Lundi 4 août, nous marchions sur le tarmac de l’aéroport Sainte Catherine de Calvi en direction de l’avion. Les futurs passagers avaient des visages tristes et fermés offrant un fort contraste avec les visages ouverts et joyeux de ceux qui arrivaient. Un vent doux et chaud jouait dans les mèches des cheveux désormais dorés, caressait les joues hâlées. Mon regard se promenait sur les contours accidentés des montagnes. Je respirais encore un peu l’odeur du maquis dominée par celle des immortelles. Les filles empruntaient la passerelle à l’arrière de l’appareil. Ma soeur, ses deux enfants, son compagnon et son petit garçon montaient à l’avant. Nous avions le coeur lourd de quitter la Balagne dont nous avions été éloignés pendant trois ans. Nous finissions d’écrire le chapitre de ce merveilleux séjour de quinze jours en famille. Depuis le matin, alors que nous rangions la maison, notre fils était surexcité: il prolongeait son séjour de deux semaines et allait accueillir trois amis à l’aéroport. Le quatuor préparait ses vacances depuis de longs mois. Sur le parking de l’aéroport, nous avions embrassé les garçons et Stéphane avait laissé les clés de la voiture à Louis. Une page se tournait: notre dernier enfant n’avait plus besoin de nous et, dans moins d’un mois, il serait installé à Tours où sa vie étudiante démarrerait. Mais, commençons par le début.
Le lundi 21, nous nous réveillons à Sceaux chez notre maman. Une partie de l’A6 étant coupée à la circulation, nous avons préféré dormir en région parisienne pour nous épargner un réveil avant l’heure des laudes. En sortant de l’immeuble, nous sommes cueillis par la pluie et le vent. Nous nous hâtons de gagner l’entrée du RER B où nous achetons nos billets pour l’Orlyval. Sur le quai, je suis troublée par les croix rouges apparaissant devant les gares de La Croix de Berny à Saint Rémy les Chevreuses. Aucune explication. Je laisse Stéphane et Louis et retourne au guichet. Impassible, l’employée m’explique que le trafic est interrompu jusqu’au 27 août pour travaux. Nous allons descendre à La Croix de Berny, monter dans une navette de remplacement et reprendre l’Orlyval à Antony. Si nous préférons, nous pouvons aussi marcher entre les deux gares. Je fulmine. Si nous l’avions su, nous aurions pu partir plus tôt ou réserver un taxi. Nous descendons à La Croix de Berny. La pluie redouble. Le vent s’amuse à tester la résistance des parapluies. Nous n’en avons que deux pour trois. Nous nous installons dans la navette. Aucune explication ne nous est fournie et le bus n’affiche pas les noms des arrêts. Il est désormais évident que nous avons dépassé le lieu où nous aurions dû descendre. Je suis furieuse. Je m’en prends au conducteur qui me dit ne pas connaître les arrêts. Le temps passe. Ma soeur et sa tribu dont Miyu, la soeur de Cookie, sont déjà à Orly. La pluie s’intensifie. Nous ne cherchons même plus à nous en protéger. Je suis d’une humeur massacrante. Enfin, nous sommes sur le quai de l’Orlyval. Je ne parviens pas à relâcher la pression et à évacuer ma colère. A l’enregistrement, les bornes ne fonctionnent et ma valise refuse de partir sur le tapis. Un monde fou avant le contrôle des bagages à main, des valises de taille cabine et du passage sous le portique. L’embarquement va bientôt commencer. Nous nous glissons sous les bandes formant un boa constricteur. L’ordinateur de Stéphane fait l’objet d’une vérification approfondie. Enfin, nous retrouvons ma soeur, ses enfants, Benoît et Arthur sans oublier Miyu qui, dans son sac de transport, ne bronche pas. Boucle d’Or se jette dans mes bras. Mes cheveux sont trempés. Des traces de pluie maculent les verres de mes lunettes. Je ressemble à une méduse! Les vacances peuvent commencer!
