Chronique d’une semaine de vacances vertes

Nous avions projeté de passer quelques jours dans le Gard. Nous nous réjouissions de retrouver la bonne et vieille maison de Pont, quelques amis chers, les paysages provençaux si beaux au printemps, le grand marché du samedi matin tout en odeurs, couleurs et énergie. Notre fils refusant de nous suivre, nous avons renoncé. Nous ne voulions pas le laisser seul à la maison à la campagne avec une moto pour seule moyen de locomotion. Cela fait de longues années que je travaille depuis chez nous et je ressens le besoin de changer d’environnement, de mettre de la distance entre le plateau et moi. Depuis la mort de notre fidèle compagnon quatre pattes et la fin de mes visites matinales et quotidiennes à l’une de nous voisines, le plateau n’est plus le même. Je m’efforce d’en saisir encore la beauté, voire la magie. Je me réjouis à la vue des chevreuils, des canards nageant dans la mare. Je suis heureuse d’entendre les oiseaux chanter et les grenouilles croasser, de sentir l’odeur du colza, du lilas, de l’herbe récemment fauchée mais sans Fantôme, ce n’est plus pareil.

Nous avons mis à profit ces quelques jours de repos à la maison pour marcher, faire du vélo et découvrir des lieux que nous ne connaissions pas encore: le village d’Yèvre le Chatel et le parc floral d’Orléans. Le village d’Yèvre-le-Châtel se situe à une petite heure de route. Le jour de notre visite, il semblait endormi comme le château de la Belle au bois dormant. Seuls quelques artisans s’activaient sur les échafaudages montés le long de la façade de l’église. Le village est fortifié. Il abrite un château du 13ème siècle, deux églises: une église romane et les vestiges d’une autre, l’église saint Lubin. Avec ses trois-cents rosiers plantés, Yèvre-le-Châtel est l’une des étapes sur la route de la Rose du Loiret. Ce n’est pas la meilleure période pour profiter des roses qui commencent à peine à éclore. Il faudrait venir de la mi-mai à la fin juin et de septembre à la mi-octobre. Yèvre-le-Châtel est le deuxième village de France à bénéficier du label « jardin remarquable ». La roseraie imaginée en l’honneur du rosiériste Marcel Robichon serpente sur une centaine de mètres en unissant rosiers grimpants, rosiers buissons et plantes vivaces. Entre 1927 et 1968, ce rosiériste a commercialisé quarante obtentions de variétés de rose. En 1958, André Eve, autre rosiériste célèbre, rachète sa pépinière à Pithiviers. Plus tard, il aménagera le jardin de sa maison qui se visite et fait la joie des amoureux des roses.

Nous quittons le village pour gagner Orléans où nous ne sommes venus que deux fois dont une fois avec les enfants par un samedi froid et triste à l’approche de Noël. Après un déjeuner sympathique dans une brasserie bondée et bruyante, nous flânons dans les ruelles qui descendent en direction de la Loire. Nous découvrons un quartier agréable avec ses rues piétonnes et ses nombreux cafés et restaurants. Rue Potier, nous passons devant un bâtiment gothique. Il s’agit de l’une des universités de la ville d’Orléans au Moyen-Âge, fondée en 1306. Orléans était un centre universitaire important. C’est le seul endroit où était enseigné le droit romain et non le droit canon comme partout ailleurs au XIVe siècle. Jean Calvin y fut étudiant en 1528. Le long de la Loire dont le niveau reste élevé après toute la pluie des dernières semaines, des familles se promènent à pied ou en vélo et un jeune homme réalise une aquarelle. Nous regagnons la voiture après un arrêt obligé dans une très belle librairie indépendante. Comme toujours, je suis attirée par les albums pour la jeunesse dont j’apprécie le plus souvent les illustrations. Il m’arrive de retourner dans la bibliothèque dédiée aux livres pour les enfants et d’y chercher une histoire pour la relire.

Je l’ai souvent écrit mais, le soir venu, après le bain et le dîner, la lecture à notre trio des livres qu’il avait choisis me comblait de bonheur. J’aimais me glisser dans le lit de chaque enfant et nous sentir tous deux voyager dans l’histoire. L’enfant nuage de Rhode Montijo, illustrateur américain, est l’une qui me plaisait le plus. Elle raconte l’histoire d’un enfant nuage qui se sentait seul dans le ciel jusqu’au jour où il reçut la visite d’un joli papillon. Il se mit alors à en créer un dans un nuage. Puis, il se pencha pour observer ce qu’il pouvait voir sur la terre et cela lui permit de donner naissance à de grandes et de petites choses. Ainsi, l’enfant nuage sut qu’il ne se sentirait plus jamais seul. L’auteur aurait pu ajouter que, sur terre, les enfants commencèrent alors à rêver en cherchant des formes connues dans les nuages.

Nous nous garons le long d’une grande allée ombragée à côté du parc floral de la Source. Le parc floral est le lieu le plus visité chaque année dans le Loiret. Il fait un temps parfait pour une marche dans les 35 hectares du parc. Il accueille en son coeur, le Bouillon, l’Abîme et le Gouffre, trois sources du Loiret, résurgence de la Loire. En cette première semaine des vacances de Pâques, nombreux sont les grands-parents qui relaient les parents auprès des enfants. Les espaces ont été conçus pour que le parc se transforme au fil des saisons et des fleurissements. A côté du potager et du verger, des vignes représentant les quinze cépages de la vallée de la Loire, la roseraie, les clématites, les pivoines, les dahlias, les vivaces et les iris. Nous arrivons trop tôt pour voir ouvertes les 90 variétés d’iris aux teintes si diverses. A la vue des iris bleus, je songe à Vincent Van Gogh dont la rétrospective organisée à Orsay l’automne dernier était à la fois superbe et bouleversante.

