Tous les ans, aux premiers jours de juillet, ce sentiment que l’été n’en finira jamais et puis, à partir du 15 août, le retour à la réalité: l’été va se terminer. Il est une parenthèse enchantée désormais tristement endeuillée par des incendies violents. Les jours se font plus courts. Les hirondelles ont déserté le plateau sans avoir pris le temps de se réunir pour de longs conciliabules sur les fils électriques. Les feuilles des arbres roussissent. La glycine s’offre sa troisième floraison. La récolte des tomates cerises et des framboises se poursuit. Dans les familles avec enfants scolarisés, on se met en ordre de marche. Les affaires sont prêtes. La tenue de rentrée est choisie. Cela fait plusieurs décennies que les cartables en cuir ont été remplacés par des sacs à dos. Au retour du Gard, tandis que je faisais des courses, j’ai eu un pincement au coeur à la vue de ses parents tenant entre leurs doigts la sacro-sainte liste de fournitures scolaires. L’ambiance était calme entre les rayons. Pas de drame autour du choix d’une trousse ou d’un classeur. Je n’avais rien à acheter pour le trio en lien avec l’école. Ma liste pour eux comprenait une housse de couette, des produits de toilette ou d’entretien.
Je ne verrai plus notre ainée aider notre benjamin à étiqueter ses cahiers. Je n’attendrai, le premier jour de la rentrée, de savoir s’ils sont contents de leurs professeurs, s’ils ont retrouvé des amis dans la classe. Je n’aurai plus personne à emmener le matin prendre son car sur la place de l’ancienne gare. Si, depuis quelques jours tous nos enfants sont au nid, mercredi matin, nous serons à Orly et notre cadette s’envolera pour le Maroc effectuer sa dernière année de licence. Deux jours plus tard, un papa prendra la route avec notre fils et sa petite amie et tout son déménagement. J’aurais aimé pouvoir rester quelques jours avec lui à Tours comme je l’avais fait pour Victoire quand elle s’est installée à Reims mais cela ne sera pas possible. En septembre, Céleste fêtera ses 22 ans à la maison avec ses amies proches et commencera à travailler à Robert Debré, dans un service d’oncologie. Mardi soir, ce sera notre dernier dîner en famille au complet avant que Victoire ne rentre du Maroc pour Noël. Etrange sentiment!
Voici quelques jours, nous quittions la Provence, la bonne et vieille maison de Pont-Saint-Esprit et notre maman, la gardienne des mémoires. Cela faisait deux ans que nous n’étions pas revenus. Dés la porte bleue poussée sur l’entrée sentant un mélange de cendres froides, de lavande et d’encaustique, nous avions reçu pour consigne de ne pas effrayer les martinets. Au printemps, un couple s’était installé dans la cour. Deux petits avaient vu le jour. Tous les matins, quand le soleil a éclairé le sommet du Ventoux, la famille disparaît. Elle chasse au-dessus du Rhône. Elle s’en revient quand la nuit tombe. Les parents et les enfants s’installent sur des branches de la glycine. Nous avons veillé à ne pas troubler le quotidien des martinets dont les corps longilignes et les chants stridents sont très proches de ceux des hirondelles. Joie de monter les marches de l’escalier à vis, de retrouver le petit salon avec ses murs jaunes et ses poutres rouge basque, les chambres et le grenier. J’aurais aimé pouvoir vivre un confinement dans cette maison, avoir le temps de me plonger dans les archives familiales et d’écrire l’histoire romancée de ses membres.
Sans notre berger australien, je ne me glisse plus dans les rues alors que le soleil n’est pas encore tout à fait levé. Je n’ose plus m’aventurer le long de la rive gauche du Rhône. Je ne vois plus ma silhouette et la sienne se détacher sur les façades illuminées par les rayons du soleil levant. Je me contente de marcher dans les ruelles en saluant les passants, de remonter les allées enserrant la ville sur lesquelles les platanes, malades, ont été remplacés par des micocouliers et d’aller acheter du pain et des fougasses.