Nos filles sont en Balagne depuis une semaine. C’est notre aînée qui vient nous accueillir à l’aéroport. Sa peau a déjà pris une belle couleur caramel. Quelle joie de retrouver la maison dont la terrasse offre une vue imprenable sur la baie de Calvi! Les enfants sont vite dans l’eau! Miyu s’aventure dans le jardin. Nous renouons avec les bains matinaux depuis une crique qu’il est possible d’atteindre par un chemin serpentant dans le maquis et traversant la ligne de chemin de fer reliant Calvi à L’ïle-Rousse. La température de l’eau cristalline est délicieuse. Des petits poissons nagent près des rochers. Tandis qu’une partie de la bande est à la crique ou à la plage, Louis, le petit déjeuner pris, entraîne Victoire et Benoît sur le terrain de rugby de Lumio. Le trio enchaîne course à pied, abdominaux, pompes, squats et achève sa session en déplaçant des roues de tracteur! Louis est un entraîneur sportif qui ne ménage pas son équipe. Il leur arrive aussi de nous rejoindre sur la plage après avoir longé en courant le littoral sur plusieurs kilomètres.
Nous avons, cette année, le plaisir de retrouver la marraine de Louis, Aurélie, qui séjourne en Haute-Corse tous les étés. Elle est arrivée avant nous avec son compagnon et son fils, Marin. Sa fille aînée, courageuse, blanchit dans une prépa parisienne pour présenter le concours du barreau en septembre. Tous ensemble, nous entreprenons cette marche que nous affectionnons tant: celle qui conduit aux ruines d’Occi. Les jeunes courent presque jusqu’à ce village situé à 377 mètres d’altitude et habité au XVe siècle par des Corses ayant déserté le littoral pour fuir les Sarrasins. Occi a été rattaché à Lumio en 1852. Le dernier habitant y est décédé en novembre 1918. Une association s’est constituée pour préserver les restes du village. La chapelle romane a été restaurée. Aurélie et Stéphane nous font découvrir l’aire de battage: un espace circulaire sur lequel des boeufs devaient tourner pour séparer le bon grain de l’ivraie.
Après un pique-nique partagé depuis de grandes pierres chaudes, les photos des enfants transformés en ombres chinoises, nous nous laissons descendre jusqu’à Lumio. C’est la première fois que nous n’achevons pas la marche dans la nuit, seulement éclairés par les étoiles et la lune. Un groupe de musiciens donne un concert pour les clients du café du village. Les artistes ont beaucoup de talent. Une autre fois, nous allons nous baigner dans les piscines naturelles formées par la rivière Fango. L’eau est incroyablement claire et très délassante. Les enfants sautent depuis les rochers. Valentin et Arthur cherchent des pierres plates pour faire des ricochets. De gros nuages noirs avancent sur les sommets. Le vent se lève.
Le temps est étonnement instable pour un mois de juillet. A plusieurs reprises, nous sommes surpris par de forts épisodes pluvieux qui ne durent pas mais nous contraignent à rapatrier en urgence toute la table du déjeuner dans la maison. Nous allons déambuler dans les rues animées et colorées de Calvi et de L’Île-Rousse, boire un cocktail, découvrir une exposition de photos consacrés aux habitants d’Algajola, retrouver le charme des villages de Balagne comme celui de San’Antonino, Pigna ou encore Cateri. Dans le village d’Aregno, nous nous arrêtons longuement pour contempler la façade et l’intérieur de l’une des plus belles églises romanes de l’île. Edifiée au XIIe siècle, l’église de la Sainte-Trinité est de style pisan. Sa façade est ornée de nombreuses sculptures en granite: un homme semblant se retirer une épine du pied, un personnage nu tenant un rouleau, une femme vêtue d’une longue robe. On peut également observer des animaux comme un bovin, un bélier, un lièvre ou encore une sirène et des paons. A l’intérieur de l’église très sobre, on peut admirer deux fresques datant du XVe siècle. L’une d’entre elles représente saint Georges terrassant le dragon.
Depuis la terrasse, nous avons plaisir à observer les vols majestueux des buses ou les nombreux largages de parachutistes du 2eme REP. Nous nous offrons un excellent dîner à la table de l’hôtel-restaurant L’ondine. Le personnel est charmant et les plats délicieux. Le loup fourré au fromage frais et servi avec des légumes craquants est succulent. Après ce dîner très agréable, nous nous installons tous sur la terrasse pour tenter de saisir le passage d’étoiles filantes. Boucle d’Or vient se blottir contre moi. Je sens son corps chaud, la douceur de ses cheveux et, aussi, l’odeur particulièrement forte de son doudou qu’elle mâchouille frénétiquement depuis qu’elle est bébé. Bientôt, Benoît décidera de donner un bain aux doudous d’Arthur et de Charlotte.
J’aime particulièrement la plage de Calvi dans la partie bordée par des cabanes en bois dans lesquelles des touristes s’offrent une vie de Robinson Crusoé. Quand nous sommes à la plage, certains et certaines disputent des parties de volley dans l’eau quand d’autres sont prêts à tout pour relancer la balle avec une raquette. Les enfants construisent des châteaux de sable, cherchent des coquillages, enterrent les plus grands.
