Chronique d’un retour sur un plateau moissonné après une évasion capitale (suite et fin)

Mardi, Louis a un peu de mal à se mettre en ordre de marche. Ma soeur a reçu des photos de ses enfants s’amusant sous des jets d’eau en Savoie. Dans son petit maillot avec flotteurs intégrés, Charlotte est adorable. Nous prenons le métro Lamarck-Caulaincourt. Une odeur de frais flotte dans les couloirs dont les sols viennent d’être lavés. La RATP nous contraint à des ruses de Sioux pour arriver à bon port. A Sceaux, aussi, la mairie s’est lancée dans des travaux d’envergure. A la sortie du RER, nous sommes accueillis par les lamentations d’un marteau-piqueur. En remontant la rue qui débouche sur l’allée d’Honneur, je repense à mes années étudiantes, à tous ces dimanches où je venais déjeuner chez nos parents. Notre père me guettait depuis la fenêtre de la cuisine. Quand il me voyait, un grand sourire éclairait son visage. Depuis le matin, il concoctait un délicieux repas tout en écoutant France Inter. Je retrouvais ma soeur, élève au lycée Lakanal et Iris, sa chatte. Le soir, je repartais avec mon linge propre repassé à la perfection par notre mère et un panier rempli de bonnes choses achetées le samedi matin au marché couvert. C’est notre mère qui, le soir, avait la gentillesse de me raccompagner. J’aimais ce moment complice pendant lequel nous traversions Paris. Au début de mes études, j’avais toujours le coeur lourd quand je me retrouvais seule dans mon petit studio. Et puis, dès le lundi, je me relançais dans ma semaine faite de cours, de TD, de babysitting, de postes d’hôtesse d’accueil et de sorties tant culturelles que nocturnes.

Notre mère a rangé son appartement. Elle n’y reviendra pas avant de longs mois. Je reçois des instructions pour son courrier qui va nous être directement réexpédié dans le Loiret. Louis la complimente sur ses meubles qui, tous, lui viennent de sa famille paternelle. Je suis toujours saisie par la ressemblance entre notre mère et l’une de ses aïeules, Virginie, dont le tableau est accroché dans le salon au-dessus de celui de son fils, Frédéric. Virginie est très triste sur cette toile. Elle a perdu son mari et son fils et s’est efforcée de reprendre la direction de l’imprimerie familiale et du Petit Toulonnais. Ses parents l’avaient baptisée Virginie car son parrain était planteur de tabac en Virginie. C’est aussi le prénom de ma soeur. Notre mère a hérité les bijoux que porte Virginie. Malheureusement, une boucle d’oreille est manquante.

Après le déjeuner, je repars. Louis aidera sa grand-mère à descendre ses affaires. La chaleur des derniers jours l’a beaucoup éprouvée. Dans le Gard, malheureusement, ce sera pire encore et notre bonne et vieille maison de Pont n’est pas climatisée. Au dernier étage, là où se situe un immense grenier que notre père voulait transformer en appartement indépendant et y ranger tous les livres, la température est difficile à supporter. Ma soeur et moi y avons nos chambres. Elles donnent sur la rue. Quand nous étions enfants et adolescentes, un bar tenu par un couple assez peu sympathique accueillait une population interlope jusqu’aux premières heures du jour. Toute la nuit, un jukebox crachait les tubes de l’été. C’est ainsi que les paroles de la chanson de Jakie Quartz, « Juste une mise au point », ce sont gravées en moi de manière indélébile!

Je rejoins Virginie devant la Fondation Cartier. Nous allons voir la nouvelle exposition intitulée « Nous les arbres ». Notre père et son père nous ont transmis leur amour de la nature. Notre grand-père connaissait parfaitement bien les noms des arbres et des espèces végétales. Notre père, beaucoup moins. Depuis que nous vivons dans le Loiret, j’ai découvert un lieu étonnant l’arboretum des Barres. Nous y allons au moins deux fois par an, en automne et au printemps. Francis Hallé y organise des conférences. Depuis quelques années, mon intérêt pour les arbres a été nourri par les livres fascinants de l’ingénieur forestier allemand, Peter Wohleben et celui du docteur Qing Li « Shinrin-yoku » sur la sylvothérapie dont je vous ai parlé à plusieurs reprises. Je recommande à tous mes patients, si cela est possible, d’aller marcher en forêt. Dès qu’on marche au milieu des arbres, le flux mental s’apaise; la tension diminue; le coeur bat plus tranquillement; la respiration se fait plus consciente; le temps est suspendu. C’est encore plus accentué quand on cherche des champignons!

