Les jours rallongent. Les oiseaux entament leur concert de plus en plus tôt. Mon cerveau le devine à travers les volets fermés. Je n’arrive plus à rester au lit. Je me lève un peu avant 6h00. C’est toujours le même rituel: caresser Fantôme, le nourrir, ouvrir au chat, le caresser et le nourrir également, allumer la radio et écouter le journal de France Inter, vider le lave-vaisselle, allumer la machine à café, faire griller du pain, prendre mon petit-déjeuner, donner un morceau de beurre à Fantôme, enfiler mes chaussures de marche, ma veste et mon bonnet, prendre la laisse et gagner la route par le portillon vert que le lichen grignote. Il fait très frais et mes doigts s’engourdissent. Fantôme est d’humeur vagabonde. Je le laisse décider de la promenade. Nous passons devant la maison de Muguette. Tout est encore fermé et les poules sont au chaud dans le poulailler. Cela fait maintenant plus de quinze jours que nous n’avons pas vu Muguette. Comme elle continuait d’accueillir tous les matins pour un café Eugène dans sa petite cuisine et qu’Eugène et sa femme veillaient sur leurs deux petits-enfants malades du Covid, j’avais estimé préférable de ne plus venir alors que nous allions être nombreux pour Pâques. Mais, déjà avant, il y avait eu cet apéritif à la maison pendant lequel, brutalement, parce que son fils avait évoqué le mauvais caractère d’une partie de la famille de sa mère, Muguette s’était levée de son banc et était partie sans un merci ni un au revoir. Encore avant, elle m’avait très mal parlé alors que j’évoquais les moutons qu’elle avait fait le choix de confier à une ferme pédagogique. Je crois que quelque chose s’est cassée entre nous. Je ne sais pas quelle relation nous aurons toutes les deux quand je retournerai la voir. Parfois, il faut seulement donner du temps au temps. Mais, ce qui est compliqué pour moi, c’est que je suis une personne qui a besoin de dire les choses pour crever les abcès et que Muguette, elle, ne parle pas ou alors écrase l’autre en haussant la voix pour le réduire au silence.
Nous passons devant la maison de Muguette et progressons sur le chemin qui s’ouvre entre des champs désormais bien verts. Fantôme et moi entendons sonner les cloches de l’église dans laquelle Victoire et Louis ont reçu le baptême. Je ne m’attendais pas à ce qu’il fasse aussi frais. Nous admirons longuement un chevreuil solitaire à fesses blanches avant qu’il n’entre dans le bois. Fantôme me conduit jusqu’à l’ancienne école des enfants où ont été plantés différentes espèces d’arbres et aussi des framboisiers, des groseilliers et des muriers. J’imagine des petits doigts s »appliquant à détacher les fruits des branches et des bouches rouges et mauves. Depuis la pandémie, les bureaux de vote ont glissé de la mairie à la salle polyvalente accueillant spectacles de fin d’année, pièces de théâtre, projections de film et même une sophrologue en sabots pour des séances organisées par la MSA. Devant la salle, sur les panneaux électoraux, seulement l’affiche de Marine Le Pen. J’envoie un sms à la femme de notre maire pour le lui signaler. Il est impératif que l’affiche d’Emmanuel Macron soit présente! Encore quelques violettes entrées en résistance à couvert des arbres. Ces marches au point du jour sont tellement ressourçantes!
