Chronique d’un Paris au mois d’avril

Samedi 13 avril: notre cadette ouvre les yeux sur sa dix-neuvième année, à Paris, dans le lit de sa soeur aînée et d’Antoine partis en vacances à Madère. Tout à l’heure, j’irai l’attendre sur le quai de la gare. Elle descendra d’un Intercités. Avant de la serrer fort dans mes bras, je verrai passer en accéléré des images de Victoire: sa naissance à 5h43, ses premiers pas, son entrée à la crèche, les débuts à l’école maternelle, à l’école primaire, au collège, au lycée, des fêtes d’anniversaire, des réussites scolaires et sportives, son pouce dans la bouche, ses essais avec la machine à coudre, la pile de livres entassée au pied de son lit, son installation dans sa vie d’étudiante, des moments de complicité mère/fille. Elle ne fera qu’un très court passage à la maison. Sa jumelle de coeur, Léa, née le même jour qu’elle, viendra la chercher et elles rejoindront un groupe d’amis qu’elles connaissent depuis la maternelle. Il fera beau. La bande déjeunera en terrasse. Ils seront heureux d’être réunis.

Maintenant, Victoire et moi avons pris place dans un transilien. Il marquera toutes les gares jusqu’à Melun avant d’arriver à Paris, gare de Lyon. Les fauteuils sont très raides. Victoire cale sa veste sous sa tête. A l’expression de son visage, à ses lèvres légèrement entrouvertes, à sa respiration plus profonde, je sais qu’elle s’est endormie. Elle sort d’une semaine intense d’évènements organisés en vue que la liste d’étudiants qu’elle a rejointe soit élue au Bureau des Arts. A sa demande, mercredi, Stéphane partait à Reims pour présenter aux élèves un atelier sur les techniques anciennes de fabrication des couleurs et des toiles. Les jeunes avaient été très intéressés. Il fait très beau, très chaud. Le père et la fille avaient été heureux de partager ce moment. Le train se remplit de cyclistes: des Parisiens partis s’aérer dans la forêt de Fontainebleau. Les joues, les nez, les bustes, les bras et les mollets portent les marquent du premier soleil. Gare de Lyon, une impression de grandes vacances et une odeur de poisson grillé dans l’air. Ligne une, beaucoup de monde. Je descends à Concorde. Victoire poursuit jusqu’à Champs-Élysées-Clemenceau. Tout à l’heure, sur les quais de Seine, elle ira retrouver des amis de son ancienne aumônerie du lycée, quatre amis avec lesquels elle a vécu l’expérience aussi forte qu’inoubliable des quinze jours des JMJ au Portugal.

A Lamarck-Caulaincourt, je retrouve ma soeur. Boucle d’Or est au bord de la mer. Juste le temps de poser ma petite valise et nous partons déambuler dans ce quartier si agréable. Ma soeur porte une ravissante robe jaune en dentelles et des chaussures laissant deviner des orteils vernis. Plus de touristes que de Parisiens. Place des Abbesses, ma soeur m’offre mon premier sorbet de l’année. Nous nous installons à la terrasse d’un café où Cerise vient nous rejoindre. Echanges joyeux autour d’un verre de rosé. Les cloches de l’église Saint-Jean-de-Montmartre sonnent à toute volée la messe de 18h30. Cette église a une façade étonnante. Elle est couverte de briques et de mosaïques. Nous rentrons tranquillement chez ma soeur où nos bavardages se poursuivent autour d’un dîner.

Dans la nuit, le ciel s’est voilé et le vent a fait chuter les températures. Comme toujours, j’ai plaisir à me réveiller en entendant monter du sol le bruit étouffé des rames de métro et des toits les roucoulements des pigeons. Le compagnon de ma soeur nous rejoint et nous partons au musée d’Orsay. Nous entrons sans attendre dans l’une des deux expositions que le musée consacre aux cent cinquante ans de la naissance de l’impressionnisme. Beaucoup de monde dans les salles. Dans l’exposition Paris 1874, on se rappelle que les artistes appartiennent à une génération qui a traversé deux crises majeures: la guerre de 1870 qui a vu l’annexion par la Prusse de l’Alsace et de la Lorraine et la Commune de Paris de 1871 qui a provoqué la mort de 20000 personnes. En 1874, la première exposition de ces peintres rebelles se tient dans les anciens ateliers du photographe Nadar au 35, boulevard des Capucines.

