Samedi dernier, nous réussissons l’exploit d’être parés au départ aux alentours de dix heures. Dommage ! Il fait un temps exécrable. La pluie s’abat avec rage sur les baies vitrées. On se croirait sur un chalutier battu par des vagues tempétueuses en mer d’Iroise. Alors, le capitaine, son second et les trois mousses chaussent leurs bottes de caoutchouc qui attendaient, paisibles, leur tour dans le garage. Les arbres, secoués par le vent violent, perdent frénétiquement leurs feuilles qui s’invitent, par dizaines, sur le tapis de l’entrée, à chaque ouverture de la porte. Les enfants sont tout sourire. Paris rime avec cousins, amis, évasion, découverte, promenades à dos de poney, couchers tardifs et tours de manège. Enfin, quand le temps s’y prête ! La voiture s’ébranle. Quelques kilomètres plus loin, la pluie cesse et nous avons tous trop chaud dans nos bottes.
Avant de rejoindre nos amis, nous laissons notre petit dernier à sa grand-mère. Tous les parents de trois enfants rapprochés en âge et ne pouvant qu’exceptionnellement les confier pour s’évader me recevront 5/5 si j’écris que le fait de ne plus avoir « que » deux enfants avec soi se traduit, dans la seconde, par une sorte de libération mentale, comme un désengorgement immédiat de l’un des deux hémisphères cérébraux. Louis ne se retourne pas. Il n’est pas fâché. Il ne boude pas. Il ne cherche pas à nous faire culpabiliser. Non, il est simplement heureux d’être avec une grand-mère qui n’aura d’yeux que pour lui, va le cajoler, lui raconter des histoires, lui chanter des berceuses et le promener dans les allées du parc de Sceaux. Et, croyez-moi, je ne dis pas ça pour me donner bonne conscience !
Céleste, pragmatique, lance, après que nous ayons dit au revoir à son petit frère, « ça va lui faire des vacances ! Et à nous, aussi ! ». Sans problème, nous enfilons la nationale 20. Le périphérique extérieur est fluide. Il se rattrapera demain. Les bourrasques chassent de droite à gauche les fumées blanches des deux incinérateurs de la capitale. Nous sortons à la Porte des lilas. Quel joli nom ! Une invitation au printemps ! Pas de fleur odorante en cette saison mais d’importants projets architecturaux : à main gauche, un cirque va sortir de terre et à main droite, un jardin biologique. Je peine à imaginer un espace paysager au milieu de toutes ces voitures. Puis, je pense à Tistou aux pouces verts et plus rien n’est impossible. Boulevard de Belleville, la voiture glisse entre deux trottoirs métis et tourne dans la rue Pellport. Le marché bat son plein. Un emplacement réservé aux livraisons fera office de place de stationnement.
Plaisir des retrouvailles pour les grands et les petits. Les enfants disparaissent. Les parents bavardent. La journée avance. Le vent ne faiblit pas. Puisque les hommes se sont lancés dans des travaux d’électricité, les mamans conduisent les quatre enfants suivre les aventures du p’tit Zygo au théâtre de la passerelle. Une comédienne, seule en scène, raconte la grande aventure d’un muscle zygomatique parti en quête du lieu où se décide le sourire, du cerveau jusqu’au cœur en passant par l’estomac. Les grands rient. Les plus petits passent de la peur à l’ennui. La quasi noyade du p’tit zygo dans les eaux verdâtres de monsieur stomac a du mal à passer ! Quand nous quittons le théâtre, la nuit est tombée. La communauté algérienne pavoise. Fièrement, elle fait claquer au vent le drapeau blanc et vert avec son croissant et son étoile rouges. Les enfants caracolent en tête, poussés comme des fétus de paille par les bourrasques.
A la maison, les hommes, blancs de plâtre et de poussière, sont ravis de l’avancée de leurs travaux. Un bon petit coup d’aspirateur et de balayette, quatre douches expéditives et une plâtrée de farfalles avec gruyère râpé et sauce tomate plus tard, on frappe à la porte. La jeune fille au pair mexicaine, fraîchement débarquée, et une de ses amies viennent prendre le relais. Elles sont charmantes et les enfants sont heureux de les voir. Dans leurs prunelles pétillantes de malice, je lis : « on est pas prêt d’aller se coucher ! ». Plus le temps de boire un verre, la séance commence dans quinze minutes. D’un pas presque militaire, nous gagnons le MK2 de Gambetta. Pas le temps, non plus, de voir à quoi ressemble le passage des soupirs qui rejoint Pyrénées. Pourtant, je crois que les murs avaient bien des secrets à nous confier. La salle est déjà plongée dans l’obscurité. Nous ratons les bandes annonces et les publicités. Je me mets à penser aux ouvreuses qui allaient et venaient dans les allées principales, poussant en avant leur corbeille en osier rempliede glaces, de pop corn et de boites de chocoletti. Nous avions raison de ces carrés de chocolat au lait fourré aux noisettes en moins d’un quart d’heure de pellicules. Immanquablement, ils nous restaient sur le cœur quand le film nous avait un peu trop remué.
