Chronique d’un automne en chemin

Lentement, l’automne avance sur le plateau. Les longues chevelures des arbres se transforment. Le doré s’unit au marron et au rouge. Dans le jardin, le magnolia persistant ne donne plus ses fleurs blanches déployant leurs larges pétales sur des coeurs roses exhalant une odeur de cédrat. Le vieux rosier qui était là à notre arrivée ne fleurit plus. Depuis deux printemps, je guette l’apparition de nouveaux bourgeons redoutant qu’il ait rendu l’âme. J’avais bien essayé de réaliser des boutures mais sans succès. Si j’aime la nature, si je peux parler aux plantes, je doute d’avoir la main verte comme celui que je tiens pour un ami cher depuis l’enfance: Tistou dont le caractère n’est pas sans rappeler celui du Petit Prince. L’herbe a déjà bien poussé. Les feuilles jaunes de la glycine viennent tapisser les pierres de la terrasse. Par la baie vitrée ouverte, elles s’invitent dans la cuisine. J’ai rentré les deux géraniums achetés dans les semaines qui ont suivi la mort de Fantôme. L’un est rose, l’autre est rouge. Je les ai déposés devant la fenêtre de mon cabinet donnant sur le plateau. J’imagine qu’ils sont un un peu triste de se sentir enfermés mais ces mois au chaud les garderont en vie. L’orchidée offerte par une patiente est couverte de fleurs depuis le mois d’août. Tous les jours, je prends un moment pour l’observer et la remercier de nous offrir sa beauté.

L’automne avance sur le plateau et le chat modifie ses habitudes. Tout l’été, il a dormi roulé en boule dans l’herbe à l’ombre du mirabellier. Maintenant, il sommeille dans le lierre non loin du puits ou alors dans différents points de la maison: le grand fauteuil de la chambre du fond couvert d’un tissu rapporté du Ladakh, la couette du lit de notre fils, la bergère de la mezzanine qui fut plusieurs décennies durant dans l’appartement parisien de notre grand-mère, le canapé de mon cabinet ou celui du bureau de Stéphane, notre chambre pendant de longues années.

L’automne avance et nous sommes restés fidèles à notre rendez-vous du début du mois d’octobre à l’arboretum national des Barres. Cet arboretum est l’un des plus beaux en Europe. Son histoire commence en 1821 date à laquelle le domaine qui l’abrite est acquis par l’horticulteur français Philippe André de Vilmorin. Ce dernier souhaite mener des cultures comparatives de différentes espèces d’arbres et étudier le développement d’un grand nombre d’individus. Il s’agit surtout de développer des essences pouvant être utilisées dans la fabrication des mâtures de navires. La France était obligée d’importer le bois depuis la Baltique et la Norvège. A la mort de Philippe André de Vilmorin, une partie du domaine est cédée à l’administration des eaux et forêts qui prend en charge les plantations. C’est à Gaston Gouet que l’on doit, en 1873, la création d’un arboretum de collection avec la plantation de nombreuses nouvelles espèces. A la fin du 19ème siècle, Maurice de Vilmorin enrichit la collection d’arbustes. Progressivement, l’Etat va prendre la main sur le domaine et l’arboretum. Ce dernier est désormais administré par la communauté de communes des Canaux et Forêts en Gâtinais et le conseil régional Centre-Val de Loire.

Dans la revue Reporterre, j’ai trouvé un article de Jean-Pierre Tuquoi évoquant l’arboretum avec tant de poésie que je recopie un passage: « Là, sur une quarantaine d’hectares, s’étale depuis deux cents ans une collection d’arbres sans équivalent : des érables à peau de serpent, des cognassiers à l’écorce qui rappelle le cou de la girafe, des séquoias qui grimpent jusqu’au ciel, des cèdres bleus d’Algérie, des noisetiers tortueux, des pins dont le cône muni d’épines pèse plusieurs kilos, un thuya qui a donné naissance à près d’une centaine de troncs alentours… Au total, plus de 10.000 arbres remarquables par le feuillage, le port, l’odeur, le tronc.  » Cette description restitue à merveille la diversité des essences présentes à l’arboretum qui est ouvert de mars à novembre.

