Chronique autour d’une évasion à Paris à la fin du printemps

Une nouvelle évasion parisienne placée sous le signe de la famille. Au fil du temps, de nombreux amis sont partis en Province ou à l’étranger. Je ne cherche plus à revisiter mes années à Paris. Je sais avoir semé des bouts de moi dans cette ville comme le Petit Poucet des cailloux blancs mais je n’essaie pas de les retrouver. Je ne mets plus mes pas dans ceux de la jeune fille puis jeune femme que j’ai été qui déambulait aux beaux jours dans les rues laissant voler au vent les pans d’une robe piquée de fleurs et sa longue chevelure blondie par le soleil. Je me rappelle ce sentiment de liberté absolu que j’éprouvais auquel s’associait la certitude d’être là où je devais être.

Le ciel est tout bleu quand je marche de la gare de Bercy jusqu’au métro. J’en ressors à la station Lamarck-Caulaincourt. Un monsieur d’origine indienne vend des pivoines. Un berger australien trottine à côté de son deux pattes. Au 72, rue Lamarck, le Refuge a été remplacé par Rita. Le Refuge accueillait une clientèle très hétéroclite en terrasse ou dans un intérieur n’ayant pas bougé depuis les années 30, sur des banquettes en cuir bordeaux. Le Refuge avait tout du bistrot de quartier dans lequel on sert une cuisine simple et consistante. Quand ma soeur était élève dans l’école de théâtre dirigé par Jean Perimony, ses camarades et elle s’y retrouvaient avant ou après les cours. Après de longs travaux, Rita a ouvert ses portes. L’ambiance y est désormais plutôt chic et bohème. En début d’après-midi, la terrasse gorgée de soleil est pleine. Je viens relayer notre maman qui a veillé sur Boucle d’Or pendant quinze jours. Ma soeur est partie au Japon. Les photos qu’elle poste quotidiennement sont magnifiques. Un déjeuner très agréable avec notre maman qui a été si heureuse de prendre soin de sa dernière petite-fille qui fêtera ses sept ans dans quelques jours. A chaque fois, je me dis que ma soeur et moi sommes vraiment chanceuses d’avoir une maman toujours désireuse de nous aider, de prendre le relai avec les enfants et les animaux. Notre Fantôme l’adorait et il n’avait jamais le poil aussi soyeux que lorsqu’il restait en sa compagnie.

Après avoir raccompagné notre maman jusqu’au métro, constaté que, chez Rita, la terrasse n’avait pas désempli, souri au monsieur indien vendant des pivoines, je pars marcher dans ce quartier tout en escaliers, placettes, théâtres. Toujours beaucoup de touristes attirés par ce Montmartre si pittoresque et heureux de se prendre en photo au milieu des caricaturistes de la place du Tertre ou devant le Sacré-Coeur et sa blancheur de meringue. Je passe devant l’épicerie qui abritait la boutique de primeurs du légendaire Amélie Poulain. On y vend des cartes postales du film. Un nain de jardin tient en équilibre sur un étal de pamplemousses roses. Sur un banc, à l’ombre des arbres, deux Japonais dégustent une salade composée. Les deux amis ont débouché une bouteille de vin rouge.

