Hier, 1er mars, j’ai fait le choix d’interrompre le récit de nos aventures dans le Vercors. Ma chronique était déjà très longue et j’allais finir par perdre des lecteurs ou des lectrices du côté de la cabane de la Combe de fer, près de la glacière du Font d’Urle ou dans l’une des salles de la maison du patrimoine à Villard-de-Lans. Je ne le savais pas mais on ne prononce pas le « s » à la fin de Villard. Il en va de même pour le « s » du mot Queyras. En revanche, dans l’Ain, on prononce bien le « g » à la fin de Bourg-en-Bresse. Chaque région a ses spécificités et c’est cela qui fait le charme des pays qui ont mis des siècles à consolider les limites de leurs frontières géographiques et où langues et patois se côtoyaient. Des spécificités régionales, en plus des paysages, il reste les produits du terroir et la manière de les accomoder. Nous étions à Corrençon pour Mardi-Gras et chez le boulanger, j’ai acheté des oreillettes. La grand-mère de Stéphane, née en Provence, en préparait pour son petit-fils et son mari les lui apportait quand les mercredis il passait de l’Ain à la Loire et venait voir la salaison dirigée par sa fille. C’est avec le grand-père de Stéphane que j’ai, pour la première fois de ma vie, déjeuner dans un restaurant de routiers et j’avais beaucoup aimé l’ambiance bien plus conviviale qu’à la table constipée d’un restaurant de Montrond-les-Bains situé en face de la station thermale. Il ne restait pas beaucoup de neurones à la patronne et le décor était tellement ringard. Une fois, je ne sais pas pourquoi, le grand-père de Stéphane nous avait invités dans le restaurant du musée d’art moderne de Saint-Etienne. Nous n’avions pas visiter le musée mais nous avions très bien déjeuné. Le carré des nuances a malheureusement fermé à la fin de l’année dernière. Les années Covid ont fait beaucop de mal!
Hier, j’ai eu le temps de vous parler du village laissé en ruines de Valchevrière, de sa chapelle si émouvante et du sentier qui y conduit depuis le belvédère que surplombe une grande croix et la dernière station du chemin qui débute à Villard-de-Lans. Deux jours, Victoire a préféré rester à l’appartement pour réviser en vue de ses écrits de spécialités les 20 et 21 mars prochain. Elle avait aussi besoin de dormir pour reprendre des forces et donner du repos à ses petites cellules grises menacées par la surchauffe.
Deux jours, Victoire qui est une vraie marcheuse nous a accompagnés. C’est Barnabé Fourgous, un ami de Stéphane, spéléologue, géologue et historien, qui nous avait indiqués des lieux de randonnée. C’est toujours une grande chance d’avoir quelqu’un qui peut conseiller des choses à faire. Barnabé est rarement chez lui. Il sillonne la planète, explore de nouvelles cavités, descend dans les moulins de glace pour le compte de l’Institut Pasteur et se mobilise pour la défense de sa région natale. Sa femme et lui ont profité d’un séjour en Hollande pour montrer à leur petite fille le Rhône coulant à Lyon et, ensuite, ils ont été voir en Suisse le glacier qui a donné son nom au fleuve. Ils lui ont expliqué le rôle essentiel des glaciers et les conséquences de la fonte des glaces. Nancy et Barnabé nous inviteront à dîner dans la maison qu’ils ont achetée dans un hameau au-dessus de Villard. Très impliqués dans l’écologie, ils se déplacent essentiellement en vélos électriques. Nancy est née à Gouda et le vélo est pour elle un réflexe. Une autre fois, la veille de notre départ, toute la petite famille nous rejoint dans un café pour déguster une crêpe et boire un verre. Je sens que Barnabé et Stéphane auront beaucoup de choses à partager dans les mois à venir.
