Chronique parallèle

Il fait chaud, vraiment bien trop chaud pour un mois de mai et la pluie de dimanche n’a servi à rien. La terre est craquelée. Les foins ont été fauchés. La végétation a un mois d’avance. L’année passée, les récoltes n’avaient jamais été aussi tardives. Je me demande comment les Indiens parviennent à encaisser de telles températures. Les personnes âgées et les bébés se déshydratent si vite! Depuis que Céleste et son amie Romane ont nettoyé la piscine et qu’elle est en eau, pigeons ramiers et hirondelles viennent y boire. Le matin, dans ce qui sert de pédiluve, je sauve de malheureuses araignées de la noyade.

Aujourd’hui, je voudrais vous parler de Louise. Plusieurs de mes patients m’avaient déjà vanté ses pouvoirs. Ainsi, j’avais su comment elle avait réussi à soulager M d’une rage de dent terrible. Dans la région Centre, plus grand désert médical de France, il vaut mieux ne pas être malade! L’une de mes patients, D, étant arrivée à une séance avec un zona sur toute la cuisse droite, je me décidais à écrire à Sophie pour savoir si elle consentirait à recevoir D qui avait perdu le sommeil et était déjà très fragile psychologiquement. La semaine suivante, Louise m’attendait chez elle. J’avais très envie de faire sa connaissance. Je suis au nombre de ces êtres qui acceptent que tout n’est pas encore ni maitrisable ni rationnel. Je crois, notamment, que des âmes peuvent ne pas réussir à partir et errer longtemps dans un entre-deux mondes.

A l’âge de 13 ans, à Rochefort-sur-Mer, je participais à des séances de spiritisme avec un groupe d’amies. Nous nous retrouvions chez l’une d’entre elles le mercredi après-midi. J’étais en charge du verre en cristal qui souvent se brisait. C’est à la faveur d’un diner que notre mère a constaté que des verres manquaient à l’appel. Je me suis dénoncée. Je ne me rappelle pas avoir été punie mais je n’ai pas oublié ce que notre mère m’a dit: il était dangereux, particulièrement à notre âge, de jouer à convoquer des esprits, que, dans la nature, des bonnes et des mauvaises forces s’opposaient. Pendant nos séances d’apprenties spirites, nous avions eu peur. Je n’ai plus jamais recommencé. Je suis très sensible aux atmosphères dans les maisons. Je sais dés que j’en franchis la porte si une maison est saine ou pas. Les murs se chargent d’ondes. Les maisons ont une mémoire et, pourquoi pas, aussi des esprits.

Quand nous habitions dans la Sarthe, le château de Chêne de coeur, à Saint-Pavace, l’une des deux propriétaires avait raconté à notre mère qu’un esprit avait longtemps hanté la propriété. Un prêtre était venu et l’esprit, en trouvant l’apaisement, avait pu rejoindre l’au-delà. Il s’agissait d’une femme. Il faudrait que je demande à notre mère si elle se souvient d’autres détails à moins qu’elle ne me dise que j’ai imaginé tout ça. Toute sa vie, notre grand-mère maternelle a guetté un signe de son mari. Je lui disais que s’il ne se manifestait pas, c’est qu’il était en paix.

Voici deux ans, nous parlions de la mort avec Louis ou plutôt de ce qui se passe quand on a quitté la vie terrestre. Louis pensait qu’on renaissait dans une sorte de tout à l’image du cosmos. Louis m’a alors expliqué qu’il n’aimerait pas mourir brutalement, partir dans son sommeil ou être inconscient car il n’aurait pas alors la pleine conscience de ce que sa vie va se terminer. Pour lui, si on ne sait pas qu’on va mourir alors l’esprit ignore pas qu’il n’est plus en vie et reste auprès des vivants sans comprendre pourquoi il est devenu transparent pour eux. C’est exactement ce que Stéphane Allix, le mari de Natacha Calestremé, autrice d’ouvrages qui se sont vendus à merveille, raconte dans l’un de ses livres: Le test. Il est le co-fondateur de l’INREES (l’Institut de Recherches sur les Expériences Extraordinaires). Ma soeur me l’a donné à lire l’été dernier en Haute-Corse. Quand j’en ai parlé avec Stéphane, il a estimé que, peut-être, les scientifiques se rendraient compte un jour que l’ADN que nous nous transmettons dans une lignée est doté d’une mémoire et que c’est cette mémoire qui permet d’expliquer des phénomènes aujourd’hui considérés comme paranormaux. Cette idée m’a plue tant la manière dont les histoires se transmettent d’une génération à une autre même lorsqu’elles sont tenues secrètes. J’ai presque fini l’énorme livre d’Alejandro Jodorowsky La famille, un trésor, un piège. Métagénéalogie comment guérir de sa famille. Tant d’exemples qui illustrent la puissance destructrice des secrets de famille sur plusieurs générations. Jodorowsky estime inutile de remonter au-delà de la quatrième génération car après l’inconscient se dilue dans l’arbre généalogique.