Le film commence. Je me débranche, m’enfonce dans mon fauteuil et me laisse embarquer dans le voyage du couple de « Away we go ». Très agréable moment de cinéma où les rires et le jeu des projections nous invitent à un retour sur les parents que nous aspirions à être avant d’avoir des enfants et à une analyse, au présent, sur le couple et les parents que nous sommes réellement. Entre ballade cent pour cent irish et poésie bob dylanienne, la bande originale est très belle.
Dix heures. Le vent semble faiblir. La place Gambetta est plutôt calme pour un samedi soir. Devant les cafés, on s’agglutine, debout, pour en griller une. Depuis que les lieux publics sont non fumeurs, les rues de Paris n’ont jamais autant senti le tabac. Dans les rues de Belleville, nous tâtonnons pour retrouver la porte clignotante du New NiouLaville. Le propriétaire a changé. L’endroit a perdu de son charme. L’entrée est toujours gardée par une sorte de bonze ventripotent et hilare et le menu, aussi long qu’un dépliant des chemins de fer, peut devenir une torture mentale pour les natures hésitantes Beaucoup de tables vides, plus d’occidentaux que d’asiatiques. Les serveurs, eux, parlent toujours un français des plus approximatifs. Un langage de sourd, dans la plus pure tradition des Marx Brothers, s’instaure entre Stéphane et le monsieur veillant sur nous. Il y est question du plat à base de coquilles Saint Jacques que Stéphane a choisi et auquel il manquerait un parfum. Le mot parfum vient rouler une bonne vingtaine de fois dans la bouche du serveur et nous finissons par comprendre que Stéphane doit renoncer à ses brochettes au profit de coquilles servies sur une planche si nous voulons que la commande parte.
Retour à la maison. Les enfants dorment. Les jeunes filles mexicaines regardent « Batman » en espagnol ! Avant l’extinction des feux, je réalise que nous n’avons pas pris de nouvelles de notre fils. Parents terribles ! Fin du premier acte.
Incroyable : les enfants ont la bonne idée de nous laisser dormir jusqu’à 9h30 et de ne pas réclamer quoique ce soit à manger avant 10 heures. Pour ce dimanche, le programme était tout fait : « l’âge d’or hollandais » à la pinacothèque de la Madeleine, déjeuner aux Tuileries et jeux divers pour les enfants. Mais les hommes se sont mués en agents techniques de France Télécom qui ne savent pas dire à quelle heure l’intervention sera finie…
Finalement, tout le monde déjeune sur place et nous optons pour une sortie aux Buttes Chaumont. Nous nous laissons descendre jusqu’à la rue de la Villette en empruntant une petite rue charmante, la rue des solitaires. Quelques maisons de couleurs évoquent le quartier de la Boca à Buenos Aires. Les enfants commencent par deux tours de poneys. Comme nous sommes dimanche et qu’il n’y a que cinq poneys, je vous passe l’exaspération croissante des parents, surtout celle des mères ayant du mal à canaliser l’impatience de leur progéniture et les tentatives de resquillage de certains pères assurés que la réussite dans la vie dépend de sa capacité à piétiner les autres.
Je n’avais pas d’appareils photos avec moi mais si j’en avais eu un, j’aurais emprisonné dans l’œil de mon objectif cette mariée indienne prenant la pause, dans son sari de soie rose et or, sur une pelouse tapissée de feuilles jaunes, cet africain vêtu de bleu, accroupi au pied d’un chêne et chantant pour les enfants et leurs parents l’histoire de son balafon, ces cinq hommes juifs orthodoxes et leurs fils assis sur des bancs et nos petits dégustant des gaufres, le nez blanc de sucre glace ou le menton noir de Nutella.
Dimanche, le parc des Buttes Chaumont, c’était, aussi, des dizaines de joggeurs aux muscles tendus dans les montées, une armada de bébés emmitouflés, endormis dans des landaus, une vue sur le Sacré Cœur depuis le temple de la Sybille, une petite Victoire, courageuse, après une mauvaise chute sur le macadam, un petit garçon inconsolable parce que, exceptionnellement, la dame des gaufres ne vendait pas de cornets de marrons grillés et des enfants, suspendus en grappes, aux barres métalliques de l’espace dédié aux jeux. Deux mamans s’offraient, sur un banc, une pause crêpe et thé aromatisé aux fruits rouges tandis que leurs enfants se hissaient aux jeux suspendus à la force des bras de leurs maris/papas.
La nuit tombe. Le froid et l’humidité nous gagnent. Il faut partir. Sur le trajet du retour, le poids des enfants se fait plus lourd dans le creux de la main ou sur les épaules. Grands et petits, nous sommes tous fatigués. Juste le temps de s’assurer que nous n’avons rien oublié, de nous embrasser, de remercier nos amis, de leur dire à très bientôt et nous partons chercher Louis. Sur le trajet du retour, les enfants sombrent les uns après les autres. Victoire d’abord, suivie de Céleste. Louis est celui qui résiste le plus longtemps. Normal, après une nuit de quatorze heures et cinq heures de sieste cumulées en deux jours.
Anne-Lorraine Guill
ou-Brunner
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