Les expositions à la fondation Cartier peuvent être très inégales. Celle-ci est passionnante! Raymond Depardon et Claudine Nougaret ont réalisé un petit documentaire sur les arbres et sur ceux qui les aiment. Le documentaire se situe du côté des hommes plus que du côté des arbres sans doute parce que les premiers peuvent mettre des mots « humains » sur leurs ressentis, raconter les souvenirs qui les lient aux grands géants verts. On passe en revue le platane (le monsieur qui en parle à un domaine à Pont-Saint-Esprit), le noyer, le chêne vert, le pin à pignons, le cèdre du Liban, l’arbousier, le tulipier, le cèdre bleu, le saule pleureur ou le cyprès.  Francis Hallé ouvre le bal. Je trouve ce monsieur très touchant. Il remet les choses en perspective. L’arbre est apparu à la surface de la terre il y a 400 millions d’années et l’homme voici 4 millions d’années…Cela donne à réfléchir! Une partie de l’exposition est consacrée à la vision animiste de trois artistes yanomani de l’Amazonie brésilienne. Leur représentation de la faune et de la flore est très poétique comme celle des artistes nivaclé et guarani du Paraguay.

Agnès Varda avait choisi le jardin de la fondation a choisi pour accueillir la souche de l’arbre qu’elle avait planté dans son jardinet de la rue Daguerre. Surmonté du double sculpté de sa chatte Nini, ce tronc est un hommage rendu par Agnès Varda à tous les arbres « avec lesquels on a un rendez-vous en passant ».

Nous marchons jusqu’au Bon Marché en passant par la rue Bréa, située entre le haut du boulevard Raspail, la place Vavin célèbre pour son immeuble Sauvage et la rue Notre-Dame-des-Champs. Virginie et moi y avons vécu toutes deux. Elle m’a remplacée dans un petit studio au numéro huit. A l’époque, l’immeuble était encadré par le restaurant d’un frère spirituel, Gilles, qui tenait la barre des « Montparnos » et la librairie « Pages d’histoire » animé par un autre Gilles, né Galard de Béarn et sa femme. Le second Gilles me racontait comment la passion des livres anciens était née à la vue de la bibliothèque du château familial. Le premier Gilles a quitté Paris voici de longues années. Il vit désormais sur l’île de Ré avec sa femme et ses filles. Le second s’est tué dans un accident de moto.

Je descends cette rue où j’ai vécu tant de moments uniques sans émotion. Les personnes que j’aimais ne sont plus là. Les boutiques ont changé. Il reste encore la crêperie du « Vieux Journal » mais l’âme s’est envolée. Au Bon Marché, tout ou presque est inaccessible mais le personnel est charmant et échanger avec des gens « normaux » doit être pour lui reposant. Nous nous installons dans la boutique de Frédéric Malle. ce dernier, issu d’une lignée d’industriels, d’artistes et de parfumeurs, se présente comme un éditeur désireux de laisser une totale liberté d’expression à de grands parfumeurs qu’il voit comme des auteurs. Il ne s’agit plus pour l’un des douze nez d’imaginer un parfum en fonction des besoins du marché mais d’exprimer sa vraie personnalité. Virginie aime les parfums assez puissants. L’ambre est son odeur fétiche. De mon côté, je suis adepte des jus androgynes avec des dominantes d’agrumes, de vétiver ou d’iris.

Le soir, j’attends Natalie, la marraine de Victoire, dans un petit restaurant du Marais que ma soeur m’a fait découvrir et que j’aime beaucoup « Au petit Thaï ». Nat et moi ne nous sommes pas revues depuis bientôt deux ans. Nous nous sommes rencontrées d’une manière assez originale. Stéphane et moi étions à la moitié de notre tour du monde. Nat et ses meilleurs amis s’offraient un voyage au Pérou. Nous étions sur le même bateau qui promenait son lot de touristes sur le lac Titi-Caca. Nous nous sommes tous si bien entendus que nous avons décidé de voyager quelques jours ensemble. A Arequipa, ville magnifique, nous avions projeté l’ascension du Misti qui culmine à 5822 mètres. Comme il arrivait que des marcheurs soient détroussés, nous nous sommes contentés d’en admirer la silhouette depuis la terrasse du « Déjà vu » où nous sirotions tous les soirs des pina colada.