Le lendemain de notre arrivée, nous déposons Victoire à la gare TGV d’Avignon. Elle part rejoindre Noa à Aix-en-Provence. Les filles ont partagé un appartement cette année. Quand Victoire sera au Maroc, Noa sera à Istanbul. Victoire dans le train, Stéphane et moi allons nous promener dans la ville. De nombreuses affiches de pièces de théâtre collées sur les murs racontent les semaines du Festival. A cette heure encore matinale, Avignon finit de se réveiller. Pour célébrer les 25 ans de sa désignation comme Capitale de la Culture européenne et les 30 ans de son inscription au patrimoine mondial de l’UNESCO, la ville a confié à Jean-Michel Othoniel le soin d’investir les lieux emblématiques et de mettre en lumière leur originalité. A Paris, j’aime particulièrement son Kiosque des noctambules à l’entrée de la station du métro Palais-Royal-Musée du Louvre. Des perles colorées sont enfilées sur une structure en aluminium. Nous poussons la porte du tout nouveau musée de la ville: les Bains Pommer. Il s’agit des bains publics de la ville de 1890 à 1972. Le musée permet de comprendre l’évolution de ces bains durant prés d’un siècle et l’attachement de la famille à son entreprise. Les visiteurs découvrent l’évolution des pratiques de l’hygiène, écho des mutations de la société.
L’atrium est magnifique. Il a été construit en 1890 par Auguste Claude Pommer dans le style « Belle époque ». Il a été transformé à la fin des années 1920 par son fils, Louis Pommer, qui lui a alors conféré une identité « Art-déco ». L’architecture panoptique offre une vision de l’ensemble de ce qui se passe dans l’établissement, notamment depuis la caisse: toute la coursive est visible, tout comme les cabines du rez-de-chaussée. Grâce au miroir au-dessus de l’escalier, ce qui se passe au-dessus de la caisse est surveillé. Dans les cabines, Jean-Michel Othoniel a installé des fontaines de verre roses et dorées d’où jaillissent de l’eau. C’est un endroit vraiment particulier qui me rappelle un musée que nous avions beaucoup aimé: le musée de la Piscine à Roubaix. Avant de quitter les lieux, je suggère aux personnes qui sont à l’accueil de se mettre en contact avec le musée de la Piscine car les deux musées pourraient travailler en synergie.
Le musée Calvet est fermé à l’heure du déjeuner. Nous ne voyons que la façade de l’hôtel particulier et l’une des oeuvres d’Othoniel au milieu de la cour: une sorte de diadème composé de boules argentées. Au musée Lapidaire qui abrite une très belle collection archéologique, l’artiste a installé dans des niches des sculptures en briques de verre minimalistes. La température flirte avec les 38 degrés. Les jambes sont lourdes. Nous regagnons la voiture garée en plein soleil et repassons le Rhône en empruntant le pont de l’Europe.
Dans les jours qui suivent, nous sommes heureux de profiter d’amis très chers qui nous ont beaucoup manqué, de partager un dîner très agréable à la terrasse du restaurant la Paillote Glou-Glou dont le fils de l’une de nos amies est chef, de nous rafraîchir de bonne heure dans la Cèze depuis une plage située en aval du village de la Roque-sur-Cèze et de ses cascades du Sautadet, de retrouver Aiguèze surplombant l’Ardèche, les allées du marché du samedi matin.
Le jour du retour de Victoire, nous partons en Arles. Nous aimons beaucoup cette ville dont le centre a été restauré avec goût et qui met à l’honneur la photographie de juillet à octobre. Habituellement, nous ne prenons des billets que pour trois ou quatre expositions. Cette année, nous nous offrons un pass. Il va nous permettre de voir autant d’expositions que nos yeux et nos jambes sont capables d’en absorber.
Après un déjeuner à l’ombre des platanes rythmé par les chants gitans d’un guitariste, nous commençons notre marathon photographique. Il est l’occasion pour nous de découvrir des lieux que nous ne connaissions pas tel que l’espace Van Gogh, le cloître Saint-Trophime et le complexe artistique et culturel crée par la fondation Luma. L’espace Van Gogh se situe dans le vaste quadrilatère de l’hôtel-Dieu construit au XVIe et au XVIIe siècles. En son coeur, un bassin et tout autour des arbres et des fleurs. Cet ancien hôpital m’a rappelé l’ambiance que nous avions pu trouver dans les cloîtres de monastères à Antigua au Guatemala. Le cloitre Saint-Trophime, érigé au XIIe siècle, est un bijou de l’art roman. Sur ses piliers sont sculptés avec raffinement de nombreux saints, Juda, le roi Salomon, la reine de Saba et le Christ. Quant au site de la fondation Luma, il englobe sept anciennes usines ferroviaires rénovées et une tour conçue par l’architecte Franck Gehry. La tour qui mesure 56 mètres de haut est recouverte de 10 752 blocs en acier inoxydable. Elle compte 10 étages, tous différents, des planchers en forme de pétales, une rotonde de verre et 53 baies vitrées. Au deuxième étage, deux toboggans s’entrelaçant permettent aux visiteurs de regagner, d’une glissade, le rez-de-chaussée.
