Mercredi après-midi, les enfants, massés en grappe sur le canapé de la mezzanine, suivaient, captivés, « Retour vers le futur ». Stéphane était dans son bureau, son îlot au fond du jardin, son bout de banquise, sa terre vierge. Fantôme finissait de faire sécher sa fourrure humide et boueuse, le menton posé sur le bord vernissé d’un pot bleu contenant un bougainvillier chétif. J’étais allongée le bras droit tendu dans l’une des pièces de la salle de spectacle municipale de la ville d’Amilly. L’infirmière, charmante, joyeuse, dont le petit Liam âgé de dix-huit mois a été très encombré entre Noël et le jour de l’An, venait de me dire ce qu’on me dit à chaque fois : « Génial ! Vous avez LA veine dont nous rêvons tous. LA veine parfaite qui est en relief et qui est parfaitement droite ! Quelle veine, cette veine ! ».
Je ne tire pas de satisfaction particulière à avoir LA veine parfaite mais je sais que pour le corps médical comme pour un patient, c’est vraiment une chance. Depuis que je suis enfant, je n’ai jamais eu peur des piqûres et, en qualité d’aînée, je donnais l’exemple à ma jeune sœur qui, elle, dés que le pédiatre avait le dos tourné, se carapatait dans la salle d’attente. Elle hurlait, devenait toute rouge. Sa colère était telle que les magnifiques boucles d’or qui encadraient son visage ressemblaient aux serpents vénéneux sur la tête de Méduse ! Au moment où le médecin piquait, elle ne pleurait plus et se remettait à donner de la voix quand elle avait compris que l’injection était faite !
J’étais fatiguée pour donner mon sang. Je le savais et, d’ailleurs, le médecin a hésité à m’accepter. Elle a repris ma tension trois fois car elle était élevée. Je savais que ma tension serait haute car, dans la file d’attente, j’avais eu très chaud et senti mon cœur battre plus fort. J’avais de l’appréhension. J’ai commencé à donner mon sang quand j’étais étudiante en droit. La toute première fois, je l’avais donné dans l’immense hall de notre faculté, aussi vaste qu’un hall de gare mais sans les scientifiques à barbiches blanches « troisième République » et les femmes aux corps diaphanes des toiles de Delvaux. Une unité mobile y stationnait. Je crois qu’il n’était pas possible de faire plus triste que notre faculté. Elle était entièrement noire et grise. Quelques membres très actifs du GUD y faisaient régner un climat pesant et malsain. Heureusement, nous avions les allées du jardin du Luxembourg pour retrouver Tistou et la poésie qui faisait si cruellement défaut dans ce bunker !
Je suis devenue une donneuse régulière à partir de l’âge de vingt ans. Notre père l’était aussi. Du moins, c’est ce qu’il disait et comme j’étais prompte à croire tout ce qu’il racontait, je ne mettais pas en doute ses paroles. J’étais heureuse de rejoindre la grande communauté des donneurs de sang bénévoles. Je le faisais avec d’autant plus de joie que je suis née pour le don. Je suis 0, 0+. Mon sang est universel comme tous ceux qui sont 0. Tout personne peut le recevoir. En revanche, je ne peux recevoir qu’un sang du même rhésus que le mien. Alors quand on a un sang universel et LA veine parfaite, on est obligé de donner ! Si j’étais Japonaise, le fait que je sois O serait un très bon point pour moi lors d’un entretien d’embauche !
Hier, je disais avoir de l’appréhension avant d’aller m’entretenir avec l’un des trois médecins car après mon dernier don, j’avais eu une forte crise d’hypoglycémie. En juin, au marché, j’avais été contrainte de demander à m’asseoir sur une cagette de fruits. Un grand voile noire était descendu devant mes yeux. Mes oreilles bourdonnaient. J’avais très chaud et je respirais profondément pour ne pas tomber dans les pommes, au propre comme au figuré ! Le retour à pied, du marché jusqu’au parking, avec mes paniers n’avait pas été simple et, à la maison, les enfants avaient eu un peu peur en découvrant la pâleur de mon visage. A l’automne, je me décidais à retourner à une collecte et, le médecin m’ordonna de rentrer chez moi et d’aller me reposer tant ma tension était élevée. Je ressentis alors une grande tristesse dotée d’une vraie frustration. J’étais rejetée quand je voulais donner. C’est là un des écueils du don : vouloir donner quand on est vulnérable.