Au départ du chalet, nous sommes montés à la glacière en passant par Les Granges et avons marché jusqu’au golf de Corrençon avant de repartir par un sentier serpentant dans la forêt. Notre objectif du jour était la cabane du Serre du Play qui n’est pas géo-localisée et qu’on ne trouve que si on en a entendu parler. A mi-chemin, nous avons commencé à progresser dans de la neige molle nous enfonçant souvent. Beaucoup de pente et le sentiment que nous n’allions pas atteindre notre but mais, enfin, en nous déportant sur la droite derrière de gros blocs de pierre, nous avons trouvé la cabane située à 1665 mètres à côté d’une grotte connue des spéléologues. Quand j’ai poussé la porte, j’avais le sentiment d’être comme Boucle d’or. Tout était impeccable. Au dessus de la gazinière, une fenêtre à laquelle étaient accrochés de jolis rideaux en dentelles, sur des étagères, tous les ustensiles nécessaires à la cuisine, des bougies, des allumettes, des cartes, un balai, des chaussons, une table deux bancs et une échelle étroite menant au dortoir. Dans un cahier, des mots laissés par les randonneurs. A l’extérieur une grille et du bois pour faire un barbecue. Si nous avions eu nos sacs de couchage et des victuailles, cela m’aurait plu de rester y dormir. J’ai pensé à Thoreau et à Tesson. Pendant notre séjour, j’ai commencé à lire Walden et y ai souligné des passages magnifiques.
Partis à neuf heures du matin, il était quatorze heures quand nous avons poussé la porte des deux soeurs, un petit restaurant où tout est fait maison et délicieux. La veille, nous avions dîné dans une auberge-restaurant très agréable avec sa cheminée mais nous avions été déçus par nos plats. Là, nous nous régalons d’autant plus que nous avons vraiment le sentiment d’avoir mérité notre déjeuner. La partie de la descente dans la neige avec des parties glacées a été fatigante. Cela tire dans les muscles des fesses et des mollets. Dans la salle de bains de l’appartement, une petite baignoire. Y mijoter après les marches est très agréable!
Le vendredi, nous prenons la route du Font d’Urle. Nous quittons l’Isère pour la Drôme. Les habitations et les paysages changent. On sent la Provence. Le café Brochier où nous voulions déjeuner sur les conseils de Barnabé est plein, nous faisons quelques emplettes dans une épicerie pour notre pique-nique. La route passe entre des gorges très profondes. Nous arrivons au Font d’Urle. Nous marchons sur Le Sentier du Karst dans un paysage époustouflant empruntant au mont Lozère, à la lande écossaise et à la Patagonie. Le vent souffle si fort que nous ne pouvons pas marcher aussi longtemps que nous l’avions prévu. Voici 15 jours, nous aurions découvert un paysage de neige car on pratique ici ski alpin et ski nordique.
Un peu plus bas et plus loin, la visite du mémorial de la Résistance le jour où Poutine faisait marcher son armée sur l’Ukraine prend une autre dimension. Tout au long du parcours, beaucoup d’émotion car aux témoignages entendus viennent se mêler les vies des membres de la famille de notre maman: son grand-père qui fermait les yeux sur les activités de résistance des lycéens de son établissement, qui fut conduit un matin à la Gestapo avec une valise et en repartit car parfaitement germaniste il avait évoqué des souvenirs avec l’officier en charge de l’interrogatoire, sa fille, notre grand-mère, qui cachait des tracts sous le landau de notre maman secouant une poupée alsacienne, sa plus jeune fille éprise d’un garçon à la tête d’une organisation étudiante dissimulant des activités de résistance, son plus jeune fils parti en hiver à l’âge de 17 ans par les Pyrénées pour échapper au STO et qui, devenu spahi ne reverrait les siens qu’à la fin de la guerre et son gendre déporté pour avoir refusé d’attendre tranquillement la fin de la guerre dans un camp de prisonniers et aussi l’oncle et parrain de notre papa résistant communiste revenu de l’enfer en 1947. Les visiteurs sont invités à se prêter à un jeu les impliquant dans une histoire pour les faire réfléchir à la notion d’engagement. Le professeur de philosophie qui, ensuite, explique la notion est très clair. Je sors remuée du mémorial. Le retour s’effectue en silence.
