Chronique gardoise ou l’aventure des cinq escargots

 

Singapour.jpgDimanche, en fin de journée, toute la famille et la grosse boule de poils retrouvaient la maison. Les vacances étaient finies. A voir la hauteur de l’herbe, il était facile de deviner que, dans le ciel, soleil et pluie avaient joué au chat et à la souris. Avant de partir, on avait coupé le chauffage et un froid humide s’était installé dans la longère. Dans son bocal, Sucrette, le poisson rouge, commençait à donner des signes de faiblesse. Une semaine, sans les siens, elle avait trouvé le temps long, la maison désespérément  silencieuse et, surtout, elle avait faim, très faim. Le jeûne forcé et, parfois recommandé pour les poissons, n’aurait pas pu se prolonger un jour de plus. Apathique, au fond de son bocal, elle avait mis quelques minutes à remonter à la surface pour y gober les flocons de nourriture. Après, revigorée, sensible aux mouvements et aux bruits, elle avait entrepris de grands tours de piste aquatique. Dans la boite aux lettres, au milieu des factures, des relevés bancaires, on avait eu la joie de trouver un paquet envoyé depuis Singapour par une marraine attentionnée pour les huit ans de sa filleule, une invitation à un anniversaire pour la même petite fille et une jolie carte postée depuis Pornic pour toute la famille.

 

 

 

vache.jpgUne fois encore, la maman, qui assume pleinement sa nature nostalgique, n’avait pas pu faire autrement que de regretter ce temps, pas si ancien finalement, où on recevait encore de vraies lettres glissées dans des enveloppes timbrées. Dans de grandes boites, elle a archivé, quand elle était encore étudiante, toutes les lettres et les cartes reçues depuis qu’elle est enfant. La toute première carte dont elle se rappelle lui a été envoyée par leur père. Elle représente une vache de race bretonne pie-rouge avec des yeux bleus et une grosse marguerite entre les dents. La carte est bombée. Quand on la presse, elle émet un « meuh » puissant. Le vrai courrier s’est tant raréfié que les boites, dissimulées sous un lit antillais, se couvrent de poussière. De leur côté, les enfants conservent religieusement leurs cartes. Assez régulièrement, les filles les relisent. Le petit garçon, lui, a encore besoin de se trouver un lecteur pour en redécouvrir le contenu.

 

 

 

thym.jpgPendant la semaine gardoise de leurs vacances, les enfants ont été choisir des cartes postales à la maison de la presse. Les filles ont écrit les leurs seules se contentant parfois de s’assurer auprès de leur mère de l’orthographe d’un mot. Le petit garçon n’a voulu choisir qu’une seule carte, une carte dédiée à son cousin Valentin qu’il aime autant qu’il l’admire, qui a presque quatre ans de plus que lui et, à la louche, au moins vingt centimètres de plus. Avant de refermer les enveloppes, on a glissé des brins de thym frais ramassés sur les bords de l’Ardèche. Il est rare que les enfants reçoivent des cartes de leurs petits camarades mais cela n’a pas d’importance. Leur plaisir réside dans le fait de choisir une carte, d’en penser le contenu, de la glisser dans l’enveloppe, de coller le timbre en haut à droite, de la faire tomber dans la boite aux lettres de la poste et d’imaginer le voyage qu’elle va entreprendre pour parvenir entre les mains de son destinataire.

 

 

 

