Un vent chaud balaie le plateau desséché. Il pleut des pétales de glycine sur la terrasse. Un sac de frappe est désormais accroché à une branche du prunus. Les incendies ravagent l’hexagone. La Corée du Sud est sous l’eau. Chaque année maintenant, les effets du dérèglement climatiques se font sentir plus durement. Cela n’empêche pas la maison Saint Laurent de tourner une publicité dans le désert marocain et de faire son défilé printemps-été 2023 en foulant du pied le manque d’eau, la faune et la flore. Certains s’extasient criant au génie de la maison quand d’autres sont scandalisés qu’on puisse encore agir comme si la Terre n’était pas arrivée au bout de ses limites.
https://www.consoglobe.com/defile-yves-saint-laurent-desert-cg
Je viens de retirer tous les livres qui occupaient la bibliothèque en forme d’escargot et les étagères en bois du salon. J’aime avoir entre les mains des livres qui me renvoient dans le passé. Plus que tout, j’aime retrouver des dédicaces écrites par des êtres chères. Pour moi, un livre non dédicacé n’a pas d’âme. Dans le tome I de Guerre et paix, j’ai relu les mots que l’un de mes amoureux y avait glissés. C’est lui qui m’avait fait entrer dans l’oeuvre de Tolstoï et de Dostoïevski. Avant, j’avais lu Tourgueniev, Tchekhov, Gogol et Boulgakov. J’ai archivé au milieu des guides et des récits de voyage le recueil des poèmes magnifiques écrits par Stéphane.
J’ai retiré les livres, les partitions, les cadres et les bibelots car nous allons faire arranger le conduit de la cheminée qui fuyait après qu’il est brûlé par deux fois. Joël et son fils Johnny sont venus faire un état des lieux. La réparation ne devrait pas être trop compliquée. C’est si agréable de lire, d’écouter de la musique ou de rêver face à un feu de cheminée crépitant. Le bois n’est pas le mode de chauffage le plus écologique mais cet hiver l’énergie va manquer. Nos centrales nucléaires vieillissantes auront du mal à tenir le choc. Nous avons de plus en plus de micro coupures d’électricité. A chaque fois que j’ai été obligée de vivre sans chauffage, je n’ai jamais été malade. Depuis le début de la guerre en Ukraine et en raison du Covid, je ne chauffe plus mon cabinet. Mes patients n’ont jamais froid. Je les couvre avec un duvet prévu pour du -15 degrés. De mon côté, je porte des gros pulls et m’emmitoufle dans des plaids.
Ce matin, Louis a préparé ses affaires. Ce soir, nous le déposons chez Hélène, la maman de Mala. Demain matin, les deux adolescents prennent la route en vélo en direction de l’Ain. Ils ont compté cinq jours pour arriver à destination. Hélène et les deux chiens feront la voiture balai. Hélène les attendra dans les campings avec le matériel. Des activités sont prévues comme du rafting et de l’accrobranche. Les garçons vont rouler pendant la canicule. Demain soir, c’est Victoire qui rentre après 15 jours dans le Cap Ferret où Flore et elle ont gardé une fratrie de cinq enfants. Les filles sont exténuées. Partie du Cap Ferret à 8h30, Victoire arrivera à la gare à 18h00. C’est Stéphane qui viendra l’accueillir. Je pars à Paris jusqu’à samedi. Au programme, l’artiste aborigène Mirdidingkingathi Juwarnda Sally Gabori à la fondation Cartier, l’atelier de Giacometti, une exposition du travail de Saint-Laurent (qu’aurait pensé le créateur de ce défilé dans le désert?) au Louvre et les mondes surréalistes d’Elsa Schiaparelli aux arts décoratifs. J’irai également à la fondation EDF qui se demande s’il faut voyager pour être heureux. Il fera très chaud à Paris. Les feuilles des marronniers seront déjà rousses. Comme Modiano, j’aime Paris au mois d’août, un Paris faussement alangui et abandonné par les Parisiens aux touristes.
J’aurai regagné le plateau quand les orages éclateront dans le ciel rappelant que l’été commence à décliner passé le 15 août. J’espère que la pluie ne provoquera pas d’inondations. Le dimanche, Victoire, son Louis, Jules et Mathurin partiront en vélo en direction d’Orléans pour une sortie de quelques jours. De son côté, Céleste aura retrouvé sa grand-mère dans le Gard après un mois entier passé en Haute-Corse. Je me réjouis que notre ainée ait eu une année aussi enchanteresse car dés septembre, dans son IFSI, la cadence sera soutenue entre les cours et les stages.
Dimanche, alors que je prenais mon petit déjeuner, j’ai écouté avec passion l’émission d’André Manoukian « Sur les routes de la musique ». Il y était question de la manière dont la musique des descendants d’esclaves s’est unie à celle des Indiens. J’ai appris que les indiens séminoles accueillaient les esclaves noirs en fuite en Floride. Ils ne pratiquaient pas l’esclavage contrairement à d’autres nations indiennes. Ils se reconnaissaient dans l’animisme de ces hommes et de ces femmes arrachés au sol africain. Le lundi, je suivais l’histoire des Black Indians. André Manoukian est un conteur né! Voici le lien pour réécouter cette émission fascinante:
Avant de partir à Paris, je vous donne à lire cette chronique écrite en juillet 2018. Depuis, Baba, l’étalon dont je parle est revenu pour mon plus grand bonheur avec sa famille.
