Chronique enneigée

Depuis mercredi matin, le plateau est tout blanc et les températures ne remontent pas assez dans la journée pour que la neige fonde. Souvent, c’est en février, qu’enfin, l’hiver semble se rappeler sa véritable nature. On a l’impression qu’il est alors déterminé à mobiliser toutes ses forces avant que la nature ne s’offre au doux réveil du printemps. La camélia rouge de Muguette n’a pas encore fleuri. Dans l’Estérel, ma tante et marraine m’a écrit que les mimosas et les amandiers étaient couverts de fleurs. Comme j’aime l’odeur du mimosa! La dernière fois que j’en ai vu ailleurs que chez les fleuristes, c’était en Haute-Corse, en Balagne. Je n’avais pas cherché à en couper. Dés qu’elles sont exposées à la chaleur des intérieurs des maisons, les boules jaunes se dessèchent et l’odeur s’évanouit.

Il arrive, début février, que je trouve déjà des violettes au pied du sapin ou cachées sous la toile du trampoline. Ces jours de neige ont redonné des couleurs aux enfants. Le mercredi, sans transport scolaire, Louis était ravi d’enfiler des après-ski et de jouer avec le chat dans la neige. Victoire avait exhumé la luge qui n’avait pas servi depuis deux ans et était partie rejoindre une amie d’enfance, non loin de la petite école où elles ont été élèves en maternelle et une partie du primaire. Hier après-midi, à nouveau, Victoire retrouvait des amis pour disputer des parties de boules de neige. Quand la vie nous semble minuscule, que nous nous heurtons à des murs momentanément privés de fenêtre, c’est une grâce de savoir reconnaître le bonheur, de le prendre à bras le corps et de l’exprimer. Hier, alors que le soleil avait glissé de l’autre côté de la ligne d’horizon, Victoire a poussé la porte du bureau de son papa où je me trouvais également et nous a dit: « Vous voyez, là, je suis heureuse. Je vis un grand moment de bonheur. J’ai fait de la luge et disputé des parties de boules de neige avec deux amis d’enfance. Sur le chemin du retour, je ne sentais pas le froid mais le grand sourire qui éclairait mon visage ».

Cet épisode de neige ouvre une fenêtre joyeuse dans un hiver humide et gris. La boue des chemins est dissimulée sous quelques centimètres blancs. C’est agréable d’entendre les semelles craquer quand on marche et de deviner le passage des lapins à leurs petites empreintes tatouant la neige. A la surface des mares, l’eau a gelé. Fantôme est taillé pour le froid. Avec sa fourrure épaisse, il se joue du vent polaire mais glisse tel un patineur débutant sur les plaques de verglas.

Avant hier, c’est en fin d’après-midi que Fantôme et moi arrivons chez Muguette. Nous trouvons Muguette et Pépette sur l’immense canapé en cuir noir. C’est à peine si Pépette soulève une oreille. Muguette éteint la télévision. Comme d’habitude, elle tire le banc et approche une chaise. Comme d’habitude, nous nous installons près de la fenêtre et du radiateur en fonte qu’alimentent en chaleur les bûches se consumant dans le poêle. Muguette a les cheveux en bataille. J’admire les rampes que ses fils ont fait installer dans la volée de marches menant à l’une des deux entrées de la maison. Ils avaient peur qu’un jour leur maman loupe une marche. Muguette m’avait dit que si la chute l’emmenait tout de suite, ce n’était pas grave mais qu’elle ne supporterait pas la dépendance et de se sentir un poids mort pour ses proches. Si c’était possible, je viendrais m’installer dans la salle à manger de Muguette pour écrire. Je ne me lasse pas de cet endroit calme où chaque objet est veillé avec soin, de cette chaleur qui apaise, des assiettes en faïence accrochées au-dessus du vaisselier et des objets agricoles en bois suspendus au-dessus de la maie. Fantôme a eu droit à des petits morceaux de pain dur avant le départ.

Hier matin, avec Fantôme, nous avons trouvé Muguette devant chez elle. Elle était de fort mauvaise humeur. Comme elle nous a dit que ce n’était pas le moment, nous n’avons pas insisté et avons poursuivi notre chemin. Certainement, Muguette avait dû avoir du mal à se réveiller. Les poules et les moutons devaient être mécontents. Elle se sentait d’autant plus bousculée que l’un de ses deux fils devait venir dans la matinée et l’emmener faire des courses. Son fils cadet souhaitait certainement aussi vouloir s’assurer que la neige n’avait pas rendu le quotidien de leur maman trop compliqué. Mercredi matin, j’avais constaté qu’Eugène avait eu la gentillesse de dégager un chemin allant de la maison au hangar et à l’étable et de la maison à la boite aux lettres. Le tracé était impeccable!

Ce n’est qu’en fin de journée que le soleil se déploie amplement pour faire scintiller la neige. Un vent glacial agite nerveusement les branches du sapin. Louis va rentrer certainement transi du collège. Il ira se réchauffer dans un bain chaud après avoir avalé quelques uns des pancakes réalisés par Victoire, entre deux cours en visio. Céleste s’essaie à la perspective cavalière et elle est très douée! Demain matin, je reçois une lycéenne. Interne, elle ne peut consulter que le samedi. Si je suis privée de ma petite sortie hebdomadaire marché et médiathèque, je suis heureuse de sentir que nos séances apaisent cette jeune fille courageuse et volontaire.

Si vous êtes en quête d’un roman, je peux vous conseiller la lecture d’un des romans de Gaëlle Nohant, « La femme révélée ». J’avais découvert tout à fait par hasard cet écrivain entre les rayons de notre médiathèque. J’avais adoré la biographie qu’elle avait consacrée au poète Robert Desnos et dont j’avais fait une chronique. Dans ce roman, Gaëlle Nohant raconte la vie d’une femme artiste américaine contrainte de quitter Chicago, sa ville natale, et son unique fils pour échapper à un mari résolu à la voir morte plutôt que de consentir à leur séparation. Arrivée à Paris sans argent et sans repère, elle sera baignée dans l’atmosphère des caves de jazz et deviendra une photographe célèbre. Une fois qu’on a commencé le roman, on a du mal à l’arrêter.

Pour finir sur une note légère, je partage avec vous cet extrait d’un des livres de Sylvain Tesson « Dans les forêts de Sibérie ». J’avais beaucoup ri en découvrant cette coutume russe. Ce récit a dix ans. J’en avais savouré chaque page et pensais que j’aurais aimé avoir Sylvain Tesson comme patient. Ce récit m’avait d’autant plus portée que Stéphane avait eu la chance de vivre une aventure extraordinaire sur le lac Baïkal gelé.

Anne-Lorraine Guillou-Brunner

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