A 18h00, j’attends la sortie des élèves devant l’école de Boucle d’Or. Quand elle me repère dans le groupe de parents et nounous, elle me saute au cou. Nous marchons en sautillant jusqu’au parc Junot où elle retrouve Louise et sa petite soeur et d’autres enfants. Comme les adultes, les enfants sont heureux de profiter du beau temps. Les plus jeunes sont pieds nus dans le bac à sable et font des pâtés en forme de crabe ou de fleur. Des garçons sont cachés derrière des buissons et semblent échanger des secrets. Une petite fille pleure. Elle vient de glisser dans la fontaine. Elle se dirige vers son papa qui échange avec un groupe de parents. D’un sac, le papa sort une tenue complète de rechange. La petite fille sèche sur un banc au soleil tandis que le papa termine la bière que des amis lui ont rapportée d’un séjour au Portugal. Le soleil décline. Charlotte, Louise et Anna dégringolent l’avenue Junot en se tenant par la main. Nous croisons un monsieur avec un jeune golden retriever qui se couche à mes pieds, se met sur le dos et m’offre son ventre à gratter. Les enfants et les animaux sont les êtres qui facilitent le plus les rencontres. Si je continue de penser que je n’aurais sans doute jamais eu de chien à Paris, je constate aussi que la plupart des quatre pattes semblent plus heureux ici qu’à la campagne. A Paris, les chiens ont plus d’interactions avec leurs congénères et leurs familles deux pattes. A la campagne, on s’imagine qu’un grand terrain et une niche protégée du vent suffisent à leur bonheur. Un quatre pattes a besoin de jouer avec son deux pattes, de partager des promenades avec lui, de sentir qu’il occupe une vraie place au sein de la famille.

Une bonne douche pour se délasser, un dîner partagé avec Céleste et Boucle d’Or est dans son lit douillet. Elle a été choisir une histoire dans la bibliothèque mais c’est elle qui me la lit. A la fin, Charlotte fatigue et je termine l’histoire de ce coquin de loup tombé dans un puits. Elle s’endort vite sachant que, demain, sa maman sera de retour. Le lendemain, Charlotte vient de terminer son petit-déjeuner quand sa maman arrive tirant derrière elle une valise énorme. La petite fille se précipite. Les retrouvailles sont très émouvantes. La maman distribue les ravissants souvenirs qu’elle a choisis avec amour la veille du départ. Elle nous raconte son voyage en même temps que nous découvrons les photos. Les nombreux espaces verts dans les villes l’ont beaucoup impressionnés. Ils sont si bien conçus qu’on oublie tout à fait béton et circulation. Céleste et moi nous éclipsons laissant Boucle d’Or et sa maman se retrouver après cette absence de quinze jours.

Nous allons visiter l’exposition que le musée des arts décoratifs consacre à la naissance des grands magasins. Au Bon Marché, Les Grands Magasins du Louvre, le Bazar de l’Hôtel de Ville, Au Printemps, La Samaritaine sont nés à l’époque du Second Empire dont ils incarnent la modernité et l’entrée dans l’ère de la consommation. Leur essor a été favorisé par les politiques industrielles et économiques impulsées par Napoléon III. Nos trois enfants ont étudié cette période en première. En français, notre fils a analysé Rage des césars, quinzième et dernier poème du premier Cahier de Douai de Rimbaud. Le poète y dépeint un empereur déchu, prisonnier des Prussiens, pleurant sa gloire passée, ce temps pendant lequel il a foulé du pied l’esprit républicain hérité de la Révolution française.

Les grands magasins opèrent une véritable révolution dans le commerce de détail. Ils vont de pair avec la démocratisation de la mode. Ils sont à l’origine de l’invention des soldes, de la vente par correspondance et font de l’enfant une nouvelle cible commerciale. Ils ne sont pas dissociables de cette nouvelle classe sociale: la bourgeoisie constituée d’industriels, de banquiers ou de commerçants. Avant d’entamer la rédaction de son roman Au bonheur des Dames, Émile Zola a mené des enquêtes au Bon Marché et aux Grands Magasins du Louvre. Les magasins pouvaient employer jusqu’à 3000 personnes. Comme ils étaient mal rétribués, les directeurs ont imaginé des avantages en nature qui créaient une relation de dépendance. Les employés étaient nourris, logés, bénéficiaient d’une protection sociale et de soins médicaux. Ils se souciaient également des valeurs morales de leur personnel. Ils encourageaient l’épargne, l’instruction et l’actionnariat. Ils soutenaient également la création de sociétés musicales et d’unions sportives.

