Chronique « carrément à l’ouest »

Demain, ce sera le grand départ pour la fin de la terre, le Finistère, là où tout finit et où tout commence. Dans la voiture, quatre adolescents, notre trio et Pauline, l’une de mes grandes filleules, mais pas de berger australien. Fantôme sera malheureux de ne pas être de la partie, de ne pas aller humer les odeurs d’iode et de varech sur la plage quand le soleil, lentement, se hisse au-dessus de la ligne d’horizon et que les pêcheurs rentrent au port. Il verra Stéphane charger la voiture. Il aura envie de monter dans le coffre avant de comprendre qu’il restera à la maison avec le chaton et une grand-mère ayant écourté la fin de son séjour gardois pour veiller sur eux.

Fantôme ne le sait pas (il faudrait que je le lui chuchote dans le creux de l’oreille) mais c’est grâce à lui que j’ai pu accepter la vie sur le plateau. Tous les matins, il m’accompagne cueillir le jour, respirer les odeurs laissées par la nuit, amplifiées par la pluie. Ensemble, depuis bientôt dix ans, unie par une complicité silencieuse, nous contemplons la nature, comptons les chevreuils immobiles dans les champs, suivons le vol d’un groupe de grues, entendons les grenouilles quitter les feuilles de nénuphar pour sauter dans la mare, observons les ballets des machines agricoles, sentons le parfum des pommes et des poires, assistons au déploiement des chapeaux des champignons et sommes mouillés par la même rosée. Fantôme est un merveilleux compagnon ayant été habitué à se promener de bonne heure si bien que, lorsque je me suis fatiguée et aimerais rester au lit sans penser à rien, je le sens qui m’attend debout depuis les deux marches desservant le couloir menant aux chambres. Il me met une sorte de pression, la même que celle éprouvée par Muguette quand elle a eu une panne de réveil et que de l’enclos et du poulailler montent bêlements et caquètements.

Comme toujours, la route sera longue. Stéphane n’en pourra plus comme lorsque nous allons dans le Queyras car nous aimons les bouts du monde, les terres qui se méritent. Nous verrons se dresser la flèche de la tour sud de la cathédrale de Chartres dans un paysage plat comme le plat pays chanté par Brel. Comme tous les ans, nous nous demanderons comment il est possible de résister moralement à la vie en Beauce. L’autoroute deviendra voie expresse. Aux alentours de 16h00, nous nous garerons devant la gare de Quimper où, d’un TGV Atlantique, descendra notre neveu Valentin. Il coulera du mieux qu’il pourra son grand corps dans le Volvo. Encore 54 kilomètres et nous aurons atteint notre destination: une maison à côté d’Audierne non loin de la baie des Trépassés, sur la côté de Cornouailles, protégée au nord par la pointe du Van et au sud par la pointe du Raz dont on peut voir l’île de Sein et les rochers de Tévennec. Cette année, nous n’aurons pas la joie de pousser la porte de la maison de l’île-Tudy où nous avons tous pris nos marques depuis six ans. Nous découvrirons une autre maison dont le coût de la location était moins lourd et où draps et serviettes sont fournis et le ménage assuré le jour du départ.

Nous ne sommes allés à Audierne deux fois. La première fois, avec Séphane, nous n’étions pas encore mariés. Je voulais lui faire découvrir « ma » Bretagne. Nous avions les vélos qui nous suivraient sur les routes de la Nouvelle-Zélande. Nous avions passé une nuit à Audierne dont je n’ai conservé aucun souvenir. Le matin, nous avions embarqué pour l’île de Sein. La mer et le ciel se fondaient dans une seule et même couleur noire. Une famille et des amis accompagnaient un défunt jusqu’à sa dernière demeure. Des dauphins jouaient autour du bateau. L’ambiance était vraiment particulière! On ne pouvait pas rêver entrer en matière plus granitique pour un homme habitué à la douceur et à la chaleur sèche des îles méditerranéennes. Nous ne sommes pas revenus dans le Finistère pendant dix ans et Louis allait avoir un an quand nous avons repris des habitudes bretonnes mais dans le Morbihan, une Bretagne qui ne m’émeut pas, ne me fait pas vibrer même si elle est magnifique. La seconde fois que nous sommes allés à Audierne, nous étions avec un couple d’amis et leurs deux enfants et avions été visiter l’aquarium et assister à un spectacle d’oiseaux.

