Entre deux séances de sophrologie, deux récits de vie de femme, deux respirations, deux rires, deux soupires, j’apprends la disparition de Simone Veil. Voici deux jours, avec l’une de mes patientes, journaliste, nous l’évoquions et Michelle, c’est son prénom, me disait qu’on n’entendait plus parler d’elle. S’agissant d’un personnage public, cela n’est jamais de bon augure.
Dans les périodes les plus troublées de l’histoire surgissent des êtres extraordinaires, des êtres faits pour mener des actions d’envergure, des combats essentiels, délivrer des messages
pour les générations futures. Simone Veil était l’un de ces êtres hors du commun. Elle a surmonté l’horreur de la déportation. Elle a surmonté la mort de sa mère. Elle a lutté toute sa vie pour la reconnaissance des droits des femmes. Nous avons tous en mémoire la manière dont elle a défendu l’adoption de la loi sur l’interruption de grossesse. Grâce à elle, plus de faiseuses d’ange, de femmes mortes à la suite d’un avortement exécuté dans des conditions effrayantes. Dans son livre, « Les hommes aussi s’en souviennent » paru chez Stock en 2004, on peut lire le discours que Simone Veil a prononcé le 26 novembre 1974 pour présenter, au Palais Bourbon, son projet de loi sur l’interruption volontaire de grossesse et, grâce à un entretien qu’elle avait accordé à Annick Jean, journaliste au Monde, avoir une idée des violences morales qu’elle a subies de la part de députés hommes dont elle savait que certains envoyaient leur maîtresse avorter dans des cliniques suisses. L’homme n’est pas à une hypocrisie près!
Quand je pense à Simone Veil, je pense à notre grand-mère maternelle, à la grand-mère maternelle de mon mari, Gisèle Halimi, Françoise Héritier, Niki de Saint Phalle, Andrée Chedid, Louise Bourgeois, aux mères ou grands-mères de mes patientes ayant traversé la seconde guerre mondiale, le plus souvent, des femmes incroyablement courageuses, volontaires, indépendantes, résistantes et féministes. Je pense aussi à Gabrielle, dite Coco, ma voisine de pallier quand j’habitais rue de la Roquette, en face de l’ancienne prison des femmes.
En 2003, j’ai écrit une chronique portant sur l’interruption volontaire (?) de grossesse. Je suis allée la rechercher dans mes archives pour rendre hommage à Simone Veil et à toutes ces femmes qui nous ont ouvert la voie, qui nous ont donné une voix et qui, au crépuscule de leur vie, s’inquiétait de voir les jeunes générations perdre de vue l’importance de leurs droits si récemment et chèrement acquis.
http://horscadre.ovh/chronique-dune-interruption-volontaire-de-grossesse/
Depuis que Simone Veil nous a quittés, j’ai glissé sous un cadre en verre la très belle photo que « Libération » avait mise à sa « Une » pour lui rendre hommage. je l’ai entourée de quelques images de ma famille maternelle. Ce cadre est installé dans mon cabinet. Maintenant qu’Antoine Veil (qui, rappelons-le, au début de leur mariage aurait aimé la voir au foyer pour y mener la traditionnelle vie d’une femme appartenant à la bourgeoisie et avec lequel elle a bataillé ferme pour se réaliser comme elle l’entendait et qui, le temps passant, a accepté qu’il devait lui concéder la première place et l’accompagner inlassablement dans tous ses combats) et Simone vont entrer au Panthéon, elle n’appartiendra plus à ses enfants. Elle acquiert une dimension universelle. Ce matin, Simone Veil va rejoindre les grandes scientifiques, Marie Curie et Sophie Berthelot et Germaine Thillion et Geneviève de Gaulle-Anthonioz, deux figures marquantes de la Résistance française. Cinq femmes pour soixante-seize « Grands Hommes ». Cela se passe de commentaires!
Il ne faudrait pas croire que les femmes déméritent! Pour se convaincre définitivement du contraire, je vous suggère la lecture de l’essai de la mère de l’une de mes amies les plus proches pendant de très longues années, « 17 femmes prix Nobel de sciences » du Professeur Hélène Merle-Béral. Ce grand chercheur qui fut nommé à la tête du service d’hématologie de la Pitié-Salpêtrières m’a beaucoup apporté et nos échanges autour de la littérature continuent de me manquer. Sa charge de travail ne l’empêchait pas de lire plusieurs ouvrages par semaine.
Je voudrais dire merci à ce collectif de jeunes femmes qui, depuis quelques jours, a fait fleurir le portrait façon Andy Warhol de Simone Veil légendé d’un simple mais efficace « Merci » dans les rues de Paris. Les droits des femmes sont fragiles. Sans chercher à entrer dans une lutte ouverte et stérile avec les hommes, il convient de ne pas baisser la garde et, en tant que parents, pères et mères, d’élever nos enfants, garçons et filles, dans le désir, à l’âge adulte, d’unir leurs forces pour s’épauler, se respecter et construire la société de demain.
Voici peu de temps, j’ai étudié avec Céleste, en guise de révision de l’épreuve de français pour le brevet, un passage d’un roman que je n’ai pas lu « La femme gelée » d’Annie Ernaux. Dans cet extrait, la voie intérieure d’une femme née dans un milieu bourgeois raconte comment dans son couple, lentement mais sûrement, le mariage prononcé, l’enfant naissant, elle s’est retrouvée à tout faire en plus de son travail de professeur. Les réponses de Céleste étaient très pertinentes et j’en étais heureuse. Je ferai lire le texte à Louis et lui poserai les mêmes questions mais je ne suis pas très inquiète pour notre fils. Il possède cette énergie et cette générosité qui lui permettront de se réaliser dans sa vie sans oublier sa femme et ses enfants. Louis m’a déjà dit qu’il aiderait sa femme à mettre leurs enfants au monde et qu’il se lèverait la nuit pour l’aider avec les bébés.
A ma génération, nous sommes tous les petits-enfants de Simone Veil qui, née à Nice le 13 juillet 1927, ne pouvait pas deviner ce que le destin avait prévu pour elle. Elle naissait pour défendre les droits des femmes, réparer l’Europe. MERCI!
Anne-Lorraine Guillou-Brunner
Merci de ce témoignage. J’éprouve les mêmes sentiments et récemment aussi je me demandais ce qu’elle devenait. Elle avait exclu toute apparition publique depuis la mort de son mari. Je garde un souvenir aigu et douloureux du vote de la loi de 1975 et des propos immondes dont elle a été l’objet. A l’époque mon dernier enfant avait 6 ans. Simone Veil reste exemplaire.
Chère Catherine, je n’ai découvert que ce soir que vous m’aviez écrit un commentaire après la disparition de Simone Veil. J’ignorais qu’elle avait pris la décision de ne plus apparaître en public après la mort de son mari. Je ne savais pas non plus qu’elle avait du lutter pour se réaliser pleinement dans sa vie professionnelle car son mari aurait préféré qu’elle « reste à la maison ». A très bientôt, je l’espère.