Chronique autour d’une maison de famille et de l’esprit de Noël

Dimanche, fin de matinée, tous les enfants sont réunis autour de la grande table de couvent, assis sur des bancs. De Fantôme, on ne voit que les pattes arrières. Ma soeur est debout. Mon mari finit un ti-punch. Ma soeur et moi buvons du Gewurtztraminer de la maison Hauller. Délicieux! Les cinq plus grands disputent une partie d’escape game. Après avoir cherché dans la grande pièce à vivre les cartes que Céleste y avait dissimulées, ils doivent résoudre l’énigme psychiatrique. Grande concentration! Des mains plongent dans des bols contenant des curly. Charlotte, elle, s’applique à imiter Pierre Soulages sur les pages d’un cahier de texte que le RSI m’avait envoyé. Nos enfants n’ont jamais eu de cahier de texte, seulement des agendas demandés par les professeurs. Un vent très fort agite les grandes branches du sapin. La balançoire et les anneaux dansent frénétiquement. Il fait bien trop doux pour qu’on fasse du feu dans la cheminée. C’est la playlist de Margot qui nous « ambiance ». Nos trois neveux ont reçu de leurs deux parents la passion de la musique en héritage. Margot et Valentin ont une culture musicale très étendue. Aller aux choses sans a priori, faire sa propre expérience, ce sont des vertus que leur grand-père maternel leur transmet par le truchement de ses deux filles.

Après des mois de turbulences, ma soeur va bien. Je ressens une sérénité profonde, un désir d’aller de l’avant. Tous ses projets aboutissent. Elle est entrée dans une spirale positive. Pas de tension entre nous. Comme c’est agréable! On est tous vraiment heureux de partager ce week-end à la campagne. Je sais combien la maison pour nos nièces et notre neveu et les enfants de nos amis parisiens est toujours associée à des moments de joie, de liberté, d’exploration. Les enfants aiment partir en vélo sillonner le plateau, marcher alors que la nuit tombe en s’éclairant avec une frontale, s’amuser à se faire peur, dormir dans le jardin sous tente ou à la belle étoile, tourner des films qui seront montés par Margot, se déguiser, faire des gâteaux ou, par exemple, regarder l’élection de Miss France agglutinés les uns sur les autres depuis le canapé de la mezzanine.

Charlotte met ses pas dans ceux de ses aînés: marche jusqu’à la mare aux canards, visite aux animaux de Muguette avec distribution de morceaux de pain dur et, cette fois-ci, observation très détaillée de formes vivantes évoluant dans l’eau trouble de la piscine et ressemblant davantage à des poissons-chats qu’à des têtards. Avant que Charlotte n’arrive, je ressors de l’une des panières en osier, des jeux en bois, des peluches et le poupon que Nadège m’a donné pour elle. Il y a aussi les trois maisons en tissu des petits cochons que mes beaux-parents avaient offert à Céleste alors qu’elle avait deux ans et qu’ils l’avaient emmenée à la montagne. Les maisons s’emboitent les unes dans les autres. Les petits cochons portent des salopettes couleur paille, bois ou brique. Le loup, lui, a aussi une salopette mais elle est grise. Charlotte déshabille toujours le poupon, les cochons et le loup. Elle aime beaucoup aller dans la chambre de Victoire qui accueille la bibliothèque des livres pour enfants et adolescents. Charlotte affectionne l’histoire du loup et des sept petits chevreaux.

Ensemble, nous avons lu une histoire autour de la Nativité et, ensuite, je lui ai montré les santons installés par ses cousins. Le sapin est le plus joli que nous ayons eu depuis que les enfants sont nés: un épicéa aux belles formes rondes. J’ai coupé le chauffage sur la mezzanine pour préserver ses épines. Son odeur se répand jusque dans le bas de la maison. L’odeur du sapin fait remonter des souvenirs de promenades en forêt. Notre père qui a toujours eu la folie des grandeurs achetait des sapins immenses. Ils étaient si grands qu’il fallait couper la flèche. Iris, la chatte de ma soeur, grimpait à la cime du sapin. Le sapin s’agitait. Les boules s’entrechoquaient. L’odeur de résineux faisait perdre la raison à Iris. Au moment de la décoration, notre père, couvert de guirlandes, se transformait en vahiné. Nous n’avons jamais fait dans le sapin tendance ou léché comme on en trouve dans les pages en papier glacé des magazines de décoration. Nos sapins étaient multicolores et chaque sujet racontait une histoire. J’ai toujours aimé les petits sujets que nos parents avaient rapportés d’un séjour à Porto-Rico quand nous habitions la Martinique. Cette année, Stéph a bataillé longtemps pour réussir à fixer le pied du sapin. Il a fini par fabriquer lui-même son support.

