Chronique « habemus papam »

 

God-Sistine_Chapel.jpgLa neige recouvre toute une partie nord de l’hexagone. La météo devient presque l’unique sujet dans les médias. Et puis, mercredi, à dix-neuf heures et six minutes, une fumée blanche s’élève au-dessus de la chapelle Sixtine.  Réunis en conclave, sous le haut patronat du Saint-Esprit, les cardinaux électeurs viennent de donner un successeur à Benoît XVI. Il aura suffi de deux jours pour que soit choisi le cardinal Jorge Mario Bergoglio, archevêque de Buenos-Aires et primat d’Argentine. Le pays au drapeau bleu et blanc qu’un soleil illumine est en liesse. C’est la première fois qu’un pape vient des Amériques, et c’est également la première fois qu’un pape est issu de la Compagnie de Jésus. La maman de trois se représente les Jésuites comme des diplomates de la Foi, capables de partir, au seizième siècle, jusqu’en Chine pour y propager la religion catholique. Ce sont aussi de remarquables pédagogues et leur enseignement secondaire a permis à un grand nombre de leurs élèves pensionnaires en internat de réaliser de brillantes études supérieures.

 

 

 

Habemus-papam-affiche.jpegLe goéland qui avait pris place au-dessus de la cheminée de la chapelle Sixtine s’en est allé. Le cardinal français Jean-Louis Tauran a prononcé la formule « habemus papam » et le 266ième pape de l’histoire est apparu au balcon pour sa première bénédiction ubi et orbi. Une immense clameur s’est alors élevée depuis la place Saint-Pierre, à peine étouffée par les cloches sonnant à toute volée, comme s’il s’agissait, déjà, de célébrer la résurrection du Christ.

 

 

 

Jerome_Bosch_Jesus_portant_sa_croix._jpeg.jpgLa maman de trois regarde cet homme, ce François, au visage largement ouvert. Elle repense à la ferveur que son mari et elle avaient ressentie dans les églises sud-américaines pendant les cinq mois qu’ils y avaient passé en 2001. Elle se rappelle une magnifique messe des rameaux dans la ville de Potosi. Les prêtres étaient jeunes, souriants. La foule des croyants était portée par une foi simple, puissante et incroyablement contagieuse. A Sucre, quinze jours plus loin, elle avait demandé à son mari s’il accepterait de se lever avant le jour pour se joindre aux fidèles sur le chemin de croix. Cette nuit-là, la ville n’avait pas dormi. Elle avait convergé vers la colline sainte au rythme des processions. A la lumière de leurs bougies, les fidèles avaient contemplé un ciel divin en direction duquel s’élevaient des senteurs d’eucalyptus brûlé. Quand ils les avaient rejoints, le soleil montait tranquillement dans le ciel. Les oiseaux dont les chants avaient accompagné les premières lueurs du jour et l’agonie du Christ sur la croix étaient maintenant silencieux. Ils avaient affronté le flot descendant des noctambules. Ils avaient emboité le pas à une modeste procession avant de couper par un sentier plus raide. Ils avaient croisé quelques groupes immobilisés devant l’un des treize autels symbolisant la souffrance du fils du Père en route vers la crucifixion. Ils étaient enfin arrivés au pied du Christ. Le géant de granite leur avait ouvert les bras. Ses mains étaient tournées en direction du ciel. Sur son visage se lisait un message de paix. Des familles étaient encore là, ignorant le froid et la brume qui les habillaient de noir et de blanc.

 

 

 

08Saint_Francois_dAssise.jpgEn contemplant le visage du nouveau pape François, elle essaie d’y décrypter la capacité et l’envie de lancer l’Eglise sur la voie de réformes aussi profondes qu’indispensables et, pour ce faire, elle veut croire qu’il réussira à lutter contre les pressions de la Curie romaine. Elle est plongée dans ses pensées quand son petit garçon de cinq ans, son numéro trois lui demande : « dis, maman, elle est prête ma valise ? ». Son esprit quitte Rome et la place Saint-Pierre. Elle regarde son fils et lui répond qu’elle n’a pas encore préparé sa valise car elle n’a pas fini d’étiqueter ses affaires. Samedi, ils la feront ensemble. Sur le visage du petit garçon se dessine un large sourire.

