Chronique au premier jour d’octobre

Vendredi, en fin de matinée, sur le parking de la gare pourtant agrandi, pas facile de trouver une place pour stationner. Je tire ma petite valise rouge jusqu’au quai. A côté de moi, une maman répète plusieurs fois à sa fille comment se rendre à son lieu de rendez-vous. Je souris à cette maman que je sens stressée de laisser partir seule sa fille à Paris. De son côté, la jeune fille ne semble pas plus rassurée. Je leur dis que tout ira bien et qu’il ne faut surtout pas hésiter à se faire aider. Un souvenir remonte et me renvoie à l’année 2021. Debout sur le quai mouillé par la pluie, je vois le visage masqué de notre aînée assise dans un wagon côté fenêtre. Il s’en est fallu de peu qu’elle rate son train. Pas de temps pour les effusions. C’est certainement mieux. Le chef de gare siffle le départ. Le train s’ébranle. Mon coeur se serre. Ma vue se brouille. Elle n’en verra rien. Elle commence sa vie d’étudiante. Trois ans sont passés depuis ce premier envol. Samedi, à quatre heures du matin, l’une de ses amies viendra la chercher pour les conduire elle et son énorme valise à Orly. Elle y retrouvera une autre camarade de sa promotion et toutes deux monteront dans un avion à destination de Madrid. Les filles vont effectuer dans un hôpital un stage de dix semaines. Nous nous retrouverons avant Noël. Ce sera la première fois que nous sommes vraiment éloignées géographiquement et pour une aussi longue période. Dans quelques mois, c’est notre cadette qui devrait s’expatrier une année pour étudier au Brésil, à Sao Paulo. J’aimerais que nous puissions nous envoler avec elle et que nous découvrions ensemble ce pays. Plusieurs de nos amis ont des enfants étudiants au Canada. Tous ont eu cette chance de les accompagner. Ce sera aussi le moment de l’installation de notre fils dans sa vie d’étudiant.

Le train est bondé. Je m’installe sur un siège dans un emplacement où on peut suspendre des vélos. Je suis à côté des toilettes. Il ne fait pas chaud. Les passagers qui attendent que les toilettes se libèrent me parlent. Je les fais rire en leur disant que je suis la « dame pipi » de l’Intercité. A Paris, le ciel est gris et l’air lourd. Je glisse du quai de la gare à celui du métro. Descendue dans le ventre de la capitale à Bercy, j’en ressors à Lamarck-Caulaincourt. Ma soeur est à Trappes où elle anime dans un lycée avec un professeur de français et les comédiens de sa future pièce co-écrite avec son ami Jean-Luc Berthin « Juste une foi » un atelier pour des élèves sur le thème de la laïcité, sujet devenu si sensible dans notre pays, si sensible que plusieurs villes refusent de les accueillir dans leur théâtre municipal. La mort atroce de Samuel Paty a marqué les esprits.

Je dépose ma petite valise rouge. Miyu, la chatte soeur de Cookie, vient me dire bonjour. Je marche jusqu’au Monoprix de Villiers, quartier que je connais bien pour y avoir vécu quand j’étais étudiante. A cette heure, la rue de Levis est moins animée. Je ressors du Monoprix avec une paire de collants vert bouteille. Je déambule entre les allées du cimetière Montmartre dans lequel sont enterrés des membres de notre famille maternelle. Je marche entre les tombes veillées par des chats noirs. Certaines sépultures se couvrent de mousse. Les feuilles des arbres commencent à roussir. Si la mort me fait peur car je ne me sens pas avoir encore complètement déplié mes ailes, les cimetières m’apaisent. Les écrivains côtoient les hommes politiques, les comédiennes échangent avec les danseurs et les musiciens. Guitry, Degas, Dalida, Marceline Desbordes-Valmore, Pierre Dux, Annie Fratellini, Théophile Gautier, l’aérostière Marie Goldschmidt, les frères Goncourt, Michael Lonsdale, Jeanne Moreau, Nijinski, Juliette Récamier, Offenbach, Pierre Waldeck-Rousseau, la Goulue, ils sont tous à Montmartre.

A 16h30, je suis devant la porte de l’école de Charlotte, notre petite nièce, entrée en CE1. Elle me cherche, me trouve vite et se précipite avec son cartable très lourd qu’elle refuse catégoriquement que je porte. Elle me tend sa main. Nous marchons jusqu’au 13 de la rue Caulaincourt où se trouve un atelier de modelage, l’atelier Tholozé sur lequel règnent deux artistes charmantes, Anita et Hélène. Quand elles ne transmettent pas leur art aux enfants, adolescents et adultes, elles créent de belles pièces très colorées.  Les enfants goûtent avant de se mettre à travailler l’argile. Les parents disparaissent. Je serais volontiers restée avec Charlotte dans cet endroit chaleureux parcouru par de bonnes ondes. Une heure et demi plus loin, je vois Jess, une amie de ma soeur devant l’atelier. Je ne savais pas que son fils, Noé, y allait également. Nous entrons pour admirer le travail des artistes en herbe. Charlotte me montre sa création du jour: un chat-souris avec de belles moustaches qui semble tout droit sorti de l’imagination de Hayao Miyazaki. Je la complimente. Nous ne partons pas avant qu’Anita ait demandé à César de distribuer des bonbons aux élèves.  Tandis que la nuit commence à envelopper la butte Montmartre, nous essuyons une belle averse. Douche, retour de sa maman, dîner et tête à tête sororal.

