Un samedi à Paris. Un froid presque polaire. Un vent glacial. Des trottoirs glissants. Et, dans l’air, un parfum de Noël qui flotte encore. Une ligne de métro lilliputienne. La ligne 11: mairie des Lilas/Châtelet. Tandis que, vêtus comme pour l’ascension finale du K2, des papas assistent, dans les tribunes du stade de France, à un match de rugby cent pour cent hexagonal, des mamans, toujours prêtes et prêtes à tout, conduisent, entre Beaubourg et Marais, leurs enfants au musée des contes et des histoires.
Dehors, le petit groupe avait froid. Dans les entrailles du métro, il étouffe. Tant bien que mal, on s’efforce de caser gants, bonnets et écharpes dans les sacs. Bien que grands, ils ne sont pas extensibles à l’infini et contiennent déjà des petites bouteilles d’eau, des mandarines, des gâteaux et des kleenex. A la station Arts et Métiers, les enfants admirent les murs cuivrés et les hublots. J’évoque le Nautilus, son capitaine Némo et l’incroyable pieuvre géante mais je sens vite que l’univers de Jules Verne les laisse de marbre. Je n’insiste pas. Nous y reviendrons dans quelques années.
Nous sortons à Rambuteau. Sur le trottoir, malgré le vent qui rougit les nez et les pommettes, bleuit les lèvres et les ongles, les places sont chères. Les Parisiens sont pris dans la ronde des étiquettes sacrifiant leur prix sur l’autel des soldes. Chaque maman tient du mieux qu’elle peut ses enfants qui ne sont pas très attentifs aux voitures et aux autres piétons. Une des petites filles se trouve prise au piège de la laisse d’un père tirant son chien tout en poussant, l’un derrière l’autre, ses bébés jumeaux dans leur landau. Nous marquons une halte devant une boutique qui propose un vaste choix de robes et de chaussures de flamenco. Nous serions bien rentrés mais, le magasin, petit, est déjà bien rempli.
Avant que nous ne débouchions rue Pecquay, ma mémoire me renvoie vingt ans en arrière et me rappelle un déjeuner printanier, dans un petit appartement d’un immeuble de la rue. Une amie, qui transhumait beaucoup dans la capitale, m’avait invitée à partager une salade tomate/concombre, saupoudrée de cumin en poudre. Pour mon palais, l’association de cette épice avec des crudités était une première que je n’ai pas oubliée ! Aujourd’hui, son souvenir me réchauffe !
La rue Pecquay est plutôt une ruelle bordée d’immeubles bas évoquant le Paris médiéval. Allez savoir pourquoi mais je m’attends à voir surgir une truie et ses petits et échapper, de justesse, à un jeté d’eaux usées provenant de l’une des fenêtres.
Nous poussons la porte du musée des Contes et des histoires. Grand comme un mouchoir de poche, il tient en une entrée qui fait office de salle d’exposition et de bibliothèque et, au fond, derrière une tenture rouge, en une étroite pièce, baptisée « contier ». Une jeune femme, toute en douceur, et chez laquelle je crois deviner du sang sud américain, peut-être péruvien ou chilien, nous invite à déposer nos manteaux et tous nos atours hivernaux, dans deux paniers en osier situés de part et d’autre de la porte d’entrée et à côté des radiateurs. Avec la température extérieure, ils sont vite pleins ! Nous avons rejoint deux autres mamans. L’une d’entre elles a une petite trentaine et deux filles. La première se prénomme Célestine. La benjamine atteint difficilement les dix-huit mois. Je me demande comment cette petite fille va supporter une heure de contes. L’autre maman, sensiblement plus âgée, relativement tendance avec son short court en laine noire, ses bottines à talons, ses cheveux blonds et raides, sa frange rigide surplombant des lunettes rectangulaires et rouges s’occupe, de loin, d’une enfant de cinq ans pleine de vie et dépourvue de toute trace de timidité. Il se dégage de cette maman un je ne sais quoi de particulièrement antipathique. Tout son être semble traversé par des ondes négatives. Elle porte sur les êtres et les choses qui l’entourent un regard incroyablement condescendant, peut-être, finalement, n’est-ce là qu’un regard de myope. Un père pousse la porte du musée. Grand, mince, habillé d’un pantalon en jean bleu foncé et d’une sorte de caban bleu marine, il est accompagné d’une jeune adulte, d’une adolescente et d’un petit garçon aux mèches rousses. Il promène, à son insu, de faux vrais airs de Le Clezio. A peine entré, il ressort en quête d’un distributeur. Derrière lui, je m’attends à humer des fragrances mauriciennes : un mélange de gingembre, de cardamome et de massala.