Notre magnifique week-end pascal semble déjà loin. Voici ce que j’écrivais dans mes posts: » Avec Victoire, nous partons pour la grande église des Cités, celle qui est réservée aux grands évènements. Nous sommes nombreux à fixer les flammes jaillissant du feu nouveau. Nous nous laissons gagner par sa chaleur nouvelle et entrons dans l’église plongée dans l’obscurité éclairées par un cierge. Beaucoup de visages connus. Les jeunes musiciens sont épatants. Un félicite pour le pianiste qui vient toucher et réveiller nos âmes parfois endormies. L’homélie de Xavier est pleine d’allégresse. Deux jeunes femmes reçoivent le baptême. Emotion de les voir rejoindre la grande famille chrétienne. Je prie pour la soeur ainée et le mari d’Isabelle. Sa soeur est en soins palliatifs. Son mari après avoir reçu une greffe cardiaque ne va pas très bien. Tous les deux jours, Isabelle va les voir. Hier, avec douceur, elle me dit être chanceuse car en région parisienne, les hôpitaux ne sont qu’à 8 kilomètres l’un de l’autre. Je prie pour la guérison de son mari et pour que sa soeur s’endorme sans plus souffrir après avoir tant lutté. Le Christ est ressuscité. Il est vraiment ressuscité! La lune, en majesté, nous raccompagne jusqu’aux voitures. Avant, sur le parvis, quelques mots échangés avec Didier qui fut notre prêtre rural et dont les marques profondes sur le crâne témoigne de ce génocide auquel il a survécu à Kingali. A la maison, nous retrouvons les garçons qui s’apprêtent à partir faire une promenade en vélo. Ce matin, un ciel lumineux. La chasse aux oeufs sera joyeuse et le déjeuner très vivant!
« Boucle d’or qui se lève vient s’allonger dans le canapé et me demande si les cloches sont passées. Il est un peu plus de neuf heures. Une grand-mère est en route et tous les grands enfants dorment encore, la plupart sous les tentes. Je dis à Charlotte que les cloches m’enverront un sms pour me prévenir de leur arrivée. La maisonnée se réveille. Les campeurs ont eu froid. La température est descendue à 2°. Céleste fait retentir une cloche. La chasse peut commencer. Charlotte est aidée dans sa quête par les plus grands. Elle va de surprise en surprise. Les cloches ont laissé tomber également un ravissant livre et un Kiki prêt pour le Finistère avec son ciré et ses bottes. Sous les canisses qui, sans le gel, devrait avoir disparu sous les bras enveloppants de la glycine, les bulles de champagne sautillent dans des flutes vénitiennes. Stéphane régale la joyeuse tablée avec des carrés d’agneau parfaitement cuits. Après le déjeuner, chacun donne libre cours à ses envies : réalisation d’un puzzle posé dans l’herbe, guitare, sieste ou lecture dans les hamacs, parties de carte ou de badminton, peinture d’œufs ou peinture sur le corps, échanges autour de la psychanalyse. L’ambiance est à la joie d’être ensemble et de profiter du jardin. Le soir, c’est Stéph et moi qui gagnons notre vieille tente. Trop fatigués pour se remémorer des souvenirs de notre grand voyage ! Aujourd’hui, ma sœur et ses enfants sont obligés de repartir avant le déjeuner. Les trains ont été pris d’assaut. »
« Un magnifique week-end touche à sa fin. Le soleil décline mais l’ambiance est toujours aussi joyeuse sur la terrasse. Pauline, ma seconde filleule, étudiante en prépa à Dijon, est venue nous rendre visite. Le rythme de la prépa est si intense que nous n’avions pas pu nous revoir depuis de longues semaines. Romane, une amie de Céleste, étudiante en art à Tours, est arrivée après le déjeuner et a emmené toute la bande faire un accrobranche. Hier, les cousins et Louis étaient partis faire un feu de camp sur le plateau et disputer des parties de rami. Ce matin, j’ai laissé Charlotte jouer avec la maison de poupée qu’elle convoitait depuis plus d’un an. Ensuite, nous avons été sauter dans le trampoline et, avec sa maman, nourrir les trois moutons et les deux agneaux. Cette maison est vraiment associée à l’ouverture et à la liberté. J’aime que tout le monde puisse faire ce qu’il a envie de faire sans se sentir contraint. Grand calme passager dans la maison: le groupe est parti acheter de la junk food pour le dîner. Si je me couchais maintenant, je pense que je m’endormirais très facilement! »