Natalie quitte Paris. Ses deux fils et elle rejoignent l’Asie où un mari et père est resté. A la rentrée, ses fils seront scolarisés à Singapour où ils ont déjà vécu quand ils étaient plus jeunes. Nat est débordée. Elle a un mémoire à rendre et son déménagement à terminer. Elle espère négocier un nouveau contrat avec son employeur depuis vingt ans, la banque d’affaires BNP-Paribas. Elle sait que cela ne sera pas évident. La banque licencie et coupe les contrats d’expatriation qui lui coûtent trop chers au profit de contrats locaux. Quand elle ne voyage pas, Natalie parvient à élever seule deux adolescents. C’est dans la pratique assidue du yoga qu’elle pourrait d’ailleurs enseigner qu’elle puise l’énergie dont elle a besoin pour tout mener de front et réussir à tenir encore debout. Victoire est triste que sa marraine reparte. L’an passé, Nat, qui est anglo-libanaise, a fait découvrir Londres à sa filleule. J’ai promis à Victoire qu’elle irait voir sa marraine en Asie. Victoire aime le voyage, les langues étrangères. Elle est curieuse d’autres cultures. La soirée file trop vite. Nat me dépose en voiture au métro Concorde. Nous nous promettons de nous revoir en septembre.

Mercredi, j’ai un peu de mal à émerger. Je m’arrache du lit de mon neveu et vais mettre de l’eau fraîche sur mon visage. Je rejoins, rue Poncelet, un de mes amis d’adolescence. Seul un petit déjeuner était envisageable. Le premier arrivé sur site choisit le café. Tandis que je remonte la rue Poncelet, pleine de vie à cette heure, je repense à ces moments que j’y ai passés avec notre grand-mère quand je partageais son appartement au début de mes études. Je l’accompagnais faire le marché. La rue Poncelet est comme la rue de Lévis ou la rue Clerc, le marché y est quotidien. Notre grand-mère détestait les familiarités. Je riais de la voir tancer vertement le primeur qui osait l’apostropher d’un « qu’est-ce qui lui ferait plaisir à la p’tite dame? ». Elle n’était la p’tite dame de personne! Je préférais aller au marché avec notre père qui faisait rire tous les habitués et était connu comme le loup blanc. Aller au marché avec notre père, c’était comme accompagner un élu rejouant sa réélection si ce n’est que notre père, grand séducteur, ne jouait rien. Il était seulement dans le plaisir des échanges, le partage vrai avec le poissonnier ou la fromagère, le monsieur des oeufs ou la dame des olives.

Je prends place au café Ponce. Il ne fait pas très chaud et le café est ouvert en grand me permettant de ne rien perdre du bruit d’un gros camion frigorifique que le conducteur continue de faire tourner tandis qu’il livre ses clients. Raphaël arrive aussi svelte qu’élégant dans un costume bleu foncé. Il ne porte pas de cravate. Nous parlons essentiellement de nos enfants et de nos compagnons réciproques. Raphaël et sa femme viennent de faire l’acquisition d’une maison à Hossegor, dans les Landes. Je ne savais pas combien cette petite ville balnéaire avait compté dans la vie de sa famille. De mon côté, j’y suis allée souvent dans la maison du père de l’une de mes meilleures amies. Une maison qui donnait sur un lac. C’est d’ailleurs à Hossegor que j’ai fait la connaissance de cet ami que j’ai revu dimanche matin, à Villiers, au Dôme. Je finissais un DEA de sociologie du droit. Il bouclait un DEA en droit des affaires tout en travaillant comme un dingue dans un cabinet d’affaires, près du parc Monceau. Raphaël occupe depuis quatre ans un poste qui pourrait en faire trembler plus d’un mais il a cette confiance saine, cette capacité à trouver la bonne distance et cet attachement à sa famille qui lui permettent de garder le cap en toutes circonstances.

