Chronique parisienne à dix jours de Noël

Samedi dernier, ultime possibilité d’un bain
parisien avant Noël. Une grand-mère courage s’offre de garder, seule, ses cinq
petits-enfants. Ainsi, ses deux filles et l’un de ses gendres pourront flâner
en toute liberté. A trois heures de l’après-midi, nous sortons de terre à la station Miromesnil.
Première
impression de vrai froid renforcé par la chaleur du
métro. Le mercure n’est pas encore descendu sous la fatidique barre du zéro
mais le vent est glacial. Ca sent la neige. Le ciel est lourd. D’un pas vif, nous
remontons vers le boulevard Haussmann. Nous arrivons devant le musée Jacquemart
André. Propriété de l’Institut de France, il accueille, pour trois semaines
encore, les chefs d’œuvres flamands de la collection Brukenthal.
Au
début, nous nous croyons chanceux. Peu de monde dans une
file d’attente qui avance relativement vite. Nous écoutons, amusés, les
commentaires d’un employé du musée d’origine indienne ou sri lankaise. Petit homme
rond aux yeux pétillants dont la voix, parfois, rappelle celle de Michel
Serrault, il est chargé d’encadrer les futurs visiteurs. Avec beaucoup
d’esprit, il s’efforce, tout en ayant à l’œil ceux qui vont et viennent, de
soulager notre attente en nous donnant une foule de détails pratiques sur la
visite de l’exposition en particulier et du musée en général. Il me rappelle ce
grand homme noir, portant l’uniforme bleu de la SNCF et officiant dans la salle Méditerranée
de la gare de Lyon. Chargé de venir en aide aux voyageurs, il réussissait,
grâce à la magie de sa bonne humeur hautement contagieuse, à transformer un
moment d’attente lourd et fastidieux en une pause poétique et légère.

 

Nous sommes détendus, tout à notre joie d’être là
ensemble, à la perspective de voir de belles choses dans un magnifique cadre
et, peut-être, après, de soulager nos pieds et nos colonnes vertébrales en nous
offrant un remontant dans le salon de thé du musée. Ma sœur m’a fait part de
son envie, non encore assouvie, de barquette aux marrons et, depuis, j’y pense,
moi aussi, à cette délicieuse pâte sablée, au lit de poudre d’amandes couvert
d’un dôme de crème de marrons disparaissant sous un fin glaçage au chocolat. La
file d’attente ne grossit pas, moi si, sans doute, à imaginer cette
pâtisserie ! Un nombre important de personnes munies de billets pré payés
nous passent, en toute légitimité, sous le nez. Nous sommes à deux marches de
la porte qui ouvre sur les caisses. C’est alors que pénètre un groupe constitué
d’une quarantaine d’individus. Après leur entrée, le monsieur, chargé de nous
distraire tout en nous surveillant, annonce solennellement que le musée ferme
ses portes pour au moins vingt minutes. Trop de monde à l’intérieur des salles.
Au début, nous pensons attendre mais devant le nombre de personnes arborant
fièrement leur billet pré payé qui continuent à pénétrer dans le musée, nous
nous disons que les vingt minutes peuvent tout aussi bien se muer en quarante. Maintenant,
il fait vraiment froid sous le porche. La nuit tombera vite. Alors, nous
tournons le dos à la
collection Brukenthal
et regrettons cette époque lointaine où
nous pouvions encore visiter les expositions en pleine semaine.

 

Du boulevard Haussmann
jusqu’à Opéra, nous marchons. Cette fois, les Parisiens ont ressorti leurs
vêtements hivernaux dans le sillage desquels je crois deviner comme une odeur
d’antimites. Les élégantes qui risquent leurs longues jambes fuselées sous des
jupes courtes ou des shorts minimalistes les ont protégées sous d’épais collants
de laine.

 

De
plus en plus de malheureux élisent domicile sur le macadam de Paname. L’un
d’entre eux, à la stature de géant, est étendu sur le flanc, une joue plaquée
sur le sol gelé. Les passants ferment leurs yeux à sa présence, trop
culpabilisante en ces pics annuels de sur consommation. Dans les larges
vitrines de Berteil, qu’aucune trace de doigt n’entache, le chic anglais a
rencontré l’originalité italienne. Sur les rayonnages de la boutique Eric Bompard
sont superposés, par couleur, des centaines de pulls en cachemire. Dans ces
périodes de fête, les contrastes entre ceux qui sont à l’abri du besoin et ceux
qui n’ont rien ou plus rien sont particulièrement violents et visibles.