Revenons à Louise. Lundi dernier, à 14h00, elle m’attend dans la ferme que son mari et elle occupent. Il fait un temps magnifique. Je suis impressionnée par la taille de la cour dans laquelle je gare la Fiat 500. Tout est impeccable! Sophie est un peu plus âgée que moi. Son mari et elle ont eu 6 enfants. L’ainé est vétérinaire à 20 kilomètres de Saint-Etienne et le plus jeune est en cinquième. Sophie me fait entrer dans son bureau, une pièce très fraiche et plongée dans la pénombre. Au milieu, une table comme celle qu’utilisent les ostéopathes. Des dessins d’enfants, des dossiers. Sophie s’installe à son bureau. Elle me raconte avoir perdu sa maman quand elle avait 25 ans. Sa maman a tenu jusqu’à ce qu’elle se marie.

Ce n’est que tardivement que Louise a compris qu’elle avait des pouvoirs. Dans l’Yonne, elle a été rencontrer une dame magnétiseuse. Cette dame lui a dit que, certainement, elle tenait ses pouvoirs de sa mère qui les tenait de son père. Elle lui a donné des conseils et lui a soufflé de se faire confiance. Cela fait maintenant 15 ans que Sophie aide les personnes à aller mieux. Elle enlève le feu en cas de brûlure. Elle agit sur les douleurs, les problèmes d’infertilité. Elle « nettoie » des personnes auxquelles on a jeté un mauvais sort. Elle me dit que les personnes ont été « piquées ». Cela a-t-il un rapport avec ces poupées qu’on façonnait à l’effigie de la personne à laquelle on voulait du mal et qu’on piquait avec des aiguilles? Sophie reçoit de plus en plus de personnes « piquées ». Elle a moins de patients au printemps et en été. Cela l’arrange car c’est une période chargée à la ferme. Sophie n’est pas déclarée. Son activité est marginale et, très longtemps, elle a refusé d’être payée. Elle estimait normal d’utiliser des dons qu’elle n’avait pas choisis.

Louise ne « travaille » les gens que le matin car cela lui prend beaucoup de force. Elle se ressource dans la nature, les mains dans la terre. Sophie est très réceptive aux atmosphères. Au début, quand ils sont arrivés dans cette ferme, elle entendait des bruits au bord de la rivière, des plaintes. Elle a su qu’au Moyen-Age, là où poussent des peupliers se tenait une maladrerie. Elle pense entendre les voix de celles et ceux qui sont morts. Louise peut travailler à partir d’une photo. Elle dit des neuvaines alors qu’elle ne croit pas en Dieu. Elle a été amenée à accompagner une petite fille qui pleurait tous les soirs dans sa chambre. A Louise, elle a osé raconter qu’elle voyait un vieux monsieur. Il s’agissait de son grand-père mort avant sa naissance et qui voyait les morts. Sophie lui a expliqué qu’il l’avait choisie pour qu’elle soit comme lui et qu’elle ne devait pas avoir peur. La petite fille a cessé de pleurer. Sophie me raconte encore avoir aidé une jeune femme à attendre un enfant. Elle avait déjà perdu plusieurs bébés. Elle avait été adoptée par sa mère. Elle ne savait rien de ses parents biologiques. Louise a compris que cette jeune femme n’osait pas attendre un enfant car elle avait le sentiment de trahir sa mère adoptive qui n’avait pas pu la porter. D’ailleurs, la grand-mère a eu beaucoup de mal à accepter la grossesse de sa fille adoptive comme si cela lui rappelait sa stérilité. Louise a réussi, à distance, à sauver un bébé qui avait bu du liquide amniotique en grande quantité et était sous assistance respiratoire depuis sa naissance. Cela lui a pris une énergie considérable mais elle a réussi et la petite fille qui a aujourd’hui 18 mois et à laquelle les médecins prédisaient des retards a su marcher à 10 mois. Elle a un caractère de feu comme souvent les enfants qui ont été obligés de se battre contre les forces de Thanatos.

Louise me dit s’inquiéter de voir de plus en plus de personnes se tourner vers elle comme ils le feraient avec un médecin. Louise n’est pas médecin. Elle ne peut pas se substituer à un médecin. Quand elle a soulagé M de sa rage de dent, c’était dans l’attente du rdv en urgence que cette dernière avait trouvé à Paris. Bien que native de la région, Louise me dit ne pas l’aimer et trouver les habitants durs et fermés. Selon elle, les inondations sont mauvaises car elles font sortir du lit des rivières de mauvaises énergies. Elle se sent bien mieux dans les Pyrénées quand son mari et elle vont voir l’un de leurs enfants. Louise ne touche jamais les gens. Elle utilise un pendule qu’elle passe au-dessus d’eux. Elle m’a offert de me « travailler » si j’en avais envie. Elle a estimé que ma sensibilité était très forte. Louise m’a beaucoup parlé pendant ces deux heures trente que nous avons passées ensemble. Elle ne m’a posé aucune question sur ma pratique. Ce n’était pas un manque d’intérêt mais je pense que Louise absorbe beaucoup de souffrance tant physique que morale et qu’elle a pu vider un peu son sac à dos.