Hier, je me décidais à donner car, sur France Inter, le matin, j’avais entendu que l’épidémie de grippe saisonnière et l’épisode de gastro-entérite avaient décimé le corps des donneurs réguliers. Tandis que je tendais mon bras droit, après avoir embrassé la mamie de l’une de mes filleules, donneuse depuis quarante ans, avoir échangé avec une dame autour des « bras droits » et des « bras gauches », je fermais les yeux et des pans entiers de ma thèse revenaient en moi comme à chaque don. Je revoyais ces donneurs des premiers temps de la transfusion sanguine, ces mousquetaires du sang, appelés, de jour comme de nuit, pour aller donner leur sang de bras à bras. Pas d’anonymat possible alors entre le receveur et le donneur. Je songeais à la terrible bataille qui avaient opposé les tenants du don gratuit à ceux qui voulaient pratiquer le don rémunéré. Autant dire que l’adjectif rémunéré ne peut pas s’accoler au mot « don ». Ou le don est gratuit ou il n’est pas un don. La gratuité l’avait emporté au prix d’une lutte farouche et on avait fait des donneurs les héros de l’époque moderne. La France s’était progressivement couverte d’un maillage d’associations de donneurs de sang bénévole et on avait imaginé toutes sortes de récompenses pour encourager le don gratuit. Dans le Vaucluse, au milieu des vignes, se dresse sur un rond-point, une sorte de calice rouge sang célébrant non pas le travail des vignerons mais l’action des donneurs de sang. Du vin au sang, on a vite fait de glisser et notre « mythologie » chrétienne nous y encourage. Le don est gratuit, certes mais, pour celui qui donne, il y a bel et bien une contre partie trouvée dans le fait que le donneur puise dans son geste altruiste une image bienveillante de lui-même.
On ne se rend pas compte, à moins de l’avoir étudié dans le détail, combien il a été difficile d’imposer la gratuité comme l’un des grands principes qui fonde le don de sang et des autres éléments du corps humain dans la législation française. Il est essentiel qu’il ne soit pas battu en brèche. Renoncer à la gratuité, c’est toujours basculer vers l’instrumentalisation de personnes en état de nécessité. L’Etablissement français du sang défend farouchement ce principe mais, en Allemagne comme aux Etats-Unis, les « donneurs » perçoivent une rémunération équivalente à une cinquantaine d’euros.
Après le don vient le temps de la collation. Pour de simples donneurs comme moi, il s’agit de s’asseoir autour d’une table et de prendre le temps de boire et de manger avant de repartir. Pour les donneurs de plasma, il est offert un vrai repas chaud. C’est un moment qui permet l’échange avec les autres donneurs. Hier, le garçon, charmant, qui s’assurait que les donneurs ne manquaient de rien, distribuait des parts de galettes des rois. J’ai bu une brick de jus de pomme, avalé un triangle de camembert avec un morceau de pain préalablement fendu par le milieu et pris le temps d’observer les gens qui m’entouraient. J’aime cette ambiance feutrée. Ce brassage des êtres venant d’horizons divers. Hier, les donneurs avoisinaient presque tous les soixante-cinq ans. Lors du don précédent, j’avais bavardé avec un ancien professeur d’histoire et de géographie à la retraite, un petit homme au corps sec et aux yeux pétillants qui pratiquait la course de fond. Il avait, à son actif, une course de Montargis à Moscou !
C’est parce que les stocks de sang étaient bas en ce début d’année que je suis allée donner mon sang. Les stocks de sang permettent, chaque année, de secourir un million de personnes. L’épidémie de grippe s’étend sur notre territoire telle la marée noire provoquée par le naufrage du pétrolier supertanker libérien Amoco Cadiz en mars 1978 le long des côtes du Finistère. Le ministère de la santé vient de demander aux hôpitaux de repousser les opérations non urgentes pour libérer des lits de façon à accueillir les malades.