Samedi matin, je laisse ma soeur et sa fille et vais rejoindre Céleste au musée d’Orsay. Le ciel est clair mais le vent assez froid. La Seine charrie une haut marron et je me demande comment les nageurs du triathlon ont pu s’y élancer. L’exposition consacrée à Harriet Backer, peintre norvégienne née dans la seconde moitié du 19ème siècle a été inaugurée mardi soir. Je n’avais jamais entendu parler de cette artiste comme j’ai durablement grandi dans l’ignorance de l’existence de Rosa Bonheur à laquelle la société patriarcale a fait payer cher le fait d’avoir mené une vie libre, aimé deux femmes, remarquablement bien vendu ses oeuvres et connu la reconnaissance Outre-Atlantique. Harriet et sa soeur, Agathe, ont eu la chance de voir le jour dans une famille bourgeoise de Holmestrand. Alors qu’à cette époque pour la majorité des femmes, l’éducation reçue se résumait à devenir une bonne épouse et une bonne mère, Harriet et Agathe (pianiste célèbre) étaient incitées à développer leurs talents artistiques. Après avoir séjourné en Allemagne, étudié en Italie, Harriet Backer s’installe à Paris pendant dix ans. Elle décroche une médaille d’argent à l’Exposition universelle de 1889 avant de fonder à Oslo une école de peinture. A partir de 1875, elle vit avec Kitty Kielland, artiste paysagiste et militante féministe. Kitty Kielland est souvent le sujet principal des toiles d’Harriet Backer.

Céleste et moi sommes sensibles à la lumière qui pénètre par les fenêtres et vient éclairer l’intimité des scènes d’intérieur. Harriet Backer représente des femmes occupées à lire, à écrire ou à coudre. Sa palette est douce. Ses couleurs sont lumineuses. L’artiste aimait particulièrement les intérieurs. Ainsi, elle écrivait: « Dès que j’entre dans une pièce aux couleurs bleues et rouges sur des meubles rustiques ou des murs mats et brillants où la lumière réfléchie par les arbres et le ciel entre par une fenêtre ou une porte, je ne tarde pas à me retrouver devant une toile. » Je suis restée un long moment devant un tableau représentant un salon baigné de lumière dans lequel s’épanouissent de nombreuses plantes vertes. Bien que le travail soit très différent, cela m’a rappelé les jardins d’hiver ou l’atelier peints par Sam Szafran.

En sortant d’Orsay, nous marchons jusqu’au Rostand, en face du jardin du Luxembourg que nous traversons. A l’entrée, côté rue d’Assas, rue Vavin, des élèves d’un certain âge sortent d’un cours de jardinage. A cette heure, c’est calme dans l’air de jeux du Poussin vert où notre trio aimait tant la tyrolienne. Pas de voilier voguant à la surface du bassin. Sous le kiosque à musique, des musiciens finissent de ranger leurs instruments. Nous rejoignons Cath et Vali, la tante et l’oncle paternels de Céleste pour un déjeuner très agréable. Nous ne nous étions pas revus depuis le dernier Noël célébré à la maison, sur le plateau. Cath et Vali partent assister à un ballet au théâtre du Châtelet. Céleste et moi continuons à flâner faisant une halte à la Procure et retrouvant sa grande amie Julia près de Châtelet. Je laisse les filles et reprends le métro jusqu’à Montmartre.