« Marcher jusqu’à un village voisin en empruntant le pont qui enjambe l’Ouanne, s’amuser à se faire peur à l’approche d’un entrepôt abandonné, se remémorer des souvenirs d’enfance devant l’ancienne école, raccompagner Pauline jusqu’à sa maison, conduire sur les petites routes, refaire le monde autour d’un feu de camp, prendre des bains moussants, peindre la peau de l’une de ses cousines, jouer à la maison de poupée avec sa grand-mère, disputer des parties de rami avec sa mamie, échanger autour du théâtre et des musées, achever un puzzle de 1000 pièces, s’accrocher dans les arbres, rêver dans un hamac. Pendant presque trois jours la tribu a cousu un patchwork de souvenirs heureux. Pour le prochain feu de camp, Valentin devrait prendre la guitare et vous pourriez faire fondre de la guimauve. Un peu dur le réveil à 5h45 mais le ciel était clair et le quai de la gare très fréquenté pour le train de 7h20. »
Une patiente ne va pas tarder. Je vais avoir la délicate mission de lui expliquer qu’elle ne peut plus laisser l’anxiété flamber et qu’elle doit prendre rendez-vous avec le psychiatre dont je connais la femme et que j’ai appelé hier. C’est grâce à un long appel de sa soeur que j’ai pu mesurer le niveau d’angoisse de madame D. Quand elle vient me voir, elle n’est pas en proie à une telle angoisse si bien que je ne la sentais pas en danger. Madame D a besoin d’un traitement qui va la stabiliser et l’aider à renouer avec un quotidien plus serein. Je l’évoquais dans mon post de mercredi matin: « Hier, à la table du diner, comme la maison est calme! Céleste a repris son train pour Paris le matin. Louis est reparti en fin d’après-midi et notre fils est allé disputer une partie de billard avec des amis. Notre maman s’installe devant Arte et regarde des épisodes de la saison 2 de « En thérapie ». La première saison m’avait terriblement ennuyée en dépit des qualités de jeu exceptionnelles de Frédéric Pierrot. Dans la saison 2, Jacques Weber et Suzanne Lindon sont remarquables! Si tous les psychiatres étaient non seulement psychanalystes mais également aussi bienveillants que le Docteur Dayan on compterait moins de dépressifs chroniques et de suicidés! Hier, j’ai eu des séances très lourdes et je m’inquiète beaucoup pour l’une de mes patientes qui est désormais en proie à une anxiété paralysante liée à un épuisement émotionnel provoqué par les longs mois de pandémie. Ne plus voir les siens, ne plus prendre soin de ses petits-enfants, ne plus voir ses amis, ne plus voyager, vivre auprès d’un homme taiseux, souffrir de douleurs chroniques, espacer pendant de longs mois nos séances. Tout ceci est déjà difficile mais si on ajoute une anxiété qu’une hyper activité jugulait et qui flambe car on tourne en rond et on se sent inutile et une fille char d’assaut qui n’est que critique cela devient très dur de garder le cap. Demain, je vais devoir orienter ma patiente vers un psychiatre pour qu’ensemble ils mettent en place le traitement qui la stabilisera et que nos séances puissent à nouveau porter leurs fruits. »
Quand ma belle-mère est arrivée samedi en fin d’après-midi, elle m’a parlé de cette émission passionnante qu’elle avait suivie sur France Culture et qui racontait la vie de Fréhel, grande chanteuse réaliste. Elle souhaitait que je prenne le temps d’écouter l’émission. Je l’ai fait hier. J’ai mieux compris pourquoi notre père aimait Fréhel, née Marguerite Boulc’h à Paris le 13 juillet 1891 de parents originaires du Finistère. La mère de Fréhel ne pouvait pas s’occuper de sa fille si bien qu’elle l’avait confiée à sa mère pendant quatre ans. La grand-mère bretonne souffrant d’alcoolisme ne fut pas une femme douce et aimante pour la petite fille si souvent livrée à elle-même. Revenue à Paris, sa mère la fit travailler pour l’entreprise Cérébos. Elle livrait du sel dans les restaurants et les cafés. Mais la petite fille chantait sans cesse si bien qu’elle était toujours renvoyée des emplois qu’elle occupait. Jeune fille, Fréhel était ravissante avec ses longs cheveux roux, ses yeux pervenche et sa taille de guêpe. Elle avait un succès fou auprès des hommes. C’est celle qu’on surnommait la Belle Otéro qui propulse Fréhel sur scène et lui suggère de se faire appeler Pervenche Fréhel, bientôt Fréhel tout court. Fréhel comme ce cap fier et torturé qui affronte les tempêtes d’une mer tourmentée entre Saint-Brieuc et Saint-Malo.