Samedi, veille de notre départ, Victoire se repose car elle a révisé tard. Nous nous garons sur le parking derrière la maison de Barnabé et Nancy et attaquons la montée en direction du Col Vert. Les sommets sont plongés dans la brume. Nous croisons des marcheurs venus par un chemin plus direct. Les indications ne sont pas toujours très claires. Au Col Vert, un couple et ses deux enfants pique-niquent sur un banc à 1766 mètres. De l’autre côté du col, la nature est prise dans le givre: les tiges, les branches, les pierres. On dirait qu’un sortilège est venu frapper ce versent de la montagne. Le soleil se refuse à sortir. Nous amorçons la descente raide dans une terre boueuse, des restes de neige et des plaques de verglas. A la cabane du Roybon, des marcheurs déjeunent.
J’aurais aimé que nous marchions jusqu’à la tête des Chaudières à 2029 mètres mais j’ai eu peur de réveiller mes vertiges. J’aurais aimé découvrir cet éblouissant panorama sur 360°: Vercors, Chartreuse, Belledonne, Mont Aiguille, Aiguilles d’Arves, la Meije. Ce sera pour une prochaine fois.
Lors de nos sorties à Villard-de-Lans, j’ai beaucoup appris en visitant la maison du patrimoine. Elle raconte le quotidien des habitants mais aussi le climatisme et les sports de vitesse comme le bobsleigh et le kilomètre pulsé. Je ne savais pas que Villard-de-Lans avait accueilli des adultes et des enfants, des convalescents d’une affection médicale ou chirurgicale non contagieuse et non tuberculeuse, des personnes après des séjours coloniaux, des sujets (je cite) intoxiqués par la vie urbaine et plus particulièrement les enfants anémiques, anorexiques, asthmatiques, inadaptés à la ville ou présentant une insuffisance pondérale.
Dans la maison du patrimoine, deux expositions temporaires passionnantes. L’une baptisée Saint-Ours par l’artiste the street yéti raconte l’histoire de l’ours depuis la mythologie jusqu’aux années 20 avec la naissance de l’ours en peluche Teddy Bear et le bonbon Haribo. L’autre revient sur l’implantation d’un lycée polonais nommé Cyprian Norwid de 1040 à 1946 à Villard. Après que la Pologne ait été envahi par l’Allemagne et l’URSS, le gouvernement polonais se réfugie à Paris puis à Londres. Le lycée est créé pour protéger les jeunes réfugiés qui formeront la nouvelle génération de l’intelligentsia. Le lycée est composé de jeunes soldats démobilisés et évadés des camps de prisonniers, des enfants de réfugiés de guerre mais aussi ceux qui ont émigré avec leurs parents avant la guerre originaires de la région ou des bassins miniers de toute la France. Si, au début, il existe des tensions entre les Français qui accusent les Polonais d’avoir déclenché la guerre, quand ces derniers jugent que les Français ne sont pas très courageux, ils finiront par s’entendre, se respecter et se battront ensemble contre les Allemands. Le 30 juin 1946, le lycée ferme ses portes. En septembre, un nouveau lycée ouvre aux Batignolles mais il n’est plus dirigé par Cyprian Norwid mais par un homme aux ordres de Moscou.
