Chronique de l’Avent

Voici deux semaines, nous
approchions du premier dimanche de l’Avent. Nous allions pouvoir entrer, pas à
pas, dans la magie de Noël. Depuis longtemps, déjà, des feuilles d’automne
séchaient entre les pages de mon Petit Larousse illustré acheté en 1999. Avant
l’avènement des iPhone, nous le consultions beaucoup. Tel un invité de marque,
il trônait au bout de la table sur laquelle nous prenions nos repas. Et puis,
un téléphone révolutionnaire l’avait fait passer de la salle à manger à mon
bureau où il s’était découvert une fonction d’herbier. Les feuilles séchées aux
belles teintes de rouge, de roux, de jaune et de marron serviraient au décor de
la crèche.

 

Les filles avaient placé
leur calendrier de l’Avent, non pas dans leur chambre, mais sur une étagère de
la cuisine, au-dessus de l’évier. Encore un peu de patience et elles pourraient
ouvrir la première case pour y découvrir un petit chocolat et une image. L’an
passé, Céleste et ses petits camarades, réunis à la maison pour célébrer la Saint Nicolas,
avaient dévoré tous les chocolats du calendrier. Leur forfait commis, les
enfants avaient dissimulé le corps du délit de gourmandise sous le lit.

 

Le temps était venu de
préparer la crèche.
Je
l’ai longtemps cherchée. Je ne me rappelais plus où je
l’avais mise. C’est toujours ce qui arrive quand, pour une raison oubliée, on
se met à modifier l’ordre des choses. Finalement, je l’ai retrouvée, avec les
santons, dans un buffet provençal. Sagement, elle attendait son heure entre un
rayon de vieux romans policiers de P.D James et des petits objets confectionnés
par les enfants au centre aéré.

 

Louis dormait. Les filles
étaient tout excitées à l’idée d’installer la crèche et de superviser la décoration. Cette
année, je leur laissais carte blanche, ou presque. Nous avons commencé par
aménager notre décor en utilisant une grande boite à chaussures tendue de
papier rocher. Ensuite, elles ont mis la crèche, une crèche très artisanale,
faite de quelques bouts de bois et couverte d’une sorte de lichen artificiel
réussissant à donner l’illusion du vrai. Précautionneusement, elles ont sorti
chaque santon de la feuille de sopalin dans laquelle il était roulé. Victoire
et Céleste ont disposé à l’intérieur de la crèche la Sainte famille, sans
oublier le brave bœuf et l’âne gentil. Victoire a intercalé l’ange entre Marie
et Joseph. Elle a aussi rajouté un mouton. J’ai essayé d’expliquer aux filles
qu’elles ne pouvaient pas encore coucher le petit Jésus dans sa mangeoire car
il n’était pas né. Mes explications ont été repoussées vivement et Victoire a
ajouté que, seul, il aurait peur et froid. Je me suis inclinée sans tenter
un : « mais il n’a pas froid, le petit Jésus. Il est bien au chaud
dans le ventre de sa maman ». Elle a, aussi, placé en hauteur l’étoile du
berger. Elle craignait que, sans elle, Gaspard, Melchior et Balthazar tournent
en rond indéfiniment et ne trouvent jamais Jésus.

Ensuite, les filles ont
utilisé les feuilles qui avaient séché, entre les pages désormais gondolées par
l’humidité de mon vieux dictionnaire, pour imaginer un décor automnal tout
autour de la
crèche. Elles
ont ajouté de toutes petites pommes de pin
figurant des arbres. Si les santons étaient provençaux, la crèche pouvait bien
se trouver au cœur d’une forêt ! Dans une presque totale harmonie, elles
ont réussi à placer tous les santons. Certains m’ont été offerts à ma
naissance. J’en ai rachetés d’autres à l’arrivée des enfants. Ceux qui ont été
sortis pour la quarantième fois de leur boite en carton ne sont pas toujours
des plus présentables. Le ravi n’a plus de bras. La peinture qui habillait son
corps en argile cuite s’est presque entièrement effacée. Cela ne l’empêche pas
de sourire aux anges. Les vêtements des rois mages sont ternes mais leurs
présents sont intacts. Une des Arlésiennes avait carrément perdu la tête. Avec les
enfants, nous l’avons recollée. Le couple de vieux Arlésiens, baptisés Grasset
et Grassette, porte bien ses quarante ans de bons et loyaux services. Grasset a
toujours sa lampe à l’huile à la main. Grassette tient fermement son panier de
provisions sur le bras  droit.

