Chronique du côté de la Concorde

 

IMG_0920.JPGLe 29 novembre de l’année dernière, la famille se réveillait dans une maison privée d’électricité et de chauffage. Dans la nuit, il était tombé quinze centimètres d’une belle neige épaisse. Depuis la baie vitrée de la salle à manger, les enfants découvraient la nature ensevelie sous un épais manteau blanc. Ils étaient littéralement fascinés. Ils rêvaient de se précipiter dans le jardin pour y confectionner des boules de neige et un grand bonhomme de neige avec un vieux chapeau et une pipe en bois comme dans la poésie de Jacques Prévert.  Mais avant, on s’était habillés devant le feu de cheminée et on avait petit-déjeuné à la lueur des bougies. Faute de chauffage, le groupe scolaire avait été fermé. Dans les salles de classe, la température avait chuté à 14 degrés. Les enfants avaient eu tout le loisir de s’amuser dans le jardin enneigé. Ils conservaient tous de ce réveil si différent des autres, un merveilleux souvenir.

 

 

 

docteur Jivago-dacha-in-winter.jpgLe froid s’installant, le paysage s’offrait durablement un visage sibérien. Quand la maman de trois traversait, en voiture, le plateau gelé, elle n’était pas loin de se prendre pour l’un des personnages féminins du « docteur Jivago ». Elle entendait la musique du film et les sons arrachés à la balalaïka. Le matin, les enfants et elle s’amusaient à identifier les animaux ayant laissé leurs empruntes dans la neige du jardin. A l’école, dans les jours qui avaient suivi, la directrice avait emmitouflé dans des sacs poubelles les pieds des enfants qui étaient venus chaussés de baskets. Ainsi, tous avaient pu profiter des joies et des jeux d’une cour de récréation enneigée sans avoir les orteils gelés.

 

 

 

saint-nicolas.jpgCette année, la neige n’est pas au rendez-vous sur le plateau. Il fait même très doux pour un mois de décembre. Les enfants ont déjà ouvert six fenêtres de leur calendrier de l’Avent. Si on les laissait faire, ils seraient capables de toutes les ouvrir. C’est si tentant tous ces petits chocolats qu’on sait cachés derrière la case cartonnée ! Dans l’Est de la France, on se met au rythme de la Saint Nicolas. La maman se rappelle combien numéro un avait eu peur, à l’âge de cinq ans, de voir arriver, à la date du six décembre, Saint Nicolas traînant dans son sillage le terrible père fouettard. Ayant traversé une période de turbulences, elle s’attendait plus à être punie que gâtée. Il avait fallu lui expliquer que le père fouettard n’existait pas, qu’il était un stratagème employé par les adultes pour que les enfants soient plus obéissants. La maman n’avait pourtant jamais agité devant sa fille le spectre du vilain père fouettard. Elle s’était contentée de leur lire l’histoire.

 

 

 

poudre de riz15-09-08-009-copie-1.jpgLe prunus a perdu toutes ses feuilles. Celles du bouleau argenté s’invitent dans la maison à chaque fois que l’on ouvre la porte de l’entrée. La maman du trio a cueilli, ce matin, la dernière rose du jardin. Elle a ce parfum que l’on ne trouve jamais dans les bouquets de roses chez les fleuristes. Elle s’est demandé comment on pourrait exprimer avec des mots le parfum de cette rose et elle n’a pas trouvé. Mais, étrangement, le parfum de cette rose semble associé à l’odeur de la poudre de riz qu’utilisait son arrière grand-mère maternelle.

 

 

 

michaud-carbonel-web-grand-format.jpgLe matin, avant de partir à l’école, ou le soir, en rentrant, les enfants s’amusent à repenser la décoration de la crèche. Parfois, les santons sont tous rassemblés sous la crèche. A d’autres moments, ils forment une ronde autour du photophore ou sont alignés en file indienne. Cette année, numéro deux ne cherche pas à isoler le pauvre Michaud aux bras cassés. Numéro un a rajouté sur le lit de feuilles mortes des coquillages rapportés de l’île aux Moines qu’elle a peints en rose. Quant à numéro trois, il a absolument tenu à déposer sur le toit de la crèche, entre l’ange et l’étoile du berger, un cœur en plastique bleu !

 

 

 

carte-paris-metro-1939.pngLe week-end dernier, la famille était à Paris. Depuis de longue date, le trio attendait ce moment où il pourrait dormir dans la nouvelle maison de leurs cousins. Les parents du trio s’étaient dits que ce serait l’occasion de plonger avec les cinq enfants dans la magie de Noël. On avait le choix entre les vitrines décorées des grands magasins ou la grande roue de la place de la Concorde et le petit marché de Noël s’étirant de la place jusqu’au rond-point des Champs Elysées. Dans le métro, on avait finalement opté pour la grande roue. Son mari et elle sentaient sur leurs visages les regards des autres passagers cherchant à établir des ressemblances entre les enfants et eux. Numéro trois s’était installé sur les genoux de sa grande cousine. Numéro deux et son cousin commentaient les affiches publicitaires placardées sur les murs des stations. A chaque nouvel arrêt, tous les enfants comptaient combien il en restait encore avant d’atteindre leur destination. Une dame était montée. Elle avait des yeux bleus très clairs, des cheveux blonds et une voix très haut perchée. Elle allait d’une personne à une autre demandant une pièce. En échange de l’aide apportée, elle sortait de son grand sac à main un petit recueil de textes des Evangiles. Numéro un avait demandé pourquoi cette femme avait besoin d’aide et pourquoi sa voix était si étrange, une voix de personnage de dessin animé.