Il est neuf heures quand nous nous quittons. La prochaine fois, nous essaierons de caler un déjeuner. Je me laisse glisser lentement mais sûrement en direction de la place du marché Saint-Honoré où je rejoins ma soeur. Je passe du café Ponce au café Capri. Je n’aime décidément pas cette construction en verre qui bouche la place. J’aurais préféré des arbres, une fontaine, un jardin japonais. Très jeune fille, notre mère a failli y faire l’acquisition d’un appartement. Elle en a été dissuadée par son grand-père maternel car il s’agissait d’un appartement au quatrième sans ascenseur. Ensuite, elle a quitté Paris avec son mari ayant choisi, en sortant de l’ENA, le corps préfectoral. Elle aurait tant aimé qu’il fasse carrière à la cour des comptes (quel ennui!) ou s’il voulait voir du paysage qu’il opte pour le corps diplomatique (notre père n’était pas homme à réduire son sens de l’Etat et de la chose publique à des dîners officiels tout en se faisant dicter sa ligne de conduite par le Quai d’Orsay).

Ma soeur m’y rejoint. Le serveur est charmant. A Paris, je fais toujours de belles rencontres. Il me semble évident que si on sourit, si on se montre agréable, on reçoit la même chose en retour. Nous marchons toutes deux jusqu’à Beaubourg. J’ai réservé un billet pour deux expositions: Dora Maar et la préhistoire. Etudiante, c’est par l’intérêt porté au mouvement surréaliste que j’ai découvert Dora Maar. Du travail de cette artiste complète, entière, sensible et généreuse, on a surtout conservé les huit années pendant lesquelles elle a partagé la vie de Picasso. Picasso était un authentique Minautore. Il a dévoré ses nombreuses femmes dont il se nourrissait pour alimenter sa création. Dora Maar apparaît comme un alter ego. De ce point de vue, leur relation était différente. Picasso avait le très mauvais goût de lui reprocher sa stérilité. Dora Maar était une très belle femme libre et indépendante qui s’est réalisée dans la photographie et la peinture et a mené une vie d’engagements politiques à gauche. Dans un téléfilm que j’avais beaucoup aimé, la comédienne Amira Casar est très juste dans son interprétation de l’artiste née en Argentine.

Si la rétrospective que le centre Pompidou consacre a l’oeuvre de Dora Maar est une vraie réussite, l’exposition cherchant à mettre en lumière la manière dont les artistes contemporains ont pu se nourrir des oeuvres des hommes préhistoriques nous déçoit. Pourtant, le documentaire diffusé par Arte « 36000 ans d’art moderne, de Chauvet à Picasso » était passionnant. Les oeuvres des artistes modernes nous laissent de marbre quand celles des hommes préhistoriques sont bouleversantes. Nous nous amusons beaucoup devant un extrait du film intitulé « Les trois âges », film muet en noir et blanc dans lequel Buster Keaton incarne un amoureux préhistorique. Si cela vous amuse, je l’ai trouvé. C’est très drôle!

https://www.youtube.com/watch?v=7e9YAkUudK4

Comme tous les soirs, Virginie nous prépare un apéritif sur le balcon avec vue sur le Sacré-Coeur. Je ne fais rien. J’ai ordre de ne rien faire. Je me laisse porter. C’est si agréable de se retrouver toutes les deux au calme. D’habitude, nous nous voyons toujours avec les enfants, le plus souvent, ici, à la campagne, et à assumer de l’intendance.

Jeudi, me voici place de la Nation. J’ai le temps de boire un petit café au comptoir avant de composer le code qui ouvre la porte de l’immeuble de mon ancien thérapeute. La gardienne nettoie la cour. Je l’entends qui chantonne. L’ascenseur me monte au sixième. Je suis la première patiente. Je retrouve ma place attitrée sur la première marche de l’escalier dont le bois rutile. Dans les chambres de service, aucun bruit. Au bout de trente minutes, j’envoie un petit message pour savoir si nous avions bien rendez-vous. Au bout de quarante-cinq minutes, j’écris que je pars. Je suis inquiète. Je connais assez bien le Docteur F pour savoir que ce n’est pas normal. Depuis de longues années, les médecins peinent à réguler sa tension toujours très haute. Ce soir, assise sur le balcon de ma soeur, je recevrai un message. Le matin, de bonne heure, sa tension était si haute, qu’elle a été admise en cardiologie. Les thérapeutes très investis ne savent plus prendre soin d’eux. Ils deviennent périphériques à eux-mêmes. Le Docteur F doit réapprendre à prendre soin d’elle et, aussi, à suivre à la lettre le traitement prescrit.