C’est en décembre 2004, enceinte de six mois de Victoire, que j’ai eu la grippe pour la toute première fois. Avant cela, la grippe me faisait sourire et je me disais que, franchement, on accordait beaucoup trop d’importance à ce virus hivernal. Et puis, quand, un matin, dans le Gard, je me suis réveillée brûlante de fièvre, douloureuse de la racine des cheveux à la pointe des orteils, la tête dans un étau, j’ai compris ! J’avais 34 ans. J’étais en pleine santé et, là, j’étais misérable. Il me semblait avoir été rouée de coups toute la nuit. Je ne pouvais absolument rien faire. Comme mon point faible, ce sont les bronches, la toux s’en est mêlée et je toussais tellement que je finissais par avoir des saignements. Pauvre Victoire ! Elle a été bien secouée dans mon utérus ! Au tout début du neuvième mois, elle a pris sa revanche en opérant sa pirouette pour se mettre dans le bon axe pour naître. Sentir son bébé se retourner à un stade si avancé de sa grossesse, c’est comme vivre un déménagement dans son corps !
La grippe a eu la gentillesse de me frapper à nouveau deux fois. Elle s’en est prise à mon mari une fois, à Céleste deux fois et à Victoire une seule fois. Louis est, à ce jour, le seul a avoir été épargné. Céleste l’a eu au printemps 2015. Je ne savais pas que c’était possible d’avoir la grippe si tard dans l’année. Comme moi, elle a des pics de fièvre très élevés. La fièvre est restée à 40° pendant quatre jours. Elle ne se nourrissait plus. Heureusement, elle buvait énormément et, ainsi, ne s’exposait pas à un risque de déshydratation. Notre Céleste est longue et fine, très fine. Elle avait perdu quatre kilos et a mis presqu’un mois à se remettre tout à fait.
A la radio, un spot rappelle quelques règles pour éviter la propagation du virus : se laver les mains souvent et utiliser des mouchoirs en papier qu’on jette après usage. Dans les maisons de retraite, les personnes malades sont mises à l’isolement et le personnel doit porter un masque et des gants. Ces mesures sont de nature à protéger efficacement les autres résidents.
Cette grippe me rappelle la grande campagne de vaccination contre la fameuse grippe H1N1. Quelle affaire ! Ma mère m’appelait tous les jours pour savoir si je m’étais enfin décidée à nous faire vacciner. J’avais pris plusieurs avis. Je ne savais plus quoi penser. Finalement, un soir, nous sommes tous allés nous faire piquer en famille dans une ambiance de guerre exacerbée par d’anciennes infirmières militaires, heureuses de reprendre du service. A l’époque, j’en avais fait une chronique comique que vous retrouverez dans les archives du blog à la date du 2 décembre 2009. Les enfants ont tous fait une réaction et, au point d’injection, ils avaient une grosseur équivalente à une grosse bille. Quant à Céleste et moi, non seulement nous avons eu la grippe mais j’ai eu aussi des vertiges pendant des mois. Quant à ma mère appelée en renfort car mon mari n’était pas là et que, grippée, je ne me voyais pas soigner un, puis deux enfants, elle l’attrapait et, le lendemain, ne sortait plus de son lit ! J’étais quitte pour soigner ma mère et mes deux filles tout en tenant à peine debout. Heureusement, nous n’avions pas encore notre Fantôme car, alors, il aurait bien fallu que je trouve la force de l’emmener se promener !
Dans les quinze jours qui suivirent, je consultais avec les trois enfants notre médecin traitant. Je m’apprêtais à prendre l’avion sans mon mari avec le trio. Nous allions rejoindre en Haute-Corse mes beaux parents. Je n’avais que neuf de tension. Le médecin me pressait de me reposer. Sa phrase m’a beaucoup amusée. C’était bien un homme pour dire à une femme mère de trois jeunes enfants dont il savait qu’elle n’avait pas de famille sur place pour la seconder que ce serait bien qu’elle se repose !
Je vous souhaite de traverser cette épidémie sans y succomber. Un conseil : sauf urgence absolue, évitez à tout prix les salles d’attente des médecins !
Anne-Lorraine Guillou-Brunner
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Un grand merci pour votre petit message sur le blog. Si mes chroniques peuvent vous aider à travailler votre français, j’en suis ravie! Cela fait bien longtemps que je n’ai pas parlé anglais…Il est donc préférable que je vous réponde en français! Je vous souhaite une agréable semaine. Fait-il aussi froid en Angleterre qu’en France en ce moment?