Voici trois ans, Stéphane a revendu le zodiac vieillissant. Notre séjour étant placé sous le signe du vent, les sorties en mer auraient été difficiles. Personne ne l’exprime mais nous regrettons ces grandes journées commencées et achevées dans la petite marina de San Damianu avec la mise à l’eau et la sortie du bateau. Nous aimions tant cette sensation de liberté ressentie à bord, jeter l’ancre au-dessus de fonds blancs, distribuer des chips aux poissons avant de sauter à l’eau pour les observer, retrouver la toute petite crique portant le prénom de ma marraine, située sous le phare de la Revellata où nous pique-niquions. Nous aimions quand la mer s’était formée et que le bateau affrontait les vagues nous obligeant à nous tenir fermement.
La veille du jeudi 31 décembre, Victoire me glisse que Stéphane et moi aurons une surprise demain pour notre vingt-sixième anniversaire de mariage. Le fameux jeudi, nous sentons que nous devons laisser les jeunes à la maison. Avec Virginie et Benoît, nous partons nous promener dans les villages. Quand, trois heures plus tard, nous poussons la porte, la maison est rangée comme si on venait d’arriver, la table sur la terrasse est recouverte d’une nappe blanche et décorée d’une guirlande de fleurs roses. Sur chaque assiette a été déposé un petit bouquet d’immortelles retenues entre elles par du raphia. Le matin, j’avais vu ma soeur en ramasser après un bain à la crique. De l’autre côté de la piscine, des chaises ont été installées ainsi qu’une table. Nous sommes impressionnés par tout ce que les enfants ont accompli en si peu de temps. On nous presse de nous changer. Céleste me maquille. Les enfants sont déjà sur leur trente et un comme ma soeur qui porte une robe vaporeuse ravissante. Victoire me tend un bouquet de bougainvilliers mauves. Je prends le bras que Stéphane me tend. La marche nuptiale de Mendelssohn retentit tandis que nous marchons jusqu’à l’autel. Victoire s’est transformée en maire temporaire. Elle prononce un discours à la fois léger et profond. Quand je la félicite pour son texte, elle éclate de rire et me dit: « Maman, je n’avais pas le temps de l’écrire. C’est Chatgpt qui s’en est chargé! ». Nous renouvelons nos voeux. Charlotte nous apporte sur un plateau en papier qu’elle a décoré nos alliances fabriquées le matin-même avec la complicité de Valentin. Nous nous adressons avec émotion à nos enfants, à nos neveux, à ma soeur et leur témoignons toute notre reconnaissance et notre amour. Je donne mon bouquet à ma soeur. Charlotte déclenche l’ouverture d’une bombe qui fait voler dans les airs des petits bouts de papier.
L’apéritif et le dîner sont délicieux. L’ambiance est festive. Tout le monde chante et danse. Le lendemain, nous apprendrons que ce sont les filles qui ont été acheter les éléments de décoration et faire les courses pour le repas du soir, que Céleste a préparé le tartare de saumon, Valentin le risotto, Charlotte le mélange thon et fromage frais. Alors que les étoiles ont pris possession du ciel, nous grimpons jusqu’à la place du village où se tient un bal unissant toutes les générations grâce à un D.J charmant sachant passer d’un genre de musique à un autre, des années 1980 aux années 2020. En rentrant à la maison, Stéphane charge les quatre cousins dans la voiture et prend la direction de la plage de Sainte-Restitude. Nous passons devant la terrasse du restaurant du Pain de Sucre où quelques rares convives sont encore attablés. Il n’est pas tout à fait minuit quand les cousins et Stéphane se jettent dans l’eau noire. Je ne les rejoins pas. Je suis chargée de filmer.
Stéphane et moi mesurons pleinement la chance que nous avons d’avoir des enfants désireux de nous offrir un tel anniversaire de mariage.
C’est depuis le petit salon de la bonne et vieille maison de Pont que je termine une chronique commencée dans le Loiret. Nous sommes très heureux de passer quelques jours avec notre maman, de retrouver des amis chers, des lieux auxquels sont associés de très beaux souvenirs. Le ciel est d’un bleu insolent. Une famille de martinets a élu domicile dans la cour. La chaleur écrasante va nous contraindre à renoncer à certaines des excursions envisagées.
A bientôt pour une chronique gardoise!
Anne-Lorraine Guillou-Brunner