Nous aimons particulièrement y aller en automne mais l’arboretum est également très beau au printemps. L’an passé, nous y étions avec notre fille aînée. Il faisait un temps estival. Son papa et elle étaient en tee-shirt. Je portais la robe à fleurs achetée à Reims où j’avais séjourné quelques jours dans la résidence étudiants de Victoire. L’ambiance était, comme toujours, très agréable. Nombreux étaient les passionnés de jardinage venus acheter plants, bulbes, nichoirs à oiseaux, matériel. Un petit âne gris tirait une carriole avec à son bord des parents et des enfants. Un trio de musiciens se déplaçait dans l’arboretum interprétant des morceaux de jazz très Nouvelle-Orléans. Des jeunes montaient dans les arbres. Nous avions échangé avec Aline qui, depuis son stand, vendait les objets en bois que son mari et elle fabriquent.

L’automne avance et j’ai renoué avec les soupes. J’ai ouvert le bal avec une soupe que notre fils a particulièrement aimée: lentilles roses, butternut et lait de coco.

L’automne avance et je songe à tous ces séjours dans le Finistère sud que nous avons vécus avec les enfants, leurs cousins et aussi des amis. Cet été, cela nous avait procuré une sensation étrange de passer en vélo à l’Île-Tudy devant la maison que nous avons louée plusieurs années, une maison dans laquelle nous nous sentions vraiment chez nous. Le portail donnant sur le jardin était fermé mais nous entendions des voix provenant des fenêtres ouvertes. La maison était occupée par sa vraie famille et non des hôtes de passage. La toute dernière fois que nous avions séjourné à l’Île-Tudy, nous avions eu droit à un lever de soleil absolument magnifique. Avant de prendre la longue route du retour, nous offrions une promenade à Fantôme et allions saluer l’océan. Le spectacle était vraiment incroyable!

L’automne avance et, dans beaucoup de familles, on doit préparer Halloween. Quand le trio était encore là, je l’emmenais acheter des déguisements, des accessoires, du maquillage. Cette soirée donnait lieu à d’intenses préparatifs. Le soir venu, je déposais des bougies sur les rebords des fenêtres, enfilais mon chapeau de gentille sorcière et mettais des bonbons dans un panier. Les enfants du quartier venaient sonner et leurs mains plongeaient avec avidité dans la montagne de bonbons de toutes les couleurs. C’est à l’Île-Tudy, que les enfants, déjà presque tous adolescents, avaient vécu une incroyable fête d’Halloween tant les Bretons jouent le jeu décorant extérieur et intérieur des maisons et des jardins, se déguisant et allant jusqu’à imaginer des musiques d’ambiance sur le pas des portes et projetant des images mouvantes sur les façades. Cette année, notre fils ira sans soute avec des amis dans le village voisin qu’une association transforme en village de démons. Quant aux filles, j’imagine qu’elles se déguiseront et iront danser.

L’automne avance et, dans trois jours, les élèves seront en vacances. Ils vont pouvoir souffler et, je l’espère, profiter de belles journées d’automne. Nous restons sur le plateau. Nous n’avons pas encore été chercher de champignons dans la forêt. C’est une activité que nous avons beaucoup pratiqué avec les enfants et Fantôme. Victoire était notre entomologiste dénichant toujours de beaux scarabées qu’elle déposait dans le creux de sa main. Louis était très déçu quand Céleste trouvait plus de cèpes que lui. Quelle joie, le soir, de préparer des pâtes et d’y glisser quelques morceaux de cèpes revenus dans du beurre avec une pointe d’ail!

L’automne avance et je me documente sur les prochaines expositions que j’aimerais découvrir quand je pourrai aller à Paris. Je suis très tentée par l’exposition que le musée d’Orsay consacre à Caillebotte, celle qui porte sur les zombis au Quai Branly et dont Philippe Charlier est le commissaire, l’exposition qui, à la Conciergerie, met à l’honneur les artistes contemporains du Bénin ou bien encore le travail du peintre suédois animalier que je ne connaissais pas, Bruno Liljefors.

L’automne avance et les patientes qui avaient récemment commencé un accompagnement vont déjà beaucoup mieux. J’ai été bouleversée quand l’une d’entre elles, à la fin d’une séance, m’a dit: « Je veux rester la femme que je suis! » Elle exprimait alors sa liberté de rester en accord avec ses besoins, ses aspirations quand son compagnon, très différent d’elle, la culpabilisait et voulait la conduire à vivre selon ses propres goûts.

L’automne avance. Le vent du sud souffle un air chaud sur le plateau. Une mouche tourne dans mon cabinet. Je vais l’aider à regagner la sortie.

Bonne semaine et bonnes vacances de la Toussaint pour celles et ceux qui pourront en prendre.

Anne-Lorraine Guillou-Brunner

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