Parmi les participants, on trouve Berthe Morisot, Auguste Renoir, Paul Cézanne, Eugène Boudin, Paul Cezanne, Edouard Degas, Alfred Sisley, Camille Pissarro, Claude Monet, Stanislas Henri Rouart et d’autres dont les noms ne nous évoquent plus grand chose. Manet préfère exposer son travail au Salon officiel. Malheureusement, l’exposition est un échec pour les artistes qui décident de liquider leur Société nouvelle. Dans un article du journal satirique Le Charivari, Louis Leroy, graveur et critique, imagine le mot impressionniste à partir du légendaire tableau de Monet Impression, soleil levant. L’exposition met aussi à l’honneur des peintres présentés au Salon officiel la même année. Il s’agit de mettre en lumière ce qui peut séparer les peintres impressionnistes de leurs confrères aimant surtout à peindre des sujets depuis leurs ateliers. Les scènes mythologiques et religieuses sont encore en vogue. De cette exposition, je conserverai les personnages délicatement esquissés par Boudin, la puissance du portrait au pastel par Berthe Morisot de sa soeur aînée Edma Pontillon, enceinte de Blanche, son second enfant et un Caillebotte appartenant à une collection privée. Elle représente des peintres devant la façade d’une boutique. Tout au long de l’exposition, je pense à Frédéric Bazille, mort au combat le 28 novembre 1870 à Beaune-la-Rolande, à l’âge de 29 ans. S’il avait vécu, il aurait été certainement l’un des peintres impressionnistes les plus célèbres. J’aime tout particulièrement deux de ses toiles: Scène d’été et Réunion de famille. Dans son magnifique roman, Les deux remords de Claude Monet, Michel Bernard racontait combien la mort prématurée de Frédéric Bazille avait hanté le peintre de Giverny.

Avant de quitter le musée d’Orsay, nous allons admirer la vue extraordinaire que l’on a sur Paris depuis la grande horloge, quelques toiles de Van Gogh et Les raboteurs de parquet de Caillebotte que ma soeur affectionne particulièrement. Le soleil est revenu au-dessus de la Seine. Nous rejoignons Victoire et ses amis dans un restaurant près de l’église Notre-Dame-de-Lorette pour un déjeuner aussi joyeux que délicieux. Victoire repart avec ses amis. Je l’embrasse. Je ne la reverrai sans doute pas avant la mi-mai. Ma soeur et moi déambulons dans les rues jusqu’au musée des arts décoratifs. Des travaux sur les façades condamnent l’entrée rue de Rivoli. Nous passons par-derrière. Nous entrons dans l’univers très riche de la styliste de haute-couture hollandaise, Iris Van Herpen. Dans son atelier avant-gardiste, Iris Van Herpen fait fusionner les subtilités de l’artisanat avec l’esprit pionnier de l’innovation. Ainsi, elle recourt aux technologies modernes pour réaliser ses modèles: moulage en silicone, impression 3D,  découpe au jet d’eau au plissé ancien et sculpture aimantée. Elle puise son inspiration du côté des méduses, de l’eau, des planches illustrées du biologiste Ernst Haeckel qui mirent en lumière au XIXe siècle les êtres microscopiques, des états de conscience modifiée, les chimères et du cosmos. Si j’ai beaucoup aimé le film qui permet de comprendre la manière dont l’artiste travaille, je suis restée en dehors de son univers (pour moi) assez froid, trop cérébral.

Un thé tardif, un dîner léger, des échanges autour du Japon que ma soeur s’apprête à découvrir et la journée s’achève. Lundi, un peu avant 9h00, je suis assise dans l’Intercités qui va me ramener en 50 minutes. Beaucoup de monde et de nombreux voyageurs quatre pattes. Le manque laissé par notre Fantôme est toujours là. J’aurais volontiers prolongé mon séjour. Ces quelques heures parisiennes vont me nourrir pendant plusieurs semaines. A la maison, la glycine n’a jamais été aussi belle! Désormais, elle recouvre tous les canisses déroulés au-dessus de la terrasse. La ligne d’horizon est toujours jaune colza. Les coeurs roses des pivoines commencent à sortir. Espérons que la pluie, le vent et les dernières gelées ne les empêcheront pas de s’épanouir. Je ne coupe plus les fleurs et n’en achète quasiment plus jamais. Je préfère les observer dans le jardin. Le rosier ancien nous a offert sa première rose dont le parfum est toujours aussi délicieux. En lisière de champ, j’ai découvert le premier coquelicot. Dans le ciel, les hirondelles sont revenues. Les terres ont été labourées.

Quinze jours se sont écoulées depuis l’anniversaire de Victoire et mon escapade parisienne. Nous avons eu la visite de notre aînée. Maintenant, les échanges à distance ont repris avec les filles. L’une me demande ce qu’elle pourrait faire à Paris, me fait participer à la préparation collective d’un atelier pour l’une de ses épreuves de seconde année d’IFSI, souhaite savoir quels films nous avons récemment aimés. L’autre m’envoie un documentaire sur la socialisation politique de la famille, une photo de l’une de ses amies révisant avec elle à la médiathèque, commente le dernier film qu’elle a vu. Une semaine de vacances est en passe de s’achever. Le Gard m’a manqué mais il ne me semblait pas possible de laisser notre fils, qui ne voulait pas nous accompagner, seul à la maison pendant une semaine avec une moto comme unique moyen de locomotion. Dans la prochaine chronique, je vous raconterai ces quelques jours et notre découverte du parc floral d’Orléans. La serre aux papillons est magique!

A bientôt!

Anne-Lorraine Guillou-Brunner

 

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