaient eu des maquettes en bois. Ce matin, une petite fille, une jeune patiente, m’a dit qu’on leur offrirait un livre différent pour chacun.
Le soleil a réussi une timide percée au-dessus du plateau dont les champs se piquent d’un début de barbe verte. Avec Fantôme, nous sommes passés devant la maison de Muguette. Une voiture blanche stationnant dans la cour indiquait qu’elle avait la visite de l’un de ses deux fils. Nous n’avons pas poussé la porte du portail. Les deux moutons se reposaient sous le vieux cerisier. Nous reviendrons et nous apporterons à Muguette des jacinthes bleues ou blanches.
Anne-Lorraine Guillou-Brunner