Chronique intuitive d’une sophrologue en passe de laisser ses sabots

Ce matin, je me suis réveillée à cinq heures et ai réussi à remonter dans une sorte de train express qui m’a fait voyager dans un rêve étonnant. Le plateau qui s’étire sous les fenêtres de la maison et dont le large dos ressemble, après la moisson, à un chat hérissé par la peur était couvert de grandes caravanes et de roulottes en bois tirées par des chevaux. Des dizaines de familles de gens du voyage étaient venus y installer leur campement. Déjà, des vêtements étaient suspendus aux branches du noyer et des enfants jouaient. Je passais avec Fantôme, notre fidèle berger australien, et rencontrais Alice, une de nos voisines. Je lui parlais de la liberté et de la légèreté que j’ai toujours éprouvées à la vue des gens du voyage.

Je vis la plupart du temps retranchée dans la longère que mon mari a entièrement restaurée et dans laquelle j’ai aménagée mon cabinet surnommé Ar Men en hommage au Finistère et en souvenir des longues nuits que j’y ai passées à écrire voyant monter les premières lueurs du jour au-dessus des champs et habitée par le sentiment que la lumière émanant de mon bureau avait gardé les bateaux loin des récifs. Une des fenêtres de mon phare donne sur un immense plateau, un océan céréalier. Le contraste entre la vie que je mène ici et celle que j’avais à Paris est saisissant. Clairement, ce rêve me disait mon besoin de liberté, d’évasion, d’ailleurs. Je crois vous l’avoir déjà dit. Depuis l’enfance, je me sens en communion avec les peuples nomades qui, malheureusement, de par le monde, sont de plus en plus contraints à la sédentarisation. Je sais la dureté de leur vie, l’incapacité pour leurs enfants de suivre une scolarité normale et, chez certains parents, le refus de les laisser accéder à la lecture qui est une authentique liberté par peur de les voir remettre en question la loi immémoriale du groupe. Je sais les violences qui peuvent régner chez certaines tribus nomades. Bien que je n’aie pas vécu avec ma maison sur le dos, j’ai beaucoup déménagé. J’ai toujours envié cette liberté que je ressentais chez les nomades et, par ailleurs, cette capacité à vivre dans le moment présent, au plus près de la nature sans la piller.

Depuis l’enfance, je me sentais attirée par les peuples nomades avec lesquels je partageais une croyance animiste. Tout était vivant autour de moi. Je n’étais qu’un élément d’un tout. Je n’étais pas supérieure à la nature, à la faune et à la flore, aux océans et aux montagnes, aux rivières et aux glaciers. Je faisais partie du même ensemble et je devais prendre soin de tout ce qui m’entourait. Je ne cherche pas à rationaliser les choses. Je me contente de les sentir, de les ressentir. Si j’étais née et avais grandi dans une famille amérindienne, il est possible que je sois devenue chaman. J’aurais aimé entrer en communication avec les âmes des arbres, des animaux, des fleuves, des ancêtres. J’aurais aimé guérir les maux du corps et de l’esprit par des incantations, des appositions des mains, des décoctions. Notre grand-mère maternelle possédait un fluide incroyable. Elle avait aussi l’oreille absolue et un odorat digne d’un animal sauvage. Elle avait eu des visions, malheureusement, des visions sombres. Elle avait anticipé la mort de personnes en leur tenant la main. Elle avait trouvé cela si violent qu’elle avait lutté pour éteindre en elle ce don.

Comme notre père, son gendre, elle était très intuitive. Elle sentait les gens. Très vite, elle savait si c’était ou non de bonnes personnes. Je pense avoir reçu ce don en héritage qu’avec la pratique de mon métier je développe un peu plus tous les jours. Je n’intellectualise pas un être. Je ne l’étiquette pas avec une vignette. Il ne devient jamais un « cas ». Je me capte à l’être par un faisceau invisible de petits câbles qui plongent profondément en lui. Ma connaissance d’un être est avant tout intuitive. C’est encore mon intuition qui m’aide à tendre des ponts entre des évènements et leurs répercussions, entre la vie d’une arrière-grand-mère et celle de son arrière-petit-fils. Les mots ne viennent qu’après.