L’après-midi nous trouve ma soeur et moi rue de Grenelle devant le musée Maillol. Nous allons voir la collection d’Emil Bührle avant qu’elle ne reparte à Zürich. C’est la première fois qu’une partie des oeuvres est exposée dans un musée parisien. La collection est magnifique! C’est l’une des plus prestigieuses au monde comme la collection Barnes que j’avais vue avec des amis à Orsay quand j’étais encore étudiante. La collection d’Emil Bürhle est très controversée. Industriel né en Allemagne, s’étant battu pendant la première guerre mondiale, il s’est installé en Suisse et a bâti sa fortune en vendant des armes à l’Allemagne dans l’entre-deux guerres et au IIIe Reich durant la seconde guerre mondiale. A la fin de la guerre, treize oeuvres spoliées à des familles juives dont celle de Paul Rosenberg ont été retrouvées chez lui. Le collectionneur plaidera son innocence et la bonne foi avant de les restituer ou de les racheter.

On sait que l’art comme l’amour peuvent faire perdre la tête et pousser à commettre des actions criminelles, il est peu imaginable qu’Emil Bürhle ait ignoré l’origine des oeuvres dont il faisait l’acquisition. Virginie et moi tombons en arrêt devant une toile de Corot représentant une jeune fille entrain de lire. « Le Semeur » de Van Gogh est également une splendeur. Comme l’avait souhaité Emil Bürhle, le musée de Zürick, le Kunsthaus, a été agrandi de manière à pouvoir accueillir la collection.

Pendant toute la durée de notre visite, nous nous amusons à voir évoluer dans les salles un homme et deux jeunes enfants, un petit garçon et une petite fille. L’homme est sans doute leur grand-père ou un grand-oncle. Il les aide à répondre aux questions posées dans le petit livret proposé au jeune public.

Dernière soirée avec ma soeur. Elle commande chez un traiteur deux Bo Bun. Le Bo Bun est un plat principal vietnamien dont je raffole. C’est un plat très frais composé de vermicelles de riz, de salade, de concombre, de soja, de lamelles de viande de boeuf marinée, de nems (il existe également une version végétarienne), de menthe, de coriandre, de citronnelle et de cacahuètes. Voici une recette:

https://cuisine.journaldesfemmes.fr/recette/352223-bo-bun-boeuf-et-nems

Installées sur le canapé, nous regardons un film que j’ai déjà vu avec Stéphane et ai adoré « L’amour flou ». Ce très beau film raconte l’histoire vraie de la séparation de Romane Bohrainger et de Philippe Rebbot. Les deux comédiens parents de deux enfants et d’un basset hound, Lady, décident de faire l’acquisition d’un plateau dans un immeuble à Montreuil et d’y concevoir un sépartement. Chacun vivra dans une partie de l’appartement et la chambre des enfants fera le lien entre les deux. Tous les acteurs sont profondément justes, attachants et sensibles.

https://www.youtube.com/watch?v=wxtDwvYO57g

Vendredi matin, j’embrasse ma soeur et la remercie pour toutes ses délicates attentions à mon égard. Je ne sais pas quand il nous sera à nouveau donné de revivre un si grand moment de complicité à deux. Une heure plus loin, je prends d’assaut les quatre étages qui conduisent à l’appartement de Catherine, ma belle-soeur et de Valentin, son mari. Cath et Vali vivent en Roumanie. Ce pied à terre permet à ma belle-soeur de voir ses amis et de faire le plein de culture. J’ai rendez-vous à l’hôpital de la Pitié-Salpêtrière à 15h00 et, avant, je déjeune avec un cousin merveilleux, Jean-Guilhem. Je vous ai longuement parlé de son dernier ouvrage consacré aux Pères du désert. Nous nous retrouvons en face de l’hôpital. Tout le boulevard est en travaux. Nous passons un moment très agréable dans un petit café tenu par une famille originaire de Chine. L’Empire du Milieu a dévoré l’Auvergne! Je prends toujours beaucoup de plaisir dans ces échanges avec Jean-Guilhem auquel la bonne énergie phénoménale permet d’occuper un poste de direction à l’AP-HP, tout en donnant des conférences, écrire des livres et accompagner des personnes dans leur travail d’analyse. Un jour, j’aimerais que nous puissions travailler ensemble ou écrire un ouvrage dans lequel nous croiserions nos approches. Ce serait passionnant!