Quatre mamans, un papa, une jeune adulte, une adolescente, sept filles, trois garçons. Le groupe est au complet. La jeune femme démarre l’atelier. Elle présente le thème du grand Nord en faisant découvrir aux enfants des dessins réalisés par la femme de Jean-Louis Etienne et des objets taillés dans des os d’animaux, telle cette paire de lunettes arrachée à la défense d’un morse. Elle interroge les enfants sur les conditions de vie des Inuits. Comme toujours, il y a les enfants confiants qui se jettent à l’eau, même pour donner des réponses fausses, et ceux qui connaissent les réponses mais n’osent pas se lancer, incapables de tordre le cou à une timidité qui les handicapera durablement. Le son d’une cloche retentit. Les enfants se tournent en direction du rideau dont l’unique pan s’efface pour dévoiler le contier et sa conteuse. Nous nous y installons sur deux séries de marche. La conteuse nous tend des coussins rouges et jaunes. Sur les murs, des peintures. D’un côté, une forêt et de l’autre, un rivage avec un petit bateau voguant sur des flots calmes. Il paraît, parfois, que le voilier s’est déplacé à la fin de la séance. La conteuse est assise dans un fauteuil en rotin mais toute comparaison avec la fameuse Emmanuelle s’arrête là ! Elle a une soixantaine d’années, un visage rond, encadré par des cheveux argentés coupés courts. Elle se tient bien droite les deux jambes fermement campées dans le sol. Ses formes disparaissent sous une grande robe noire qui me rappelle celle que portait la comique Zouc. Sur ses épaules repose un châle couleur grenat tricoté au crochet. A sa droite est largement ouvert un coffre rempli d’objets divers et variés. Ce coffre intrigue ma nièce qui se demande à quoi il peut bien servir.
Après nous avoir invité à ouvrir le sac à histoires et à grimper sur le tapis volant qui va plus vite que le vent, la conteuse commence. Les enfants sont sur le tapis, les adultes, pour la plupart, restent à quai. Les enfants s’accrochent aux mouvements des lèvres et des longues mains de la conteuse qui les fait voyager au pays des Inuits. Attentifs, ils répondent aux questions qui leur sont posées. En tapant de toutes les forces, avec leurs deux mains, sur leurs cuisses, et en criant « yack, yack, yack », ils imitent la course des chiots du petit Nook lancés sur la banquise. De leur côté, les grandes personnes fournissent de gros efforts pour ne pas sombrer dans un sommeil aussi profond que la nuit polaire. Elles s’ennuient ferme et, par égard pour la conteuse dont la légende raconte qu’elle est un peu sorcière, ils répriment les bâillements qui montent et se calent des allumettes imaginaires entre les paupières pour garder les yeux ouverts.
La séance s’achève. Au même moment, deux pairs de grands yeux bruns cherchent, sur l’un des murs peints, le petit bateau posé sur des flots calmes. Les iris sombres constatent que le frêle esquif n’a pas bougé d’un pouce. Cette déception enfantine se dilue vite dans un échange de regards complices et de sourires amusés. Si la conteuse à la robe noire et aux cheveux d’argent n’a pas su réveiller, dans le cœur des adultes, le petit enfant qui sommeille, les plus jeunes auditeurs ont passé un bon moment. Le soir, déguisés en danseuse de Flamenco, Sherazade, Aladin et Maharani du Rajasthan, ils organisent un spectacle plus que improvisé sur le thème du grand Nord. A Minuit, exception faite de la même petite fille qui s’est endormie depuis deux heures, déjà, et dont ne dépasse de la couette que les boucles dorées et une main tenant un doudou exsangue, les enfants sont en pleine forme. Leurs parents, eux, n’ont plus qu’un souhait, celui de s’enfouir au fond d’un lit douillet et trouver auprès de leur conjoint la douce chaleur d’une bouillotte cent pour cent écolo !
N.B : Idéalement, ce billet serait à lire en dégustant l’une ou l’autre de ces terribles cupcakes, deux cent pour cent régressive mais si féerique de la boutique Berko, 23 rue Rambuteau, découverte samedi dernier. Si vous ne me croyez pas, jugez par vous-même sur www.berko.fr
Anne-Lorraine Guillou-Brunner
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