Hier, avec Stéphane, nous avons regardé un documentaire passionnant sur les panseurs de secret de Philippe Rouquier: barreurs, coupeurs, magnétiseurs, rebouteux, leveurs. La médecine traditionnelle peine encore à expliquer comment ces femmes et ces hommes parviennent à guérir ou à soulager. Cela passe par des prières, des incantations, du magnétisme, des appositions des mains. Ce qui est évident, c’est que cela ne fonctionne que si celui qui vient consulter pense que cela va marcher. Le guérisseur fait passer dans le sytème neuronal de celui qui consulte un message de confiance qui active réellement la confiance. Sans confiance réciproque, il ne se passera rien car rien ne pourra passer du guérisseur à celui qui est venu chercher la guérison.

https://www.youtube.com/watch?v=ODo0fJV05Yg

Je sais que si j’obtiens de si bons résultats avec mes patients, et avant avec mes étudiants, c’est parce que, dès le départ, je les investis d’une totale confiance. Je ne doute jamais de leurs capacités à y arriver, à mobiliser les ressources nécessaires pour se libérer de leurs peurs, digérer leur histoire, aller de l’avant. Cette confiance en eux rejoint la confiance dont ils m’investissent et la confiance que j’ai en moi de ma capacité à vraiment les aider à aller mieux. Il faut donc trois confiances pour que l’alchimie opère et qu’une quatrième confiance voit le jour ou renaisse de ses cendres: la confiance du patient en lui-même. Mais sans la volonté que les patients  mettent à investir les séances et, par la répétition, à permettre à leur cerveau de fonctionner autrement, les bénéfices resteront superficiels.  Ni secret ni magie mais confiance et persévérance!

Quel dommage que la sophrologie soit si peu mise en lumière et que des praticiens mal intentionnés aient pu la faire passer pour une sorte de secte. La sophrologie conduit à développer la contemplation qui met en équilibre corps et esprit. Plus on apprend à faire fonctionner ses sens, à entrer en communion avec son environnement sensible et plus on s’apaise. En sophrologie, on décline toute une palette d’exercices pratiqués dans un état de conscience modifiée. C’est ainsi, par exemple, qu’on invite le patient à trouver un lieu dans lequel il pourra se transporter quand il sait devoir être confronté à une situation difficile. Ce lieu peut être un endroit situé en pleine nature ou un lieu fermé. Ce lieu doit être en lien avec des sensations agréables, des souvenirs positifs. Dans ce lieu, on doit ressentir un apaisement. On doit pouvoir se ressourcer et, éventuellement, s’y sentir en sécurité. Sur ce dernier point, il faut être attentif. Certaines personnes, au début du travail, ne se sentent en sécurité nulle part.

La plupart des patients choisissent la plage à laquelle est associé le bruit des vagues, la douceur du sable, l’air iodé. D’autres se sentent bien dans le canapé de leur salon avec leur chat ou leur chien à proximité. D’autres sont heureux au bord d’une rivière portés par le bruit de l’eau qui coule tranquillement. Un patient était heureux dans la cuisine tandis que sa femme préparait le repas du soir, un autre, étendu dans son lit, lové contre le corps de sa femme, dans le contact de sa peau, l’odeur de ses cheveux. Certains patients trouvent dans les églises le calme dont ils ont besoin quand ils se sentent tourmentés. Ils restituent le scintillement des bougies, l’odeur de l’encens, la présence réelle, la lumière éclairant les vitraux. Je n’en ai jamais eu et n’ai pas pu en offrir à nos enfants mais j’ai toujours imaginé que, dans une maison en bois suspendue dans un arbre, j’aurais été très sereine. Dans ma cabane imaginaire, retranchée du monde des adultes, j’aurais écouté les chants des oiseaux. J’aurais senti l’odeur de la résine et des feuilles. J’aurais vu des écureuils sauter de branche en branche. J’aurais suivi la course des nuages. J’aurais lu l’une des aventures du « Club des 5 » en grignotant par les bords un BN au chocolat ou à la vanille pour arriver au meilleur: le coeur.

Je n’ai jamais eu de maison suspendue dans un arbre mais, grâce à mon imagination, j’ai pu en créer une et y vivre tout ce que j’ai décrit précédemment. Cela fait plusieurs années que j’aimerais qu’en famille nous allions dormir dans une maison accrochée dans les arbres. L’aventure de Sylvain Tesson sur les bords du lac Baïkal m’avait beaucoup plu si ce n’est que j’aurais vraiment eu le désir de la partager et non de la vivre en ermite.

