Lundi de Pentecôte. Le soleil finit de se lever sur les courts de Roland Garros. Tout le monde se réjouit : la quinzaine brille. Le temps ne joue pas la Carabosse. Pas d’interruption de partie. Pas de terre battue rendue lourde par la pluie. Pas de terrain bâché. Pas de partie reportée au lendemain. Tout est parfait. L’espagnol Nadal battu, le suisse Federer peut espérer remporter, enfin, le tournoi des mousquetaires. L’Esprit Saint a touché la tête des apôtres. Au dessus de l’Atlantique, la lumière ne se lèvera plus sur les hublots d’un A330 de la compagnie Air France. Vers quatre heures du matin, l’avion a plongé dans l’océan.
Roland Garros s’ouvre au public. Chacun rejoint sa place dans les gradins. Journalistes et photographes sportifs du monde entier sont au rendez-vous. La banque BNP Paribas est toujours le sponsor attitré du tournoi de tennis français le plus select. Comme on avance dans la quinzaine, le carré réservé aux VIP se densifie. Les cameramen pourront offrir aux téléspectateurs, en cadeau de consolation, les visages bronzés de personnes dissimulant mal leur célébrité derrière les verres foncés de leurs larges lunettes de marque. Les petits ramasseurs de balle sont prêts. Bientôt, leurs longues jambes feront le grand écart d’un bout à l’autre du terrain. L’arbitre s’installe sur sa chaise haute. Federer et Haas font leur entrée sur le court. Le public les applaudit.
Dans un métro, un RER, un bus ou une voiture, des personnes se rendent à Roissy. Elles sont heureuses d’aller accueillir un proche en provenance de Rio de Janeiro. Elles imaginent déjà des visages hâlés, des sourires. Elles anticipent sur le bonheur des retrouvailles qui font oublier la laideur de l’aéroport. Tous ont déjà tant de choses à se raconter.
Federer et Haas ont échangé quelques balles. La partie peut vraiment commencer. Federer a le visage impassible d’un suisse qui aurait été formé à l’école suédoise. Haas est tellement irréprochable qu’on l’imagine élevé par une nurse prussienne.
A l’aéroport Roissy Charles de Gaulle, le vol Rio Paris est en retard. Les familles et les amis attendent tranquillement. Les yeux se tournent régulièrement en direction des tableaux d’affichage pour y lire le numéro de la porte d’arrivée.
A la faveur d’une fin de set, le journaliste sportif annonce le retard inexpliqué de l’appareil. A ce moment-là, personne ne veut ou ne peut imaginer le pire. Tout le monde veut croire, encore, que l’avion va se montrer au-dessus de l’aéroport et amorcer son atterrissage final. Maintenant, à Roissy, la tension monte. Les minutes sont comme des années. Tandis que les familles et les proches des passagers sont dirigés vers une salle spéciale, journalistes et photographes affluent.
A quoi peut-on penser dans de telles circonstances ? A rien, sans doute. J’imagine des esprits vides et des cerveaux incapables de s’ouvrir à la réalité d’une vérité aussi violente qu’irréelle.
France Télévisions a dépêché une journaliste sur place. C’est elle, désormais, qui relaie l’information.
Federer a du mal à entrer dans cette partie. Il est possible qu’il regrette de ne pas affronter Nadal en finale. La partie s’achève, malgré tout, sur une victoire de Federer.
Les ministres se rendent à Roissy. Le Président de la République, aussi. Psychiatres et psychologues essaient d’entourer les familles et les proches des passagers de l’Airbus A330. Notre ministre de l’équipement annonce que les chances de retrouver des survivants sont infimes. A cette heure, l’avion a épuisé ses réserves en kérosène et ne s’est posé nulle part. L’éventualité d’un attentat terroriste est dans les esprits. Le bureau de l’aviation civile annonce que l’airbus a adressé toute une série de messages automatiques avant de disparaître. On parle d’orages violents et de vents terribles dans le pot au noir, fatal à Mermoz, puis de vitesse excessive et de givre. Les familles et leurs proches savent, désormais, que les passagers ne franchiront jamais le hall d’arrivée de Roissy Charles de Gaulle.
Alors que les recherches s’intensifient dans la zone où l’avion est tombé dans l’océan, le Brésil décide trois jours de deuil national et la France rend hommage aux victimes, à la cathédrale Notre-Dame de Paris et à la grande mosquée de la rue Geoffroy Saint Hilaire.
Cinq jours après la disparition de l’airbus et de tous ses passagers au large de l’archipel brésilien Fernando de Noronha , les amoureux du tennis assistent, à Roland Garros, à une finale féminine cent pour cent russe. Ce jour-là, des débris de l’appareil sont enfin localisés et des corps sont retrouvés. Dimanche, Roger Federer l’emporte assez facilement sur le suédois Robin Soderling. Bouleversé, Federer peut, enfin, étreindre cette coupe convoitée depuis de longues années. De part et d’autre de l’Atlantique, un travail de deuil difficile, long et douloureux commence. La compagnie Air France fait part de son intention de changer, au plus vite, les sondes de vitesse des A330. Bien sûr, tout lien entre la disparition de l’avion AF447 et cette annonce est à exclure. En Irak, les attentats peuvent faire autant de morts en quinze jours que le crash d’un gros porteur civil, mais ces morts-là sont si banalisés qu’ils ne prennent pas plus d’une ligne dans la presse nationale et régionale.
Anne-Lorraine Guillou-Brunner
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