Un déjeuner à la terrasse d’une brasserie à côté d’un couple de femmes retraitées commentant les résultats des élections européennes et la dissolution de l’Assemblée Nationale et nous nous séparons. Céleste rentre réviser. Je rejoins ma soeur chez l’une de ses amies. Les fenêtres du salon d’Emmanuelle donnent sur la vigne de Montmartre. Une petite halte au jardin Junot et les amies de Louise et quelques mamans s’engouffrent dans le métro. La bande joyeuse en ressort au métro Marx Dormoy. La maman de Louise a eu l’idée de réunir les camarades de sa fille dans un atelier où elles vont fabriquer un bateau en bois à hélice. Les filles enfilent des combinaisons vertes maculées de tâches de peinture, protègent leurs yeux derrière de larges lunettes et suivent les indications de la jeune fille aussi calme que charmante en charge de l’atelier. Les mamans disparaissent sur la terrasse surplombant un jardin, ancien repère de fumeurs de crack. A la place du traditionnel gâteau au chocolat, les filles croquent dans des hot dogs couverts au choix de ketchup, de moutarde ou de mayonnaise. Les rayons du soleil sont encore doux et dorés quand le groupe se sépare. Ma soeur, Charlotte et des amies se rendent dans le Marais au vernissage d’un collectif d’artistes dont Cerise, la marraine de la grande soeur de Boucle d’Or. Je rejoins notre aînée dans le 17ème au métro Guy Mocquet. Je marche le long de l’avenue de Saint-Ouen très vivante. Le boucher halal côtoie le poissonnier, le fleuriste le boulanger, le fromager le bar-tabacs PMU, le droguiste le primeur. Céleste prépare le diner et nous nous installons devant le film Le Prénom dont nous ne regardons que la moitié. Première nuit chez Céleste et Antoine. Je dors comme un bébé.

Dimanche, direction le Marais, le musée d’art et d’histoire du judaïsme situé dans l’hôtel de Saint-Aignan, rue du Temple. Nous gagnons le sous-sol où sont exposées des photographies d’André Steiner. L’exposition s’intitule: le corps entre désir et dépassement. Né en Hongrie en 1901, André Steiner est l’un des tous premiers utilisateurs d’un Leica en 1924. En raison de la montée de l’antisémitisme, il quitte Vienne pour Paris. Il contribue à diffuser en France un nouveau courant germanique appelée Nouvelle Vision. L’arrivée d’appareils photographiques portables comme le Leica autorise une nouvelle approche des sujets: des cadrages désaxés, en plongée ou contre-plongée, sur le vif, en mouvement et mettant en lumière la vie moderne collective ou intime. Sportif de haut niveau et entraîneur de natation au club sportif juif de Vienne, André Steiner se passionne pour les corps qu’ils soient nus ou en mouvement. En 1939, il s’engage dans l’armée de l’air française. Démobilisé en 1940, menacé en tant que juif et étranger, il quitte Paris pour le Midi, puis intègre la Résistance. Après la guerre, André Steiner obtient la nationalité française. De retour dans la capitale, il se spécialise dans la photographie appliquée à la technique et à la science. Il meurt à Paris en 1978. Quand, le soir venu, alors que je serai à nouveau chez Céleste et Antoine et découvrirai horrifiée le score réalisé par le RN aux élections européennes, c’est à André Steiner que je penserai.

Céleste et moi déjeunons d’un sandwich sur un banc dans le square de la tour Saint Jacques. Des sans-abris dorment à l’ombre des arbres sur les pelouses. Des touristes lèvent les yeux en direction des gargouilles. Le vent soulève de la poussière. Ma soeur nous rejoint et nous allons boire un café avant que Céleste ne rentre travailler. Passant devant le musée Cognacq-Jay, nous décidons d’aller découvrir l’exposition Luxe de poche. Dans des vitrines sont exposées des petits objets précieux du siècle des Lumières. Nous découvrons que le XVIIIe siècle est marqué par le développement des métiers d’art et l’essor des arts décoratifs. Nous admirons le raffinement des tabatières, bonbonnières, boîtes à mouches ou à fard, étuis, nécessaires, flacons, montres, châtelaines ou encore lorgnettes. Pour réaliser ces objets si délicats, les orfèvres de l’époque recourent à des matériaux exotiques comme la porcelaine, la laque, l’ivoire ou encore les écailles de tortue. Les émaux, la nacre, l’or et les pierreries sont également utilisés pour que ces objets de luxe servent de révélateur au statut social de leurs propriétaires.