partie centrale detail.jpgEn rentrant à la maison, les enfants ont, solennellement, rendu à la nature les cinq escargots que deux d’entre eux avaient trouvés sur le sentier botanique entourant la chartreuse de Valbonne. Ce jour-là, un vendredi, la veille de quitter Pont-Saint-Esprit, le ciel était gris, les averses nombreuses et le courant fort sous les arches du vieux pont. Le matin, la maman et la grosse boule de poils étaient rentrées dégoulinantes de leur promenade sur le chemin de halage longeant le Rhône. Le vent était tombé. L’odeur de la glycine s’unissait à celle du lilas. Les figuiers étaient couverts de petites têtes vertes. Les gens du voyage avaient été délogés de ce grand pré, non loin du stade de football, des jardins des enfants du Rhône, et là où, l’an dernier encore, des tout-petits jouaient entre des caravanes, des herbes poussaient follement. Elle était passée devant le vieux lavoir surmonté par deux belles têtes de Poséidon encadrées par deux tridents. Petite, elle avait connu l’endroit très vivant. Les femmes des forains, de passage dans la ville, venaient y laver leur linge. Leurs enfants s’amusaient à s’éclabousser. Ils riaient. Les femmes tendaient les draps sur des fils derrière le lavoir. Les enfants y improvisaient un théâtre d’ombres chinoises. Puis, les années avaient filé. L’adolescence avait chassé l’enfance. L’eau n’était plus arrivée dans le lavoir qui s’endormait, toujours veillé par les Poséidon jumeaux. Des pigeons nichaient sur les poutres, sous le toit devenu dangereux. Par arrêté municipal, il avait été interdit d’y pénétrer. Et maintenant, des travaux de restauration démarrent, soutenus par l’association de renouveau du vieux Pont. Les sifflements matinaux des ouvriers sur le chantier redonnent un peu de vie au lavoir.

 

 

 

En attendant le facteur.jpgLe souvenir de ces enfants s’amusant au-dessus des deux bassins du lavoir public la renvoie au magnifique travail photographique réalisé par Alain Laboile, sculpteur de formation et qui paraît dans un album intitulé « en attendant le facteur ». Alain Laboile et sa femme sont les heureux parents de six enfants dont l’âge s’échelonne de dix-huit à deux ans. Ils vivent dans une grande maison entourée d’un immense terrain à côté de Bordeaux. Est-ce parce qu’il a vu le jour le 1er mai 1968 qu’Alain Laboile semble avoir pour devise de vivre en liberté ? Tous ses clichés dont certains évoquent l’oeil d’un Lartigue ou d’un Boubat sont de saisissants instantanés de l’enfance et, également, de cet âge intermédiaire auquel on ne donne pas d’autre nom que celui de pré adolescence, qui se situe entre deux continents, l’enfance et l’adolescence, ce moment où on n’est plus un enfant mais pas encore vraiment un adolescent, où on amorce la bascule, où la chenille commence à tisser son cocon. Sur ces clichés qui heurteront la sensibilité de ceux qui rêvent leurs enfants toujours impeccables, bien habillés, bien coiffés, bien propres et ne débordant pas du cadre, les enfants sont peu ou pas vêtus sans que jamais le regard porté sur eux ne soit malsain. Dans des corps libres, ils jouent, sautent, nagent, se roulent dans la boue, vivent la nature qui les entoure, s’émerveillent devant un oiseau, un insecte, se déguisent, se maquillent, s’endorment dans des caisses en bois, rêvent et pleurent. Nul besoin d’avoir grandi dans une famille élargie pour sentir combien les aînés guident les plus jeunes, combien une grande fratrie, par certains côtés, peut se suffire à elle-même car à six, et malgré les différences d’âge, on n’est jamais seul.

 

 

 

Valbonne.JPGL’après-midi de ce vendredi pluvieux, ils avaient décidé d’aller marcher autour de la chartreuse de Valbonne. Leur grande fille n’avait pas eu envie de les accompagner. Elle préférait rester avec sa grand-mère qui la guidait dans ses premiers pas de tricot et terminer une écharpe pour son doudou. A Valbonne, très vite, sur le chemin, on avait trouvé un, puis deux, puis trois, puis quatre, puis cinq énormes escargots de Bourgogne. Les enfants étaient enchantés. La cadette et le benjamin les baptisaient et décidaient, d’un commun accord, d’en confier un à leur grande sœur, le plus gros. Pour les rapporter, le papa avait trouvé deux larges écorces de bois. A leur retour, dans la bonne et vieille maison de Pont, leur grand-mère leur avait donné un vieux panier en fer destiné au transport des œufs et les enfants y avaient placé, sur un lit de salade, leurs cinq escargots.

