La veille de la fête des mamans, j’ai reçu deux magnifiques bouquets. L’un m’a été offert par mes enfants et leur papa et le second par Julia, une amie de notre fille aînée, venue passer le week-end à la maison. Le premier était composé de plusieurs pivoines de variétés différentes, le second de deux tiges de lys portant chacune quatre boutons mélangées à des branches d’eucalyptus et de toutes petites fleurs roses. J’ai scrupuleusement suivi les indications de la fleuriste qui ne se fournit qu’en fleurs françaises et de saison: couper les tiges tous les deux jours et mettre de l’eau bien fraiche. Les fleurs nous font don de leur beauté éphémère. Il nous revient d’en prendre soin. Prendre soin d’un bouquet est, indirectement, une façon de témoigner de l’amour à celles et à ceux qui nous l’ont offert.
Tous les jours, plusieurs fois par jour, j’ai pris le temps d’admirer les deux bouquets. J’ai vu les pivoines progressivement s’ouvrir et diffuser leur odeur si subtile. Certaines se sont épanouies laissant apparaitre un coeur énorme entouré de filaments bleu foncé ressemblant à de longs cils. D’autres ont littéralement explosé en taille sans donner à voir leur coeur. Les lys se sont ouverts progressivement. Quand certains commençaient à laisser pleuvoir des gouttes de pistil couleur safran sur la table de couvent, d’autres amorçaient leur éclosion. Presque deux semaines se sont écoulées. Deux pivoines demeurent dans une eau parfaitement claire. Elles étaient les plus volumineuses. Elles n’ont perdu aucun pétale. C’est leur couleur qui a passé comme celle des rideaux de la cuisine trop souvent exposés à la caresse du soleil en été. Les pétales ne sont plus d’un beau framboise soutenu mais d’un rose pale. J’observe la lumière les traversant.
En plus de ces si belles fleurs, j’ai reçu du thé dont un très étonnant thé parfumé au chocolat. Bien sûr, un jour dans l’année n’est pas indispensable pour témoigner à nos mamans notre amour et notre reconnaissance pour tous les bons soins qu’elles nous prodiguent. La nôtre était à Paris chez ma soeur partie au Japon avec son compagnon. Elle prenait soin de Boucle d’Or, sa dernière petite-fille bientôt âgée de sept ans. Ma soeur et moi avons toujours pu confier nos enfants et nos animaux à notre maman dans une confiance totale. C’est une grande chance! Sa grand-mère lui a concocté de bons repas, préparé des tartines le matin et lu, avant qu’elle ne plonge dans le pays des rêves, des histoires. Notre fille aînée est, parfois, venue en renfort. Céleste a vécu deux ans chez sa tante avec son cousin et sa petite cousine si bien que la complicité qui les unit est très forte.
Avoir d’être une maman trois galons gâtée par ses enfants, j’ai été une fille heureuse de faire plaisir à la sienne le jour de la fête des mères. J’ai des souvenirs très précis de choses fabriquées en classe dont un plateau avec une rosace marquetée, en cours d’éducation manuelle et technique. C’était vraiment difficile de réaliser cette rosace et l’un de mes camarades m’avait aidée. Au collège, ce cours a disparu, remplacé, je pense, parce qu’on appelle technologie. Au collège, en EMT, filles et garçons apprenaient à coudre et à scier. Notre maman est au nombre de ces mères qui conservaient toutes les oeuvres de leurs enfants sans pour autant les exposer fièrement dans la maison. Ainsi, un abat-jour en raffia jaune et rouge monté sur une grosse bouteille de vin prend la poussière dans le grenier depuis au moins quarante-cinq ans! Le jour précédent le dimanche de la fête des mères, notre père nous emmenait ma soeur et moi choisir un cadeau pour elle. Je me rappelle d’un foulard avec des caractères chinois et un service à thé religieusement rangé dans un buffet de la bonne et vieille maison gardoise. En grandissant, ma soeur et moi avons le plus souvent opté pour des fleurs et des livres.
De mon côté, c’est toujours avec le même bonheur que j’ai accueilli les présents confectionnés par les enfants en classe ou à la garderie: les cartes décorées s’ouvrant sur un joli compliment, les pots à crayon couverts de tissus ou de paillettes, les verres peints à la main, les torchons représentant des dessins de tous les enfants de la classe, les petites mains figées dans de la pâte à sel ou de l’argile, des peintures très colorées. Les enfants arrivaient le vendredi soir à la maison et se précipitaient pour offrir ce qu’ils avaient préparé. Ce n’était pas possible pour eux d’attendre jusqu’au dimanche. L’âge venant, les cadeaux ont changé. J’ai droit à des livres, des fleurs, un bijou, des vêtements. Je reste toujours très attachée à ces mots si touchants qu’ils peuvent m’écrire et que je conserve comme d’authentiques trésors.
A la fin du premier confinement, les enfants m’ont réservé une incroyable surprise pour la fête des mères. La veille, j’étais si fatiguée que je n’avais rien entendu de leurs préparatifs. J’en avais fait une chronique dont je recopie les extraits.
Quand je me suis levée, un peu plus tard qu’en temps normal, mon regard a été attiré par un papier et un disque pâte-à-fixés sur la baie vitrée. Le disque « Chacun fait (c’qui lui plaît) » m’avait été offert par notre père quand j’étais en sixième. Encore aujourd’hui, je connais les paroles presque toutes par coeur!
Je descendais l’escalier et trouvais Fantôme. J’oubliais d’écouter la chanson. J’étais fascinée par l’oeuvre qui se déployait sur la table de la cuisine et que Niki de Saint Phalle aurait pu avoir imaginée. Je découvrais un réveil, une assiette sur laquelle des figurines Star War formaient une ronde, une carte représentant la transhumance dans le Queyras, la brioche aux pépites de chocolat concoctée par Louis la veille, deux peluches et un poupon masqués représentant les enfants, une bouteille de champagne vide (quel dommage!) et une flûte, un bouquet de roses rouges du jardin et un cadeau enveloppé dans le papier du fromager.
Chaque objet avait sa légende écrite sur un papier collé sur la table ou accroché dans les roses. J’éclatais de rire tout en ayant les larmes aux yeux. Je mesurais combien mes enfants me connaissent bien et m’aiment avec ma personnalité « mer d’Iroise ». Bien qu’il soit un peu plus de sept heures, j’allais les voir pour leur souffler dans l’oreille combien leur surprise m’avait à la fois émue et fait rire. Les filles étaient dans un état second. Louis, lui, se redressait et demandait à ce que je lui raconte par le menu mes réactions. Un peu plus tard, avant que nous ne partions marcher, Stéphane me disait que, jusqu’à une heure, il avait entendu les enfants s’affairer. Dans quinze jours, ce sera son tour!
Cette année, pour la toute première fois, un enfant manquait à l’appel. Victoire était chez Jeanne à Poitiers. Les filles font un stage d’un an dans une association caritative. Je dédie cette chronique à notre maman et à nos trois enfants que j’aime tant.
Anne-Lorraine Guillou-Brunner