L’été, lentement, s’installe. Heureux sont ceux qui peuvent partir en juin ou en septembre! Maintenant, les plages ressemblent à d’immenses couvertures faites en carrés de couleur avec des restes de vieilles laines. Les chemins de randonnée des Alpes ou des Pyrénées prennent des airs d’autoroute. Ici, le plateau se tient bien loin de toute cette agitation! Les moissonneuses-batteuses et sa légion d’Alexandre le bienheureux le dévorent avec méthode. Des soleils de chaume sortent de terre. Le blé n’a pas encore été coupé. Quelques trop rares hirondelles viennent boire à la surface de la piscine. Des moineaux s’installent sur la table de la terrasse et viennent piquer le coeur des tranches de pain que j’y mets à sécher pour Kiki et Nénette les moutons de Muguette, Rosalie, la magnifique truie des Bernard et les chevaux qui ont remplacé dans le grand pré se couvrant de chardons mauves mon beau Baba. Sa présence me manque toujours autant! Comme j’aimais le voir galoper et hennir à notre arrivée sur le petit sentier. La terre est sèche. Il faut arroser le maïs. A la nuit tombée, les chauves-souris balaient le ciel et le tilleul sent délicieusement bon.
La France se prépare à sa grande messe nationale autour du ballon rond dimanche soir. Depuis le canapé, Stéphane, Mathieu, Valentin et Louis suivront le match Croatie/France. A Lumio, en Haute-Corse, une mamie, elle, sera entourée par ses trois petites-filles maquillées aux couleurs de la France. Dans le Gard, dans la bonne et vieille maison de Pont, une grand-mère et sa grande petite-fille suivront elles aussi cette rencontre mondiale. Ma soeur et moi serons sur la terrasse. Les grandes rencontres sportives dans lesquelles notre pays est engagé génèrent chez nous un tel état de stress qu’il est préférable que nous nous tenions éloignées de la télévision! Je ne sais pas où sera Charlotte. Du haut de ses seize mois que pourra-t-elle capter de cette soirée? Fantôme sera sous la table de la terrasse et Kraspek, le chat de ma soeur, ne sera pas loin. Peut-être sur la table!
Si les Tricolores l’emportaient, on verrait la France se lever comme un seul homme et communier dans un immense élan de joie. Les joueurs seraient invités à remonter l’avenue des Champs-Elysées. Vingt ans après, on aurait l’impression de revoir les mêmes images. Les victoires ont cela de merveilleux qu’elles jettent un voile sur tous les problèmes! Les victoires sportives font le bonheur des hommes politiques qui ont le sentiment qu’elles contribuent à les auréoler personnellement de gloire. Bien que le Général de Gaulle n’ait sans doute jamais chaussé des skis, les médailles d’or des soeurs Goitschel et le triplé en or aux jeux olympiques de Grenoble de Jean-Claude Killy lui demeurent attachés. Personne ne peut avoir oublié ces images d’un Jacques Chirac survolté empoignant et embrassant toute personne à sa portée. Jacques Chirac avait la passion des bains de foule. Il embrassait plus qu’il ne serrait la main. Ce redoutable tueur en politique faisait preuve d’une authentique bonhommie avec les Français. Notre actuel président qui, pourtant, a tant vilipendé l’entre-soi, a voulu transcender les parties peine à mettre en pratique son intérêt pour l’Autre. La pensée que Paul Ricoeur a développé dans son célèbre « Soi-même comme un autre » a du mal à passer de la théorie à la pratique.
L’été s’installe et bientôt, comme tous les ans, la France plongera dans cette grande sieste aoutienne, celle que mettent à profit les financiers qui ne dorment jamais pour lancer des OPA sauvages sur certaines entreprises. La France sera à l’arrêt étendue sur une serviette les pieds en éventail. Elle marchera confiante sur un chemin de randonnée. Elle retournera ses brochettes ou sa côte de boeuf sur les grilles de son barbecue, se rafraîchira d’une bonne bière, d’un Pastis ou d’un verre de vin d’orange, rêvera en suivant la course éphémère d’une étoile filante dans le ciel, dépliera sa toile de tente, chargera son coffre, boira un café sur une aire d’autoroute saturée, sera tentée d’abandonner son chien ou son chat, s’enduira de crème solaire, se régalera d’un sorbet ou d’une glace à l’italienne, lira l’un des romans de l’été, remplira ses grilles de mots croisés et évitera de penser à la liste des fournitures scolaires accrochée sur la porte du réfrigérateur, aux inscriptions aux activités sportives ou artistiques, au départ d’un aîné pour l’internat ou l’université et aux impôts à payer.
Cela fait plus d’un an que je souhaite faire un recueil de mes meilleures chroniques mais il faudrait du temps, beaucoup de temps, vraiment énormément de temps pour relire les 400 textes écrits et les classer. Du temps, malheureusement, j’en manque. Il me faudrait du temps dans la durée pas des bouts de temps fractionné. Je ne peux plus me permettre de ne pas dormir la nuit pour avancer dans ce travail. En ce moment, entre deux patients, je me replonge dans les chroniques écrites l’été depuis huit ans. Repartir dans ces chroniques, c’est comme prendre place dans une machine à remonter le temps, tourner les pages d’un album de photos géant.
Je vous redonne à lire celle que j’ai écrite en septembre 2010 et qui racontait une tranche de nos vacances. Quel merveilleux souvenir je conserve de cette traversée de la Bourgogne alors que le soleil déclinait et que le blé moissonné retombait en poussière dorée!
http://horscadre.ovh/chronique-estivale-dune-longue-absence/
Je vous souhaite une agréable fin de semaine et, dimanche, espérons que l’équipe de France viendra à bout de ses adversaires croates. Pour notre neveu qui aura soufflé ses quatorze bougies le jour-même, cela serait un magnifique souvenir! Dans les maisons, les cafés, les campings en France et dans les familles de français expatriés aux quatre coins du globe, on serra réunis derrière les Bleus qu’on aime le foot ou pas!
Anne-Lorraine Guillou-Brunner