 

Nous voici déjà du côté de la Madeleine. Devant
l’entrée de la Pinacothèque, une grande file d’attente. Comme le Nord ne veut
pas de nous, nous nous contentons de pousser la porte de la boutique. Nous y
découvrons un choix merveilleux de livres pour enfants, de bagues macarons, de
sacs tulipes et de broches boules de Noël. Le Père Noël remplit sa hotte pour
des nièces et des neveux. Le caissier, un jeune homme charmant, se débat avec
le papier au ravissant ton cuivré mais à la matière affreusement glissante. Dans
la file d’acheteurs pressés, pas de trêve pour l’impatience et la mauvaise
humeur.

 

Quand nous sortons, la
nuit est tombée. Le vent est toujours aussi glacial. Les malheureux installés
sur les trottoirs sont moins visibles à la lumière des éclairages publics qu’à
la lumière du jour, même s’il était gris.    A la
maison du chocolat, les gens attendent dehors avant de pouvoir entrer et acheter
des merveilles au cacao, minutieusement superposées par strate, dans des
ballotins à l’élégance sobre. Nous passons devant l’entrée imposante et les
lumières rouges de l’Olympia. Ce soir, encore, Danny Boon, maître des lieux,
fera rire un public nombreux, désireux d’oublier, le temps d’un spectacle, les
duretés du monde extérieur. Je remarque un salon de thé à l’ambiance
chaleureuse. Je m’y serais bien arrêtée avant que nous nous engouffrions dans
le métro mais il est tard et même si nous avons tout fait pour repousser cette
idée le plus loin possible, une grand-mère s’est débattue un après-midi durant
avec nos cinq enfants. Il est temps de la libérer !

 

Debout, dans le métro
bondé et surchauffé, je pense que, décidément, ces journées parisiennes passent
toujours trop vite. Celle-ci s’achève autour d’un thé tardif et d’une réflexion
sur le thème de Noël. Nous sommes quatre adultes à exprimer quatre points de
vue différents. On croirait que nous rejouons « la bûche », le film
de Danièle Thomson. Noël est vraiment la période la plus étrange de l’année.

 

Tant de désirs divers et d’images contradictoires
se télescopent.  Certains détestent Noël, les fins d’années qui sont, pour eux,
autant de petites morts. Ils voudraient s’endormir à la mi-décembre et se réveiller
à la mi-janvier.
Ainsi
, pas de sapins décorés, de crèches avec santons
provençaux, de kilomètres de décorations lumineuses, de papiers cadeaux
déchiquetés, de repas de famille indigestes. D’autres voient dans Noël une fête
pour les enfants. Si on leur laissait le choix, ils couraient se réfugier sur
une île, sous le soleil des Antilles. Là-bas, assurément, ils pourraient
recharger leurs batteries en énergie positive. D’autres se rendent malades à
l’idée de ces repas qu’il va falloir imaginer et réaliser, de toutes ces
courses en perspective quand, l’essentiel n’est pas dans l’assiette mais dans
l’ambiance qui règne autour de la table. Certains sont las de ces quatre Noëls à
venir car les familles sont recomposées avant d’être décomposées. D’autres voudraient
que Noël soit l’occasion d’ouvrir sa famille sur l’extérieur, notamment à des
personnes seules. Certains ont franchi le pas depuis de nombreuses années et,
engagés dans des associations, servent des repas chauds ou apportent un peu de
chaleur dans les maisons de repos.

 

Pour une petite minorité
chrétienne pratiquante, Noël demeure la plus belle des fêtes du calendrier
liturgique. Elle est préparée pendant les quatre semaines de l’Avent. La
veillée ou la messe de Noël sont vécues dans l’allégresse. Les chants sont
chantés avec la joie qui porte ceux qui ont la chance d’avoir la foi. En sortant de la
messe, ils ont un mot pour le malheureux qui, lui, croit en leur générosité.
D’autres, bien sûr, déjà tout à leur dinde qui va sécher ou à leurs huîtres à
ouvrir passent sans un regard, sans un geste. Pour une écrasante majorité, Noël
rime avec plaisir de retrouvailles familiales et bonheur d’offrir, plus que de
recevoir, des paquets choisis avec soin et dans l’espoir de faire plaisir. Parmi
eux, ceux qui ont eu la chance de pouvoir conserver une âme d’enfant continuent
de vivre la magie de Noël et ont à cœur de la transmettre à leurs enfants, même
si, quand ils étaient jeunes, presque tous leurs Noëls ont été saccagés par les
pulsions destructrices des grandes personnes.

 

En résumé, l’idéal ne
serait-il pas que chacun puisse vivre le plus librement possible une période de
l’année qu’on ne devrait pas se sentir obligé de parer de toutes les vertus si
on ne lui en reconnaît aucune ?

 

 

Joyeux
Noël à tous !

 


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