Le parc compte aussi une mini-ferme, des oiseaux exotiques, des flamants du Chili et une incroyable serre aux papillons. C’est fascinant d’évoluer au milieu de cette végétation tropicale luxuriante composée de bananiers, papayers, vanilliers, ficus, hibiscus, orchidées en voyant danser de si beaux papillons. Ils viennent d’Amérique du Sud ou des Philippines. La serre compte une vingtaine d’espèces. Le caligo eurilochus dans des tons de brun et de noir est grand comme une main d’enfant. Le morpho peleides donne à voir l’intérieur de ses ailes bleues quand il les déploie. Avec ses grandes bandes d’un vert presque phosphorescent, le papilio palinurus me fait penser à la Reine de la Nuit de la Flûte enchantée. Au milieu de ces papillons, les adultes redeviennent des enfants. Les grands-parents s’émerveillent autant que les petits-enfants. S’il ne faisait pas aussi chaud, j’aurais eu du mal à quitter cet univers magique. En sortant, nous découvrons une petite école en plein air. Je m’amuse à écrire des noms de plantes sur le tableau. Nous nous allongeons sur un banc circulaire surplombant la roseraie. Nous nous laissons bercer par le chant d’un grand jet d’eau et pouvons admirer le château.

Alors que je me documentais sur les différents propriétaires du domaine de la Source, j’ai découvert l’existence de Jacques de Meulles et de lord Bolingbroke. En 1682, Colbert  désigna le premier intendant de la Nouvelle-France, toute nouvelle colonie où venaient juste de s’installer les nouveaux arrivants. Jacques de Meulles s’est passionnée pour l’Acadie qu’il a exploré en canoë, à pied, à cheval. Le récit qu’il a laissé de son voyage est pour les Canadiens l’une des premières descriptions de leur pays. Rentré en France en 1687, il s’est retiré dans son domaine de la Source et y est mort. En 1714, à l’avènement de George 1er, lord Bolingbroke fut contraint à l’exil en France et s’installa à la Source. Sur ce domaine, il entreprit de mettre en oeuvre cette vision nouvelle des jardins qui s’opposait à la rigidité des jardins à la française et prônait le retour à une nature envisagée librement. Il fit également de la Source un lieu de rencontres et d’échanges pour les esprits éclairés du siècle des Lumières. Une amitié sincère devait naître entre Voltaire et lord Bolingbroke. Dans une de ses lettres, Voltaire parle de Bolingbroke en ces termes: « J’ai trouvé chez cet Anglais toute l’érudition de son pays, toute la politesse du nôtre. Je n’ai jamais entendu parler notre langue avec plus d’énergie et de justesse. Cet homme qui a été toute sa vie plongé dans les plaisirs et les affaires a cependant trouvé le moyen de tout apprendre et de tout retenir. » Dés qu’il le pourra, Lord Bolingbroke regagnera l’Angleterre et l’histoire de la Source continuera jusqu’à devenir l’actuel parc floral. L’influence anglaise se ressent toujours: aucune pelouse n’est interdite au public! Dans les allées, nous croisons des rosalies, petites voitures à pédales. Cela me rappelle combien, à Séville, dans le parc Maria Luisa, nous avions ri dans des voitures identiques. Les enfants allaient si vite que, dans les virages, je m’attendais à ce que notre équipage verse!

Cette semaine à la maison sera pour nous l’occasion de retourner à vélo jusqu’à la maison prodigieuse. Un couple d’enfants de la balle, Hélène et Laurent, vivant six mois dans l’année sur leur péniche-théâtre à Conflans-Sainte-Honorine a transformé une maison éclusière en librairie et salon de thé. Il propose également des outils pour réparer les vélos et anime des ateliers d’écriture et d’origami. Nous passons toujours un moment agréable chez eux. Nous prenons le temps d’échanger, de flâner dans la librairie, de boire un thé et de déguster une pâtisserie maison. Cette fois-ci, je repars avec Cinq méditations sur la mort de François Cheng et La bibliothèque des rêves secrets de Michiko Aoyama. J’ai presque terminé le second. On entre très facilement dans cette histoire qui raconte comment cinq personnes arrivées à un moment de leur existence où elles se questionnent sur leur vie professionnelle et personnelle sont aidées dans leur réflexion par la dame veillant sur la petite bibliothèque d’un centre social: Sayuri Komachi. Ce roman montre avec subtilité comment un livre peut influer sur un destin et le rôle de premier ordre joué par des êtres subtils exerçant le métier de bibliothécaire ou de libraire.

Tandis que je m’apprête à mettre un point final à cette chronique, une semaine s’est déjà écoulée depuis nos quelques jours de vacances et nous sommes à l’approche du très long pont de l’Ascension. Après que le soleil ait réussi une courte percée au-dessus du plateau, la pluie est déjà de retour. Le ciel est noir. Je vais devoir allumer la lumière de mon bureau dont l’abat-jour est couvert de photos, de cartes postales et de faire-part de naissance accrochés avec des pinces à linge. Le chat est étalé de tout son long sur le lit martiniquais. Dans le jardin, les fleurs du rhododendron ont commencé à se déplier. Les pivoines ne sauraient tarder.

Une très belle semaine de l’Ascension!

Anne-Lorraine Guillou-Brunner

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