Le samedi, tandis que les enfants vaquent à leurs occupations, Virginie et moi emmenons Charlotte au marché de Noël d’un village environnant. Un mois que les marchés de Noël se succède. La correspondante locale que je connais bien et que nous retrouvons avec son appareil-photos au stand qui propose de maquiller les enfants rit en me disant qu’en ce moment le peu qu’elle gagne elle le dépense chez les exposants. Charlotte est ravie de faire du manège et de suivre le Père Noël qui déambule entre les allées en jouant de l’accordéon. Contrairement à beaucoup d’enfants, Charlotte n’a pas peur du Père Noël. Je croise des visages connus, prends le temps d’échanger avec des mamans. Je ne résiste pas au plaisir d’acheter des marrons grillés. Quand j’étais petite fille et que nous habitions Paris, notre père m’en rapportait. Il les achetait à une dame envisonnée qui les vendait avenue de Wagram. J’aimais ouvrir le papier journal et y découvrir les marrons encore chauds.

Le week-end s’écoule vite, trop vite. Dans la crèche, les santons ne bronchent pas. Au fond d’une tasse à thé, le petit Jésus attend patiemment sa naissance. L’heure de la veillée de Noël et l’église sont choisies. Les cadeaux sont faits, les menus élaborés. Tous les soirs, avant d’aller me coucher, je renoue avec des rituels hérités de l’enfance: dire une prière devant la crèche et, avant d’éteindre ses guirlandes, contempler le beau sapin en respirant son odeur de résineux.

La veille de Noël, ma soeur sera dans un avion, seule, à destination du Maroc. Besoin de mettre de la distance avec l’hexagone. Nos neveux et leur papa seront à la montagne. Charlotte chaussera des skis pour la première fois. Tout premier Noël pour eux avec leurs parents séparés. Ma belle-soeur, son mari et leur fille, eux, auront embraqué pour la Guadeloupe. Stéphane et moi accueillons nos mamans respectives. Ce sera un Noël calme, chaleureux mais sans neige. J’ai un faible pour les Noëls très froids comme nous les connaissions dans le Gard par jour de Mistral. Pour nous rendre à la veillée de Noël qui était à minuit, nous nous serrions les uns contre les autres pour nous réchauffer et ne pas nous envoler. Le ciel était piqué d’étoiles comme dans une nouvelle de Daudet. Les cloches sonnant à la volée couvraient le chant du Rhône. Dans l’église Saint-Saturnin, nous étions si nombreux et l’ambiance était si joyeuse que nous finissions par avoir chaud.

A quelques jours de Noël, rappelons-nous que l’essentiel n’est ni dans l’assiette ni au pied du sapin mais dans le bonheur que nous ressentons dans nos coeurs ouverts au partage. Samedi après-midi, notre fille cadette, Victoire, pour la seconde fois, rejoindra son équipe d’aumônerie dans une maison de retraite. Les jeunes scolarisés en troisième iront chercher dans leur chambre les résidents désireux de se retrouver dans la salle à manger. Les jeunes auront préparé des chansons et écrit des cartes de voeux. Les mamans (et les papas?) auront confectionné des gâteaux. Comme l’an passé, je retrouverai une Victoire enchantée et portée par ce vrai moment vécu dans l’esprit de Noël.

Sur une ardoise, j’avais écrit à l’adresse des enfants et de Stéphane: « c’est quoi pour vous l’esprit de Noël? ». Céleste est la seule qui a répondu: « C’est quelque chose qui ne s’explique pas. »

Anne-Lorraine Guillou-Brunner

2 commentaires sur “Chronique autour d’une maison de famille et de l’esprit de Noël

    1. Chère Domninique,

      Pardonnez-moi de ne pas avoir répondu à votre dernier mail. Je vous remercie pour votre message. Ce sera un Noël très calme et, je l’espère, paisible. Ce que ma soeur a vécu a beaucoup fragilisé notre maman tant moralement que physiquement et, souvent, je sers un peu de « défouloir ». Je vous espère en forme ainsi que le trio et vous embrasse avec affection
      Anne-Lorraine

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