Les enfants se réjouissent de remonter sur des planches de surf et de renouer avec les apéritifs cidre et rillettes de thon ou de sardines sur des tranches de pain grillé. De mon côté, je serais heureuse de découvrir enfin la ville de Brest que je ne connais pas et pourquoi pas, aussi, Landernau dont le nom est associé à un célèbre dicton populaire et, désormais, à une fondation pour l’art contemporain.  Nous serons aux portes du parc naturel régional d’Armorique. Nous pourrons retourner à Douarnenez où nous avions été visiter le port-musée. Nous ferons le plein de coques, de tourteaux et de poissons. Stéphane aura sans doute la gentillesse de m’offrir des langoustines pour mon anniversaire. Comme le dit souvent Victoire avec l’humour qui la caractérise: « nous mangerons tous ton cadeau! ». Comme toujours, je m’extasierai devant les énormes boules bleues ou mauves des hortensias, les chemins creux et la luxuriance de la végétation. En forêt, nous aurons peut-être la chance de trouver des cèpes.

Depuis la baie des Trépassés, nous aurons tout le loisir de nous laisser porter par les légendes bretonnes comme celle racontant comment les trépassés attendaient sans un bruit par des nuits privées de lune dans la barque des morts. Si, d’aventure, un marin pêcheur croisait la barque, une voix lui intimait l’ordre de monter à bord et de tenir le gouvernail. Il prenait alors la direction du soleil couchant pour atteindre les îles Bienheureuses où les trépassés étaient débarqués. En regagnant son bateau, ll ne conservait plus aucun souvenir de ce qu’il avait vécu. Nous pourrons remonter à l’époque celtique et imaginer comment les druides morts étaient emmenés dans la baie avant de rejoindre leur dernière demeure sur l’île de Sein. C’est sur cette île que vivaient les Gallisenae, les neuf prêtresses vierges, capables de déchaîner les vents, de soulever des tempêtes en mer, de se métamorphoser en animaux, de guérir des maux incurables et de prédire l’avenir.

Sur le plateau, le sarrazin a été avalé par les moissonneuses. Je ne sais pas si les agriculteurs ont enfin réussi à semer l’orge d’hiver. Il a tant plu que la terre était devenue impraticable. Dans les jardins, les roses se sont figées comme s’il avait gelé. Les dhalias offrent de véritables feux d’artifice. Les oiseaux se régalent des graines et des boules de graisse. Stéphane est allé ramasser les dernières tomates du potager. Le matin, maintenant, il m’arrive de faire un peu chauffer la voiture avant de conduire les filles au car. Quand nous partons la nuit est épaisse. Impossible de discerner la silhouette d’un animal.

Cette après-midi, je vais trouver un moment pour aller dire bonjour à Muguette que je n’aurai vu qu’une seule fois cette semaine. Elle sera sans doute « écroulée »-comme elle le dit- sur son grand canapé en cuir noir avec Pépette à ses côtés. La télévision sera allumée mais Muguette sera assoupie. Une douce chaleur sera diffusée par le poêle Morvan. Chaque objet sera à sa place. Muguette tirera le banc en chêne pour que je puisse m’assoir. Je me sentirai lentement gagnée par une sorte de douce torpeur et devrai me faire violence pour repartir. Quand nous reviendrons, j’aurai des galettes pour notre maman et du beurre de baratte pour Muguette.

Cookie vient de s’installer sur le lit martiniquais. Fantôme dort au pied de l’escalier. Stéphane est dans son bureau au fond du jardin. Les filles sont au lycée. Louis est au collège. La machine à laver le linge tourne. Sur les fils, des vêtements finissent de sécher. J’ai abandonné des listes de choses à ne pas oublier avant le départ sur la table de la cuisine. J’aurais voulu pouvoir répondre aux deux dernières lettres que Sophie m’a adressées et qui n’ont pas quitté mon bureau mais je n’ai pas réussi. Sophie, si vous me lisez, sachez que je vais le faire pendant les vacances et que votre enveloppe « feuilles d’automne » est magnifique. Une patiente va arriver. La semaine dernière, elle m’a très gentiment apporté de la verveine citronnée de son jardin. Les petites attentions sont celles que je préfère.

Les enfants sont épuisés. Les professeurs aussi. Les parents continuent d’espérer de trouver un second souffle. La fatigue est générale. Espérons que ces deux semaines seront l’occasion de reprendre des forces pour se relancer dans la bataille jusqu’à Noël. Dans la grande boite à chaussures cachée sous un lit-clos devenu bibliothèque, les santons emmaillotés dans des feuilles de Sopalin doivent sentir que le temps de leur éveil approche.

A très bientôt!

Anne-Lorraine Guillou-Brunner

 

2 commentaires sur “Chronique « carrément à l’ouest »

  1. Bonjour ,
    Tu vas t’y plaire dans cet endroit sauvage, si tu as le temps vas visiter une chapelle ,en vérité c’est une église : ST Tugen .
    Je t’embrasse

    Marie Thérèse

    1. Chère Marie-Thérèse,
      Merci pour ton message. Nous avions vu l’église dont tu parles mais elle était fermée. Nous aurons peut-être plus de chance cette fois-ci. J’espère que ton séjour dans le Tarn s’est bien passé. Je t’embrasse

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