En 2019, avec Stéphane, nous avions regardé un documentaire passionnant sur les panseurs de secret de Philippe Rouquier: barreurs, coupeurs, magnétiseurs, rebouteux, leveurs. La médecine traditionnelle peine encore à expliquer comment ces femmes et ces hommes parviennent à guérir ou à soulager. Cela passe par des prières, des incantations, du magnétisme, des appositions des mains. Ce qui est évident, c’est que cela ne fonctionne que si celui qui vient consulter pense que cela va marcher. Le guérisseur fait passer dans le sytème neuronal de celui qui consulte un message de confiance qui active réellement la confiance. Sans confiance réciproque, il ne se passera rien car rien ne pourra passer du guérisseur à celui qui est venu chercher la guérison.

Depuis, j’ai lu avec beaucoup d’intérêt le livre de Corine Sombrun: La diagonale de la joie. A son corps défendant, lors d’un documentaire réalisé en Mongolie, Corine Sombrun est entrée en transe au son des tambours. Elle est devenue un loup. Balgir, le chaman a compris alors que Corine Sombrun était chamane mais ne le savait pas encore. Au début, elle a voulu retourner à sa vie d’avant comme avant mais cela n’était pas possible. Elle s’est formée au chamanisme. Un film réalisé avec Cécile de France Un monde plus grand raconte son histoire. Désormais, elle travaille avec des scientifiques et plus particulièrement des psychiatres qui voudraient utiliser l’état de conscience modifié par la transe pour guérir des malades. Corinne Sombrun a appris à provoquer seule une transe et aussi à en sortir. Voici une femme passionnante que j’aimerais pouvoir rencontrer.

En se civilisant, en se dotant d’outils de plus en plus complexes, l’homme a modifié le fonctionnement de son cerveau. Des aires se sont développées quand d’autres se sont atrophiées. Les cerveaux de nos enfants ne sont déjà plus comme les nôtres! Nous avons toujours utilisé 100% de nos facultés mentales mais en nous éloignant de la nature, nous nous sommes coupés de notre intuition et ne savons plus deviner le monde par nos sens. Dans la première analyse graphologique qu’avait réalisée pour moi une grand-tante qui me connaissait à peine si bien que son analyse n’était pas faussée, elle avait écrit : » une intuition omniprésente qui fait l’impasse sur ce qu’un raisonnement déductif aurait de laborieux et devine la vérité à travers les nuages du rêve ». Bientôt 30 ans plus tard, je me reconnais toujours dans ces lignes. La sophrologie repose sur l’état de conscience modifié. Je me demande comment je réagirai à une transe chamanique. Avant de me rendre en Mongolie, pays qui m’attire énormément (pendant notre grande évasion, Stéphane avait eu le projet de nous faire traverser à cheval le désert du Gobi), je vais commencer par laisser Sophie me « travailler ». Cela ne peut que me faire du bien!

 

Anne-Lorraine Guillou-Brunner

 

2 commentaires sur “Chronique parallèle

  1. bonjour, j’avais depuis longtemps a la croisée d un chemin , envie de vous demander comment soigner les ames , et les gens, si on ignore ce que vous evoquez ? un apres midi ne suffirait pas , pas plus que plusieurs pages de mail . il se trouve que depuis … ma route a croisé une ethnologue qui a realisé une ethnographie en milieu rural , puis une sociologue , c’est un sujet passionnant , toutes deux ont curieusement un lien avec Jeanne Favret Saada , dont les videos sur youtube sont je trouve captivantes autant pour leurs sujets que sur sa peripherie sur le fonctionnement de la recherche et de l université en France , que par la conteuse dont j aime la voix et la maniere de raconter.
    j ‘ai quelques reserves sur Natacha Callestremé mais le chemin de Corine Sombrun est emouvant , son deuil et l’apres

    1. Cher Cédric, je découvre votre message. J’ai, dans plusieurs chroniques, expliqué comment je m’y prenais pour accompagner du mieux que je peux les personnes qui viennent me voir sur le plateau. Si nos chemins se croisent et que vous en avez le temps, je serai heureuse de répondre aux questions que vous vousposez sur la sophrologie. Je suis également analyste. Je comprends vos réserves sur Natacha Callemestré mais je la pense vraiment dans la bienveillance. Maintenant, son éditeur l’oblige à sortir des nouveaux livres en pagaille car c’est vendeur! La diagonale de la joie est à lire. Portez-vous bien!

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