 

 

 

grande roue tuileries.jpgIl était dix-huit heures passées quand on descendait à la station « musée du Louvre, palais royal ». On passait sous les arcades. Les enfants observaient les sculptures qui s’offrent à la vue des passants. Numéro deux restait absolument insensible à toutes ces formes blanches. Il faisait nuit et pourtant la pyramide n’était pas éclairée. Des marchands ambulants projetaient dans les airs des objets en plastique fluorescents qui retombaient sur les pavés mouillés. Au-dessus de leurs têtes, les nuages cédaient du terrain et des pans de ciel étoilé apparaissaient. La grande roue était dans leur champ de vision. Le jardin des Tuileries était plongé dans l’obscurité. La maman s’étonnait qu’il soit encore ouvert à cette heure. C’était plus agréable de passer par les allées du jardin que d’en longer les grilles par la rue de Rivoli. Les petits ânes avaient regagné leurs écuries de la rue de Vaugirard. Le manège tournait encore. Dans les restaurants, les serveurs finissaient de rentrer les chaises. Les enfants slalomaient entre les flaques d’eau boueuse. Numéro deux et son papa faisaient la course en tête, suivis de près par la maman et son neveu, eux mêmes talonnés par une grande cousine et numéro un tenant par la main numéro trois réclamant à être soulevé dans les airs. Les lumières de la ville faisaient briller la surface des bassins. Les portes de l’Orangerie s’étaient refermées sur les Nymphéas et l’exposition temporaire dédiée aux peintres espagnols entre fin 19ième siècle et début 20ième siècle.

 

 

 

grande roue enfants.jpgLes enfants continuaient de courir en direction de la grande roue. A son approche, il avait fallu ralentir la cadence et se rapprocher les uns des autres pour ne pas se perdre dans la foule cosmopolite. Les enfants avaient faim. On leur avait offert à qui un hot dog avec ou sans ketchup à qui une gaufre recouverte de sucre glace à qui encore un sachet de churros  sortant tout droit d’un bon bain d’huile bouillante. On n’avait pas eu à attendre très longtemps avant de monter à bord de l’une des nacelles fermées de la grande roue. La grande roue avait commencé à s’élever doucement au-dessus de la place de la Concorde et les enfants, émerveillés, ne disaient plus rien. A vingt heures, la Tour Eiffel s’était mise à scintiller de mille feux dorés. Les enfants avaient repéré, devant l’obélisque, un couple de mariés en pleine séance de photos. Le marié était tout en blanc. Les garçons d’honneur aussi. La séance finie, tout ce petit monde avait disparu dans une limousine noire. C’était magique d’être dans les airs, d’admirer Paris paré de ses habits de Noël.

 

 

 

rickshaw.jpgEnsuite, ils avaient traversé la place et les enfants s’étaient amusés de voir circuler des rickshaw à propulsion humaine ou mécanique. Ils avaient longé l’allée gauche du marché de Noël en direction du rond-point des Champs-Elysées. Il régnait une ambiance bon enfant. On se serait cru en vacances. Dans les chalets en bois en provenance des Vosges, beaucoup de choses à manger et beaucoup d’objets à acheter n’offrant presqu’aucun rapport avec Noël. Pas un santon à l’horizon, pas la moindre décoration à accrocher dans les branches du sapin. Cà et là, des gens dînant d’une tartiflette, d’une assiette d’huîtres ou d’une choucroute, le tout dans une atmosphère détendue.

 

 

 

Cheval_Tricycle.jpgIls sont passés devant la statue du Général de Gaulle. Dans certaines salles du Grand Palais, elle a imaginé, un instant, que les mille jouets réunis le temps d’une exposition quittaient leurs vitrines et partaient à la rencontre des toiles de la collection des Stein. Le poids de la main des enfants se faisait plus lourd dans le creux des siennes. C’était le signe qu’ils étaient fatigués, le signe qu’il fallait rentrer.

 

 

 

grande roue.jpgIl paraît que le Père Noël, dans son traîneau, survole le marché de Noël. Ils ne l’ont pas vu mais sur le chemin du retour, les métros de la ligne 1 circulaient lentement. Un colis suspect avait été repéré. Pas facile d’expliquer à des enfants de six, sept et huit ans, des mots tels que « terrorisme », « politique internationale », « victimes civiles ». Alors, nous étions très loin de la magie de Noël, des illuminations et du calme régnant entre les allées du jardin des Tuileries.

 

 

 

Anne-Lorraine Guillou-Brunner