Les enfants ont fini
d’installer confortablement, sur un matelas de feuilles, le rémouleur et le
vannier, le berger et son agneau autour du cou, le meunier portant son lourd
sac de farine et le tambourinaire au chapeau de paille. Enfin, nous avons
allumé deux bougies. La nuit commençait à tomber. Louis dormait encore. Les
filles étaient enchantées et les voir heureuses me remplissait de joie. Dans
les jours qui ont suivi, j’ai plusieurs fois retrouvé le pauvre Ravi, privé de
ses deux bras, sur une desserte, loin de la crèche. Victoire
l’avait mis en quarantaine car il heurtait son sens esthétique.

 

Samedi dernier, veille du
deuxième dimanche de l’Avent, je reste avec Louis à la maison tandis que
Stéphane part avec les filles chercher un sapin. L’an passé, ils étaient
revenus avec un sapin tout blanc choisi par Céleste. Cette année, ils ont opté
pour un nordmann bien rond avec racines sentant bon la forêt de résineux.

 

Comme toujours, je me
fais une joie de ce moment unique dans l’année. J’ai à cœur que la décoration
du sapin soit un moment de chaleur et de complicité. Céleste, Victoire et Louis
commencent à sortir des sacs les guirlandes, les cheveux d’ange, les boules,
les petits sujets en bois et d’autres dizaines d’objets hétéroclites. Ils en
viennent vite à se chamailler, à se disputer les éléments décoratifs. Comme
Louis a jeté son dévolu sur les boules, je fais diversion en lui offrant de
ramasser, avec la pelle et la balayette, bouts de terre et épines de sapin. Il
est ravi et oublie les décorations. J’ai toutes les peines du monde à faire
entendre aux filles qu’il faut commencer par les guirlandes, avec ou sans
lumière clignotante, avant de suspendre quoique ce soit. Stéphane accroche
l’étoile au faîte du sapin avant de faire courir des guirlandes rouges et or
entre ses branches. A présent, les filles se précipitent sur le sapin et
recommencent à se disputer les objets.

 

Au risque de passer pour
une mère affreusement dirigiste, je les invite à répartir les décorations tout
autour du sapin plutôt que de suspendre sur une seule et même branche :
une boule rouge d’inspiration byzantine, un ange argenté jouant de la
trompette, un cheval à bascule et un champignon vert en pâte à sel réalisé par
les enfants de la garderie et acheté au marché de Noël de l’école. Je leur
suggère aussi, parfois, de s’interrompre et de prendre de la distance pour
juger du résultat et mieux voir où ajouter de nouveaux objets. Victoire vient
de trouver l’un des deux bonshommes de neige cachant dans son ventre rond et
bleu un petit grelot. L’autre est rouge. Je me rappelle qu’il a perdu, l’année
dernière, sa ficelle. Je ne sais plus où je l’ai rangé. Ils nous ont été
offerts par des amis canadiens. Céleste se jette sur sa sœur pour le lui
arracher des mains. Victoire se met à hurler. Heureusement que Louis, lui, ne
s’y intéresse pas et navigue, entre le sapin et la poubelle, pour jeter bouts
de terre et épines.

 

Je les sépare. Je suis à deux doigts de craquer.
Le plaisir de décorer le sapin s’est considérablement émoussé. De toute
manière, les filles estiment que la décoration est finie. Place alors aux
chants de Noël. Céleste monte sur une chaise, se saisit des disques et en place
un dans l’appareil. Victoire s’approche décidée à mettre le sien tout de suite.
A nouveau des cris et des pleurs. Cette fois, c’en est trop pour moi ! Je
les expédie chacune dans leur chambre. J’ai les larmes aux yeux. Elles viennent
de saccager la joie que je me faisais de ce moment si particulier dans l’année.
Je n’ai même pas envie de me consoler en allant chercher la boite des petits
sablés de Noël, en soulevant son couvercle rouge et blanc et en avalant deux
étoiles, trois cœurs et encore deux canards bien dorés. Quand les filles
sortiront de leur chambre, je leur expliquerai ce qui m’a rendu triste. Elles
me demanderont pardon. Je les prendrai tout contre moi et penserai :
« on a beau être une maman, on garde toujours son âme d’enfant ».

 

 

Anne-Lorraine
Guillou-Brunner

 

 


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