 

 

 

Holiday-rental-France-Pays-de-la-loire-Vendee-Les-sables-d-olonne_1.jpegLe jour de l’élection du pape François, il est à cinq jours de son départ pour une petite semaine en classe de mer aux Sables d’Olonne. Cela fait des mois qu’il en parle. Dans le bain, tout à l’heure, il voudra savoir de quelle couleur seront les crabes qu’il pêchera, entre les rochers, à marée basse. Il parlera de cet aquarium qu’ils vont constituer à leur arrivée et de ses petits habitants qu’ils rendront à l’océan la veille de leur départ.

 

 

 

beau-bouddha-assis-aureole.jpgLe petit garçon part comme ses deux sœurs avant lui et, de chaque départ, elle conserve un souvenir vivace. C’est le dernier à partir en classe de mer, et cette classe de mer en dernière année de maternelle est donc aussi la dernière à vivre pour cette maman. La maman n’a pas oublié que c’est son mari qui avait conduit leur grande fille sur le parking humide de l’école où les attendaient déjà d’autres familles. Elle avait dit à son aînée qu’elle ne l’accompagnait pas pour ne pas laisser seuls à la maison sa sœur de trois ans et son petit frère âgé de cinq mois. En réalité, elle ne sentait pas la force de ne pas se montrer fragile et elle ne voulait surtout pas que sa petite fille puisse sentir son cœur se serrer. Avec le recul et en s’analysant sans fard, elle sait maintenant que son émotion venait de ce que ces voyages font grandir les enfants, les rendent plus autonomes et qu’il faut être tout à fait prêt à accepter ces grands changements chez des enfants encore petits pour vivre les départs dans la sérénité. Ce départ en classe de mer marque, d’une certaine manière, la fin de la petite enfance. C’est un peu comme un rite initiatique que, finalement, certains parents vivent plus mal que les enfants !

 

 

 

Saint-Mars-Dominique-De-Lili-Veut-De-L-argent-De-Poche-Livre-896928384_ML.jpgJeudi dernier, le papa a remis à la fidèle assistante de la maîtresse, le sac contenant la lettre qui sera lue aux enfants le soir de leur arrivée aux Sables d’Olonne, un appareil-photos jetable, les cinq euros d’argent de poche autorisé et une enveloppe timbrée dans laquelle les élèves glisseront la lettre destinée aux familles. Sur la carte choisie par la maman pour le petit garçon, les filles ont écrit un petit mot. Numéro un lui a dit que maintenant, il était un grand garçon et numéro deux qu’elle l’aimait et qu’il allait bien s’amuser.

 

 

 

seduisant_brest.jpgLe départ étant fixé pour 7h45, le lundi matin, seul un des deux parents accompagnera le petit garçon. La maman était certaine que leur numéro trois souhaiterait que ce soit son papa qui le prenne dans ses bras, lui fasse les dernières recommandations, le voit prendre place dans le car et lui adresse un au revoir depuis le parking. Et non, c’est à elle que son fils a demandé de le conduire. Alors, lundi, si le temps est à l’image de tous les départs qu’elle a déjà vécus avec les enfants, il fera froid et humide. Sans savoir pourquoi, elle aura l’impression d’être dans une ville portuaire, à Brest, par exemple. Ce n’est pas un car qui disparaîtra, mais un cargo. Et, en marchant en direction de sa voiture, elle mesurera toutes les années passées depuis la naissance de leur numéro trois. Une grande déferlante recouvrira le sable et l’eau de mer ira lécher le bout de ses pieds.

 

 

 

Anne-Lorraine Guillou-Brunner

 

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