Je l’ignorais mais j’apprends que le couple Cognacq-Jay fait le lien avec l’exposition que le musée des arts décoratifs consacre aux Grands Magasins. Après avoir échoué avec son premier magasin, Ernest Cognacq installe un commerce de fortune à l’angle du pont Neuf, plus précisément à l’ancien emplacement de la pompe de la Samaritaine.  Baptisé le « Napoléon du déballage », il ouvre, en 1870, un nouveau magasin dans un local rue de la Monnaie. En référence à la pompe à eau du pont Neuf, il nomme sa boutique La Samaritaine. Profitant de la forte clientèle des halles et des magasins À la Belle Jardinière, l’homme d’affaires transforme officiellement son local en magasin en 1871. La Samaritaine est un immense succès mais Ernest et sa femme, Marie-Louise, continuent à se développer. Ils ouvrent quatre autres enseignes, rue de Rivoli, entre 1905 et 1910. Ces quatre magasins, aménagés côte à côte dans un style Art Nouveau, attirent les passants. Les Grands Magasins de La Samaritaine sont nés.

Ernest Cognacq organise un management dit de « petits patrons » où chaque rayon est tenu par un responsable autonome. Pour satisfaire toutes les bourses et agrandir son commerce, Ernest Cognacq propose à la fois des enseignes somptueuses comme La Samaritaine de luxe, située boulevard des Capucines et des magasins plus abordables. Commerçants remarquables mais aussi grands collectionneurs d’art, Marie-Louise et Ernest réunissent, de 1900 à 1925, une importante collection d’œuvres du XVIIIe siècle. D’abord exposée à La Samaritaine de Luxe, cette collection est léguée, en 1928, à la ville de Paris qui fonde le musée Cognacq-Jay en 1929. Le couple crée, en 1916, la Fondation Cognacq-Jay. Regroupant une pouponnière, une maison de convalescence, une maison de retraite, un centre d’apprentissage, un orphelinat et une maison de repos, cette institution est encore en activité aujourd’hui.

Avant que ma soeur n’aille chercher Boucle d’Or qui a passé la journée avec l’une de ses amies dans un centre équestre situé dans le bois de Vincennes, nous buvons un jus de fruits à la terrasse de Rita avec Cerise dont le vernissage s’est tenu hier. Encore un gros câlin avec Charlotte et je me laisse descendre le long de la rue Lamarck jusqu’à ce qu’elle rejoigne l’avenue de Saint-Ouen. Dernière soirée avec notre aînée et découverte des résultats des élections européennes et annonce de la dissolution de l’Assemblée nationale. Notre cadette en stage à Poitiers depuis bientôt un mois et qui avait donné procuration à son père nous appelle. Elle est dans un état de colère effrayant. Elle votait pour la toute première fois. Mauvaise nuit.

Déjà deux semaines que j’étais à Paris et, maintenant, cette chronique est déjà bien trop longue pour que je fasse le récit des derniers évènements: un concert de jazz, la fin d’un atelier de sophrologie à destination des élèves de terminale, une pièce de théâtre avec les jeunes de l’aumônerie, le retour de notre cadette à la maison, une fête de la musique pluvieuse, l’anniversaire de Boucle d’Or, enfin, des températures conformes à un début d’été et la mort brutale de notre unique oncle, le frère aîné de notre père. Ce matin, notre fils passait son oral de français. Je l’accompagnais en voiture au lycée pour huit heures. Dans sa chemise et son pantalon en lin blanc, il était très élégant. Il est plutôt satisfait et maintenant en vacances. L’an prochain, à la même époque, il aura déjà eu des réponses à des voeux sur Parcoursup et passera son grand oral.

Une bonne fin d’année scolaire à vous toutes et tous!

 

Anne-Lorraine Guillou-Brunner

 

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