 

 

 

LE-GRAND-MEAULNESTHE-WAND-008.jpgQuand, le samedi après-midi, on avait quitté Pont-Saint-Esprit, les gastéropodes étaient du voyage et ils avaient occupé les enfants jusqu’au moment où la neige s’était mise à tomber en même temps que la température. Ils arrivaient à hauteur de Vienne. Il faisait un degré et des flocons venaient mourir sur la vitre de la voiture. Au-dessus des dômbes s’élevaient des bancs de brume. La silhouette d’Augustin Meaulnes allait apparaître. Les oiseaux migrateurs rêvaient déjà aux chaleurs africaines. Les escargots ne se rendaient pas à l’enterrement d’une feuille morte comme dans la poésie de Jacques Prévert. Ils allaient faire une étape dans l’Ain, chez une mamie qui avait, la semaine précédente, eu le bonheur d’entendre sa maison résonner des rires et des cris majoritairement joyeux de trois de ses quatre petits-enfants. En arrivant, ils s’étaient empressés de faire admirer leurs escargots à leur mamie et celle-ci leur avait donné une boite en plastique à chacun. Une visite sur un site consacré à la vie des escargots leur avait appris qu’ils aimaient les épluchures de carotte et la peau des tomates. Alors, on en avait tapi le fond des boites. Comme ces dernières restaient ouvertes, les escargots s’en échappaient et partaient explorer les reliefs de l’évier de la cuisine, laissant derrière eux une longue trace brillante.

 

 

 

martine heidegger.jpgComme à chaque fois, la maman était triste de ne pas avoir pu rester un peu plus longtemps à Pont-Saint-Esprit. Depuis qu’ils ont quitté le Gard, les séjours, trop courts, ne lui permettent plus de retrouver vraiment ses marques dans la maison, de profiter davantage des amis qu’elle y a conservés et d’échanger avec des personnes qui si elles ne sont pas des amies sont vraiment inscrites dans le cœur de sa mémoire. Elle songe à certaines personnes du marché du samedi qu’elle connaît depuis qu’elle est enfant, comme ce monsieur qui vend les œufs de sa ferme située au pied du mont Ventoux, à Cathy, ancienne patronne d’un café/restaurant de la ville au comptoir duquel elle aimait aller boire une tasse de café, le matin, de très bonne heure quand la ville se réveillait, qui s’est reconvertie, après la mort de son mari, en pizzaiola, au libraire du « chant de la terre » qui met tout en œuvre pour faire souffler un vent de culture, promouvoir des artistes. Il lui a suggéré la lecture d’un ouvrage relatant la relation à géométrie variable que Martin Heidegger et Hannah Arendt ont entretenue pendant plusieurs décennies. Elle lui a fait découvrir le conte de Pierre Gripari qu’elle préfère : « la paire de chaussures ».

 

 

 

fleurs-de-cerisier.jpgLe dimanche, dans l’Ain, au moment du départ, des au revoir, des promesses de retour, les escargots reprenaient place à bord de la voiture. Dans le coffre, entre les valises et les sacs, la grosse boule de poils n’avait plus beaucoup de place. On était arrivés sous la neige fondue. On repartait sous la pluie. Dans le jardin, le cerisier planté par un papi très présent dans le cœur de ses petits-enfants se couvrait de fleurs. Cette année, il ne pourrait pas en goûter les fruits mais on les ramasserait en pensant à lui.

 

 

 

ma-dalton.1283088222.thumbnail.jpgLundi, les enfants ont repris le chemin de l’école. Les bulletins signés étaient rangés dans les pochettes. On avait également signé le papier attestant du passage en CP du benjamin. On avait retiré des cartables les mouchoirs usagés, les épluchures de crayons de couleur, les papiers de bonbon, les élastiques arrivés en bout de course et vérifié le contenu des trousses. Ce lundi matin, la maman se demande ce que vont devenir les cinq escargots nés dans le Gard, ayant transité par l’Ain et partis à la découverte du Loiret.  Elle espère que, dans le potager de leur délicieuse voisine, sorte de réincarnation de Ma Dalton, en s’attaquant à ses plants de tomate ou de salade, ils ne s’intoxiqueront pas avec des granules bleues, triste fin à laquelle ils auraient assurément échappé en n’étant pas arrachés au calme de la forêt de la chartreuse de Valbonne !

 

 

 

escargot valbonne.jpgAnne-Lorraine Guillou-Brunner