J’ai beaucoup aimé l’exposition de Claude qui a pris comme nom d’artiste the street yéti. Claude est une artiste qui se passionne pour les animaux. Elle crée en puisant dans l’anthropologie et l’éthologie. Pour imaginer cette exposition baptisée Saint-Ours, elle s’est plongée dans la lecture de l’essai que le médiéviste Michel Pastoureau a consacré à l’histoire de l’ours. Il est parti du culte que les peuples païens lui rendait pour arriver à l’époque contemporaine en passant par ces siècles durant lesquels l’Eglise a tout mis en oeuvre pour diaboliser l’ours auquel fut reconnu cinq des sept péchés capitaux et sa reproduction sous forme d’objet était frappée d’interdit. L’homme préhistorique devait cohabiter avec les ours. Les chercheurs ont retrouvé des crânes d’ours déposés de manière liturgique et des autels utilisés par des chamans dans des grottes. Ces objets attestent d’un culte de l’ours. A l’époque carolingienne, dans une large partie de l’Europe non méditerranéenne, l’ours est toujours une figure divine, un dieu et son culte est un frein à l’évangélisation des peuples païens.
J’apprends qu’en 1902, le Président des Etats-Unis, Théodore Roosevelt refusa de tirer sur le petit ourson qu’on lui avait apporté pour compléter son tableau de chasse. La scène fait le « buzz » et un marchand de jouets a l’idée de confectionner le premier ours en peluche baptisé Teddy en hommage au Président Roosevelt. Combien d’enfants ont dormi et dorment encore avec un ours qu’ils emportent partout et qui partagent tout avec eux? Notre fille ainée âgée de 19 ans a toujours le sien. Celui de notre cadette était tout petit. Elle l’a tant trituré que je l’ai réparé à plusieurs reprises. Notre benjamin avait des oursons jumeaux qu’il adorait. Il s’amusait à les cacher partout, notamment à la crèche en fin de journée ou, à la maison, dans le panier de linge sale. Un jour, sur une aire d’autoroute, l’un des oursons a glissé de la portière. Cela a été un drame et notre fils n’a jamais pu à nouveau s’endormir avec le jumeau restant qui lui rappelait sans cesse la perte de l’autre…Parents, nous passons tellement de temps à veiller sur les doudous de nos enfants qu’ils se personnifient. J’ai aussi pleuré ce petit doudou abandonné et j’ai pleuré à la vue de celui qui avait perdu sa moitié. Il est dans le tiroir d’une commode.
Sur le quatrième de couverture du livre de Michel Pastoureau, on peut lire : « de même que l’homme du Paléolithique partageait parfois ses peurs et ses cavernes avec l’ours, de même l’enfant du XXIe siècle partage encore ses frayeurs et son lit avec un ourson, son double, son ange gardien, peut-être son premier dieu. »
L’artiste, très complète, a rendu un très bel hommage à l’ours au-travers de peintures, de dessins, de photos et de collages. J’ai beaucoup aimé Charles de Foucauld en ours. L’artiste m’a écrit que saint François d’Assise aurait été horrifié qu’on fasse autant de mal aux ours et que le pape François devait trouver cette chasse à l’ours horrible. The Street Yéti sera le 9 juin au musée archéologique du lac de Paladru avec l’archéologue Régis Picavet.
Je ne savais pas que Villard-de-Lans avait été la capitale française de l’ours. Tandis que je visitais l’exposition, je me suis demandée pourquoi un ail s’appelait l’ail des ours et voici la réponse fournie par Wikipédia: « Cette plante est appelée Bärlauch (Poireau d’ours) en allemand, aglio orsino (Ail des ours) en italien, bear’s garlic en anglais (Ail des ours) et daslook (Ail des blaireaux) en néerlandais, en référence à une légende selon laquelle, après l’hibernation ces mammifères se mettent en quête de ces feuilles pour se purger.
Le dimanche 26 février, nous reprenons la route par une journée venteuse et glaciale. La floraison du prunus a été stoppée par le froid. Je ne trouve qu’une seule violette dans l’herbe. Le temps est passé vite depuis notre retour. La cheminée a marché presque tous les jours. La terre, dans les champs, est desséchée. Nous espérons la pluie.
Bonne semaine!
Anne-Lorraine Guillou-Brunner