Hier, étendue dans l’un des hamacs du jardin, à l’ombre du noisetier, j’observais la ronde des oiseaux venant manger les graines que je dispose sur une mangeoire que les enfants et leur grand-mère avaient fabriquée. Les moineaux étaient les plus nombreux à venir s’y poser. Un oiseau m’intriguait. Ses plumes étaient assez sombres. Il avait la taille d’une grive et un long bec légèrement crochu. Il ne venait pas se poser directement sur l’un ou l’autre des étages de la mangeoire. Il se laissait descendre sur le tronc de l’arbre et, ensuite, venait rejoindre la mangeoire. Il triait parmi les graines pour ne manger que celles qu’il préférait. Le magnifique pic-épeiche habitué de notre jardin l’a déserté depuis qu’il a failli se noyer dans la bassine d’eau de Fantôme. Il avait dû y tomber après avoir heurté la baie vitrée de la cuisine. Par miracle, Stéphane l’ayant entendu se débattre, l’avait délicatement sorti de l’eau, enveloppé dans une serviette et posé sur le radiateur de notre chambre. C’est moi qui lui avait rendu sa liberté. Stéphane était déçu. En qualité de sauveur, il aurait voulu le voir reprendre son envol. Victoire aimions beaucoup l’observer depuis la fenêtre de la salle de bains.

Ma dernière patiente de la journée est partie. En deux heures trente d’échange et trente minutes de sophrologie, elle s’est débarrassée de ce poids sur la poitrine qui l’oppressait depuis des années. Elle a compris pourquoi elle avait, jeune femme, plongé dans une profonde dépression et été hospitalisée trois mois en psychiatrie. Elle a retrouvé le sourire. Elle se sent moins nerveuse et a recommencé à conduire. Pendant son hospitalisation, le psychiatre qui la voyait une fois par semaine ne l’avait jamais aidée à comprendre l’origine de sa dépression…On la condamnait à un mal-être permanent entrecoupé de rechutes avec des pensées suicidaires.

Dimanche, les pneus d’une voiture crisseront sur les graviers de la cour. Avant même que la porte de l’entrée ne s’ouvre, Fantôme sera dans un état proche de la transe. Nos deux filles seront de retour après six semaines d’absence. C’est leur grand-mère maternelle qui les ramène du Gard et a la gentillesse de s’installer chez nous pour veiller sur Fantôme pendant nos vacances. Louis se précipitera pour les serrer dans ses bras. Il les tiendra fort et longtemps. Notre mère sera fatiguée par la route. Nous trouverons les filles grandies. Dans leurs cheveux, le soleil de l’Ain, de la Haute-Corse et du Gard aura jeté des filets d’or. Elles seront admiratives devant les tomates cerise de leur père. Elles auront aussi repérée les mirabelles. Elles seront heureuses de retrouver leur chambre. Louis, lui, sera un peu désolé de regagner la sienne à l’étage de la maison, de ne plus faire corps avec le reste de la famille mais sa grand-mère dormira dans la grande chambre à côté de la sienne et, c’est certain, elle viendra s’asseoir au bord de son lit pour lui faire des guilis avant qu’il ne s’endorme.

La famille sera reconstituée. Mardi matin, à Orly, nous embarquerons avec ma soeur et ses enfants pour Calvi. Avec un peu de chance, tout se passera bien. Pas d’embouteillage monstre sur l’autoroute ni de grève du RERB ou encore d’alerte à la bombe dans l’Orlyval et, à l’approche de l’île, pas de vent violent obligeant l’avion à se dérouter sur Bastia. Les cousins seront ravis! Charlotte passera des bras de Céleste à ceux de Victoire. Stéphane, ma soeur et moi irons nous acheter des revues. Ce sera le début des vacances. Sur le plateau, notre mère me remplacera auprès de Muguette et de son arche de Noé. Dans la valise du retour, je glisserai quelques spécialités corses pour elles deux. Mes sabots de sophrologue, eux, m’attendront bien sagement à la maison!

Passez tous un agréable mois d’août! On se retrouve à la rentrée pour de nouvelles aventures.

Anne-Lorraine Guillou-Brunner

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