Jean-Guilhem repart avenue Victoria sur son vélo électrique. Je traverse le boulevard pour gagner l’hôpital. Pendant presque deux heures, je patiente sur l’un des fauteuils couverts de sky de la zone 2 du service d’endocrinologie. Le patient doit savoir prendre son mal en patience. La guérison n’est jamais immédiate! J’essaie de lire mais il fait trop chaud alors je regarde les patients qui vont et viennent. J’écoute les échanges souvent tendus avec les secrétaires médicales. La patience n’est pas la vertu la plus présente chez les êtres humains. Quand, enfin, mon numéro clignote, le 222 et que le Docteur Sophie Noël vient à moi, ma robe est trempée. Je ne lui serre pas la main. Elle est moite. J’aime beaucoup cette femme qui est à la fois endocrinologue et gynécologue. Elle n’exerce que le vendredi à la Pitié. Le reste du temps, elle travaille dans un cabinet proche de l’Etoile. Nous parlons du maire de Paris. Elle rejoint Jean-Guilhem et ma soeur dans leur approche de sa politique. Une approche sévère!

Mes analyses ne sont pas bonnes. Cela fait plus de dix ans que j’ai développé une thyroïdite de Hashimoto. Cela fait dix ans que je refuse de prendre du Levothyrox, médicament qui a pour effet de finir d’ensommeiller une thyroïde devenue paresseuse. La thyroïdite de Hashimoto est l’une des nombreuses maladies auto-immunes qui peut apparaître après un choc psychologique ou plusieurs grossesses rapprochées. En ce qui me concerne, l’apparition de la maladie est à mettre en lien avec notre installation à la campagne et ma difficulté à accepter de renoncer à un certain mode de vie. Je ne suis pas femme à me résigner mais à chercher la voie de l’acceptation et à me donner les moyens de me réaliser coûte que coûte.  Quand on est une femme, on ne peut pas se réaliser pleinement professionnellement et dégager assez de temps pour voir vraiment grandir ses enfants. Si on s’accomplit dans une grande ville alors on s’éloigne de ses racines naturelles. Si on veut être à la fois en ville et à la campagne alors on s’épuise dans des trajets quotidiens. La vie est un véritable numéro d’équilibrisme et, quand on a accepté qu’on ne peut pas tout avoir, alors on gagne en stabilité sur son fil.

Je quitte le Docteur Noël avec deux ordonnances et un nouveau rendez-vous en automne. On verra comment mon organisme a réagi au traitement. Chez Catherine et Valentin où j’ai laissé ma valise et arrosé les géraniums, j’ai seulement le temps de prendre une douche et de me changer avant de repartir pour la gare de Bercy. Un jeune homme joue un morceau de Chopin, un nocturne, sur le piano situé près des quais. Quelle belle idée d’avoir mis ainsi des pianos en accès libre!

Le train se remplit vite. La chaleur monte. Une dame sort son pique-nique tout en se plongeant dans la lecture d’un « Voici ». Une maman échange avec ses deux grands enfants. Des amoureux ne se tiennent pas la main. Il fait trop chaud! Dans mon dos, j’entends le rire clair et pur d’une petite fille qui joue avec son papa. Je pense à Charlotte et au sien. Je ferme les yeux. Quelle chance j’ai eue de profiter ainsi de ma soeur, de voir mes neveux, de partager un petit bout de Paris avec Louis, de retrouver des amis chers avec lesquels tout est fluide, un cousin avec lequel je me sens tant de similitudes, de marcher des heures durant dans mes souvenirs et de me nourrir de si belles choses!

Pour tout ceci, je dis merci!

Anne-Lorraine Guillou-Brunner

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