Le succès de Fréhel est fulgurant. Elle est la première femme en France à graver un 78 tours de chanson en 1908. Elle ne chante pas seulement ses textes, elle les vit pleinement. Elle s’inscrit dans la lignée de cette chanson réaliste imaginée par Aristide Bruant pour dénoncer les souffrances du peuple français. Au plus haut de sa gloire, quand elle fréquentera la haute-aristocratie russe au cabaret de Saint-Petersbourg, jamais Fréhel n’oubliera qui elle est et d’où elle vient. Elle ne cherche pas à être une autre. Elle puise dans son histoire faite de solitude, de désamour, de violence et de pauvreté pour interpréter ses chansons. Les drogues l’aident à oublier ses blessures. Elle consomme tant de cocaïne qu’elle n’a plus de cloison nasale. Elle boit jusqu’au naufrage, jusqu’à l’amnésie mais, quand elle chante, elle renait de ses cendres. Pas aimée par ses parents, violentée, elle perd son seul enfant mort de faim à un an car la nourrice ne lui donnait pas à manger. Elle est quittée par Maurice Chevalier qui se sauve d’un amour qui allait le détruire et se répare dans les bras de Mistinguett. Elle disparait pendant dix ans dans les pays de l’Est. Elle est une star en Russie et en Roumanie. Elle s’éprend d’un officier russe, devient fermière en Moldavie. A la mort de son officier, elle perd à nouveau pied. Elle se retrouve à Istanbul, plaque tournante de la drogue. A trente ans, elle est une épave et se prostitue.
En 1924, elle est de retour à Paris. Le directeur de l’Olympia se démène, avec quelques amis fidèles, pour la faire remonter sur scène. Et son passage à l’Olympia est un triomphe, même si son public est saisi en la voyant si mal en point physiquement. Pour lui, elle chante à nouveau ses addictions, sa nostalgie, les voyous des fortifications, le quotidien de la prostitution, les “filles de l’eau“, comme on appelait les candidates au suicide par noyade, et l’accordéon musette, qui est le roi des instruments. Le cinéma lui tend les bras. Elle fera des apparitions dans 17 films dont Pépé le Moko ou Le roman d’un tricheur. Charles Trenet lui écrit une chanson très drôle Le fils de la femme-poisson. Elle qui aime tant le cirque se régale à la chanter!
https://www.youtube.com/watch?v=Hw-AK1bF7T0
Elle s’éteint en 1951 seule dans la chambre sordide d’un hôtel de passe de la rue Pigalle. Elle sera toujours restée très attachée à ce quartier interlope où les belles de nuit, les danseuses pailletées, les voyous, les grands bourgeois, les faux aristos et les artistes tourbillonnent dans la lumière des cabarets. Sa mort provoque une grande émotion. Elle est enterrée dans le cimetière de Pantin. Ni la gloire ni l’amour de son public n’auront réussi à réparer en chez Fréhel l’absence d’amour parental réveillé par la mort de son petit garçon, le départ de Maurice Chevalier et la disparition d’Eugène sur le front pendant la Grande guerre. Fréhel semblait vivre comme si chaque jour était le dernier.Johann G. Louis, dessinateur, qui a consacré un album à Fréhel aimerait que ses restes soient ramenés dans le cimetière de Montmartre. Pour moi, Fréhel rimera toujours avec la java bleue.
https://www.youtube.com/watch?v=ajNXqo-zZDY
Normalement, avec les enfants, Stéphane et moi devrions être en ce moment en Ouzbékistan. Je rêvais de faire vivre un vrai grand voyage à notre trio dans une région du monde qui me fascine depuis que je suis adolescente. Il faudra encore attendre avant de pouvoir mettre se projet à exécution. Demain, nous ne nous envolerons pas pour l’Asie centrale mais pour Moulins, dans l’Allier. Nous découvrirons le musée nationale du costume qui consacre une exposition aux costumes du carnaval de Rio, la cathédrale Notre-Dame de l’Annonciation et son triptyque et, peut-être aussi, le musée de l’illustration jeunesse. Je continue d’acheter des albums jeunesse pour le plaisir des illustrations!
Anne-Lorraine Guillou-Brunner