Ma soeur réunit ses amis pour son anniversaire, son changement de décade. Elle a déjà poussé les meubles et préparé une grande salade. Cerise arrive avec un sac contenant de nombreuses choses à grignoter et un second sac immense dans lequel elle a glissé le cadeau qu’elle réserve à son amie de trente ans: l’une de ses toiles: une femme de dos entourée de fleurs rouges. Avant que tout le monde toque à la porte, Virginie ouvre l’une des nombreuses bouteilles de champagne achetées chez l’une de ses amies dont le père est producteur et nous trinquons à ses cinquante ans. Je suis heureuse de faire la connaissance d’amis de ma soeur dont elle m’a souvent parlé et que je n’ai encore jamais eu l’occasion de rencontrer. Ma soeur est vraiment entourée par une famille d’amis merveilleuse et a trouvé auprès de Benoît un compagnon calme, positif, aidant, drôle et très amoureux. L’ambiance est festive et tout le monde danse. Charlotte et Iko investissent la piste et chantent tout en suivant les pas de la chorégraphie qu’elles ont imaginée. Alors que le gâteau arrive, j’improvise un hommage pour ma soeur. Elle a tellement de dons que j’en oublie la moitié: comédienne aussi sensible qu’une Romy Schneider, aussi intelligente qu’une Delphine Seyrig, analyste des profondeurs comme Jung, plus jeune graphologue de France au début des années 2000, astrologue dans la veine d’une Françoise Hardy, esprit ouvert également à la lecture du tarot, au human design, plume talentueuse, voix de soprano, mère inspirante, amie solaire. Céleste nous rejoint mais ne reste pas très longtemps: demain, Antoine et elle vont à la maison et Céleste fera son baptême de parachute. C’est le cadeau d’Antoine pour ses 21 ans. Virginie reçoit le même cadeau de Cerise, de Jess, de Benoît, de Céleste, d’Antoine et de moi. Un rêve ancien qui prendra forme au printemps quand les journées seront à nouveau plus chaudes et lumineuses.

Extinction des feux à deux heures. Petit-déjeuner dominical que Jean-Luc et Teddy ont été chercher à la boulangerie. A 15h00, je suis au Petit Palais et retrouve la marraine de Céleste, Catherine et Valentin. Nous déambulons dans les salles où sont dispersées les oeuvres des expositions Le corps en mouvement et Street Art. C’est la première fois que le Petit Palais ouvre ses portes l’art mural. L’exposition a énormément de succès. Dans l’une des salles, les toiles sont présentées comme, autrefois, elles pouvaient l’être au Salon des Refusés ou au salon d’Automne. Trop de monde. On se croirait dans une rame du métro aux heures de grande affluence. Je reste assez hermétique à la plupart des oeuvres exposées. Mon regard est plus attiré par des toiles que je connais déjà ou par cette sculpture extraordinaire de la danseuse russe Sacha Lyo réalisée par Serge Youriévitch. La très jeune femme exécute un grand écart vertical dans un mélange de grâce et de puissance. Plus tard, je lirai que Sacha Lyo, promise à un avenir magnifique, s’est suicidée après avoir acquis la certitude que l’aristocrate égyptien dont elle était éprise ne l’épouserait pas. Après cette grande déambulation dans les salles du musée, nous nous installons à l’une des tables du jardin. C’est un lieu agréable et calme. Nous échangeons autour d’un thé gourmand. Catherine nous parle du poids de l’Église orthodoxe dans la société roumaine et des abus auxquels de fausses croyances peuvent conduire. La marraine de Céleste Catherine et Valentin habitent rive gauche. Ils montent dans un 83 pour traverser la Seine. Je m’engouffre dans le métro à Champs-Élysées Clémenceau.

Il est déjà tard quand je retrouve ma soeur et sa petite fille. Tout le monde est bien fatigué après la soirée d’hier. Le marchand de sable ne tarde pas à passer. Le matin, je m’en vais peu de temps avant que Boucle d’Or ne parte à l’école. Elle est encore emmitouflée dans un grand plaid sur le canapé. Mentalement, je dis au revoir à cet appartement dans lequel ma soeur, ses enfants et notre fille aînée ont vécu et auquel sont associés de beaux souvenirs dont celui de l’un de mes anniversaires. Quand nous nous reverrons, ma soeur et sa fille auront déménagé tout en restant dans le même quartier. Je m’en réjouis pour elles deux car elles vont conserver leurs repères et leurs proches.

Déjà une semaine que je partais pour Paris. Ma soeur est dans ses cartons. J’ai accueilli de nouveaux patients. Notre fille aînée prépare sa grosse valise. Ce soir, elle dînera avec son amoureux, un couple d’amis et une invitée surprise. Demain, elle sera à Madrid. Ici, la piscine commence à faire grise mine. A sa surface, le petit canard est immobile. Le temps approche où il faudra rentrer au chaud les plantes après qu’elles aient profité de longs bains de soleil. Les feuilles de la glycine jaunissent et tapissent les pavés de la terrasse. Le tapis de noisettes n’attire aucun écureuil. Ce matin, alors que je faisais le tour du plateau toujours rose grâce aux tiges de sarrasin, j’ai rencontré un chevreuil solitaire non loin de la mare et, un peu plus tard, un trio peu farouche. Nous nous sommes longuement observés. Ces moments sont toujours magiques.

A bientôt,

Anne-Lorraine Guillou-Brunner

Laisser un commentaire

Votre adresse de messagerie ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *

Ce site utilise Akismet pour réduire les indésirables. En savoir plus sur comment les données de vos commentaires sont utilisées.