Chronique timbrée

Il faut vivre avec son temps, aller de l’avant, tâcher d’absorber tous les bienfaits de la modernité et, surtout, ne pas se montrer nostalgique d’une époque qui, de toute façon, ne reviendra plus. C’est ainsi qu’il est primordial de maîtriser l’informatique comme s’il s’agissait d’une langue maternelle, d’avoir troqué son portable « vieille génération » pour un Iphone enrichi de mille et une applications et d’écouter ses morceaux de musique favoris sur son Ipode.

 

Enfin, si on en a les moyens et pour être totalement à la page, on aura définitivement quitté la planète PC au profit de la planète Mac. Après quelques tâtonnements légitimes (votre esprit en bon ordinateur a, lui aussi, besoin de se reprogrammer), vous deviendrez un inconditionnel de votre Mac qui réussit si bien à allier simplicité, rapidité et élégance. Vous serez tellement séduit que vous ne vous poserez plus qu’une seule question : « comment ai-je fait pour survivre sans lui jusqu’à aujourd’hui ? »

 

Comme il faut toujours une bande d’irréductibles réactionnaires, je dois avouer que je n’ai pas encore changé de planète. Mon ordinateur est toujours un vieux PC qui plante régulièrement et subit les attaques répétées de vilains virus. Pire, je dois confesser de piètres dispositions pour ce qui touche au monde de l’informatique et pire encore, une insupportable nostalgie à l’endroit des téléphones fixes et de l’écrit fait de papier, d’encre et de timbre.

 

Entendons-nous bien : si j’ai tardé à me mettre au téléphone portable, je suis la première à en reconnaître les vertus, les plus importante étant, à mes yeux, de pouvoir être secouru en cas de réelle nécessité et de partager des moments privilégiés avec ses proches. Vous, je ne sais pas mais moi, j’adorais les vieux téléphones de feu les P.T.T., ces téléphones gris ou mastic, avec un combiné lourd avec deux émetteurs dévissables et dont les kilomètres de fil permettaient, à l’âge des grands échanges avec la meilleure amie qu’on avait quittée voici une heure et qu’on retrouvait le lendemain matin, et des premières amours, de s’isoler pour que la conversation ne tombe pas dans le domaine public familial. J’aimais le son dû au maillet frappant frénétiquement les deux clochettes quand une personne composait le numéro de téléphone et le bruit du ressort, retrouvant son point de départ, émis par le cadran quand les chiffres revenaient à leur position initiale.

 

S’agissant de la disparition des vieux téléphones fixes, je me suis fait une raison. En revanche, je ne me fais pas, mais alors vraiment pas à la presque totale extinction des relations épistolaires. Je me désole d’ouvrir ma boite aux lettres sur des factures en tout genre, des relevés bancaires et des prospectus publicitaires. Quand j’habitais encore Paris, je me rappelle que je trouvais aussi, régulièrement, des cartes de plombiers vantant leur intervention rapide sept jours sur sept et vingt-quatre heures sur vingt-quatre et, dans un genre tout à fait différent, celles de grands marabouts africains dotés de pouvoirs exceptionnels dont celui, qui sait, de venir à bout d’une fuite dans la salle de bains quand le plombier était, finalement, aux abonnés absents.

 

Encore quelques cartes postales à la faveur des vacances ou des cartes de vœux en fin d’année mais plus de lettres. Pourtant, quel bonheur dans la correspondance ! Quelle joie d’écrire et de lire en retour ! Ecrire, c’est, déjà, se placer dans une bulle en dehors du temps. C’est penser à l’autre. C’est chercher à se rapprocher de lui. C’est vouloir échanger. C’est partir en quête du mot le plus juste. Nous avons, je pense, tous fait l’expérience de ce que nous atteignions un degré de connaissance de l’autre et de complicité extraordinaire après des semaines de correspondance. Si le coup de fil peut mal tomber, sembler agressant, la lettre l’est rarement. Même si son contenu peut être très pénible à lire, même si les mots écrits ont un vrai pouvoir dévastateur, au moins, conservons-nous le pouvoir de décacheter ou non l’enveloppe. Il m’est arrivé, bien souvent, de ne pas ouvrir une lettre tout de suite. Je la conservais comme un petit trésor que je découvrirais au meilleur moment.

 

J’utilise beaucoup Internet en mode correspondance mais, à de rares exceptions près, je ne retrouve pas le même plaisir que dans l’écrit d’une lettre car écrire une lettre, c’est aussi faire le choix, par exemple, d’un stylo avec une plume épaisse pour donner aux mots une silhouette plus lourde ou d’un stylo à pointe fine pour faire danser syllabes et consonnes. C’est opter pour une encre noire ou bleue, verte ou violette. C’est encore choisir un papier fin ou, au contraire, un papier au grain épais. C’est assortir papier et enveloppe ou tenter des mariages de couleur. Enfin, c’est choisir le timbre qui viendra apporter la dernière touche. Pour toutes ces raisons, j’affectionne tout particulièrement les papeteries et peux y demeurer un temps aussi fou que délicieux à aller d’un étal à un autre. Je respire l’odeur du papier. Je caresse les feuilles. Je me délecte à la vue de dizaines de stylos plumes parfaitement rangés en ordre de bataille. Je suis fascinée par les encres, les encriers et les buvards.

 

Le téléphone et Internet ont, en l’espace de 20 ans, tué la correspondance écrite. Pourtant, je crois que chacun de nous reste sensible à l’écriture et est heureux de découvrir, dans sa boite aux lettres, une vraie lettre. Il suffit de mesurer la joie des enfants quand ils reçoivent du courrier pour penser que ce bonheur n’a pas
d’âge et que la correspondance mériterait qu’on lui redonne ses lettes de noblesse.

 

Anne-Lorraine Guillou-Brunner