Ce serait trop long de passer en revue toutes les expositions que nous avons vues. Le thème de cette 56e édition était « Images indociles ». Les photographes originaires d’Australie, du Brésil, des Caraïbes, d’Amérique du Nord avaient à coeur de célébrer le patchwork des cultures, des genres et des diversités dans un monde heurté de plein fouet par une poussée des nationalismes et les crises environnementales. Nous avons particulièrement aimé l’exposition d’artistes brésiliens désireux de déconstruire les stéréotypes et de promouvoir les cultures afro-brésiliennes et indigènes, le monde de Louis Stettner, le travail de Raphaëlle Peria et Fanny Robin ainsi que celui de Keisha Scarville. Nous avons été séduits par les photos de Kourtney Roy venant dynamiter le cliché des vacances de rêve en exposant des blondes peroxydées avec des ongles démesurément longs et des hommes aux corps huileux et bodybuildés. Nous avons été très touchés par la quête que Diana Markosian a mené pour retrouver son père, disparu pendant quinze ans.
Nous étions épuisés, accablés par la chaleur mais ravis de notre journée arlésienne. La veille du 15 août, nous allions dîner à la terrasse du restaurant Le Bienheureux à Saint Alexandre. Nous invitions notre maman pour son anniversaire que nous n’avions pas pu fêter le 3. Avant de partir, elle avait entendu que des orages pourraient éclater dans la soirée et s’était demandé s’il convenait d’emporter une petite laine et un parapluie. Nous lui avions répondu que le temps ne changerait pas. Nous venions seulement de commander quand nous recevions des gouttes de pluie. De gros nuages sombres avaient fait leur apparition. Le vent s’était levé. Nous étions bien protégés par l’épaisse frondaison d’un murier. Alors que la pluie redoublait et que le tonnerre se faisait attendre, nous avons été les derniers à nous mettre à l’abri. Les températures avaient brutalement chuté. Cette fraîcheur était une bénédiction!
Le lendemain matin, à 8h00, nous allons chercher notre amie Virginie, artiste-peintre. Ensemble, nous nous rendons à Barjac où se tient la 103ème foire des antiquités. Dernier jour. Presque personne. Certains antiquaires ou brocanteurs finissent de déballer les objets sur les stands. Les traits des visages sont tirés. La chaleur a dû être très dure à supporter depuis jeudi. Plusieurs heures durant, nous arpentons les allées. Nos yeux passent de services en porcelaine à des petites voitures, des draps en lin brodés aux bijoux anciens, des miroirs aux lampes, des tapis d’Orient aux masques africains, des couverts en argent aux chaises longues en osier et rotin, des dame-jeannes aux anciens syphons. A 10h00, une voix s’élève au-dessus des allées. C’est celle de l’organisateur de cette nouvelle édition. Il est accompagné du prêtre qui va bénir la foire, les antiquaires, les brocanteurs et les vendeurs. Il rappelle que la première foire s’est tenue en 1972 et qu’elle a permis de faire connaître Barjac et de dynamiser l’activité touristique.
Un apéritif dinatoire chez Virginie et Jacky et notre séjour s’achève. Comme à chaque fois, j’ai le coeur lourd au moment de quitter notre maman que nous ne reverrons pas avant la Toussaint, la maison, des amis merveilleux, une région magnifique. Cette mélancolie profonde dure un certain temps. Je ne sais jamais quand je pourrai revenir dans le Gard. Le chat, lui, est ravi de retrouver le jardin, le plateau et ses copains!
Tandis que je finis cette chronique, la machine à laver la vaisselle ronronne; une tourterelle turque roucoule; une mouche cherche la sortie; Céleste se sèche les cheveux; Victoire monte la vidéo de leur marche sur le circuit des 25 bosses; Gwen et Louis regardent un film; Stéphane joue aux échecs; le chat sommeille dans l’herbe sous le mirabellier. La fin d’un dimanche en été.
Une très bonne rentrée à toutes et à tous,
Anne-Lorraine Guillou-Brunner