Chronique sud-américaine entre Chili et Bolivie

Dans le train.jpgLes récits de la journée préhistorique et de la soirée « préparation au baptême » de numéro trois seront pour une fois prochaine. Votre chroniqueuse vous prend par la main et vous propulse dans l’autre hémisphère dix ans en arrière. Comme le couple est, entre autre chose, une incroyable association de deux richesses et que leur tour du monde était un rêve que son mari caressait depuis l’âge de vingt ans, depuis une découverte inoubliable du Vietnam dont le nord se rouvrait tout juste depuis la fin de la guerre, la maman de trois a décidé, une nouvelle fois, de puiser dans leurs souvenirs communs et de vous faire revivre une partie de leurs aventures sud-américaines grâce à sa plume à lui, une plume qui ne se trempe jamais dans l’encre de ceux qui se prennent au sérieux et sait alterner humour et gravité, couleurs et noir et blanc et de la sienne, réunies dans un mail adressé à leurs proches. Alors, sans plus tarder, laissez-vous voyager dans l’espace et dans le temps.

Anne-Lo.jpg« Que ceux qui nous croyaient disparus (version optimiste), séquestrés par des narcos trafiquants (version Paris-Match), enlevés par des habitants de l’espace (version X-files) ou morts (version pessimiste) se rassurent. Nous voici de retour sur le net après avoir survécu à de nombreuses aventures. Galanterie oblige, c’est moi qui commence le récit.

Tour du monde 025.jpgDu 20 au 25 mars, chargés comme des baudets et suivis par une légion de puces sanguinaires, nous avons crapahuté dans le parc national du volcan Villarica. Ce qui ne devait être qu’une promenade de santé, s’est mu en marche forcée: entre sept et huit heures de trekking quotidien au lieu des quatre ou cinq prévues. Pas une seule marque dans le parc, ou pour être plus prècis, une marque tous les trente kilomètres et des bâtons argentés tous les kilomètres pour indiquer le sentier. En superman et wonderwoman, nous avons volé au secours d’une jeune australienne aussi perdue que gelée au beau milieu d’une forêt de fougères géantes. Mais les paysages étaient si beaux avec les champs de lave, les lacs aux couleurs magiques, les décors lunaires et surréalistes et les forêts à la fois envoutantes et légèrement inquiétantes avec une atmosphère « sleepy hollow » que le soir, à la lumière d’un feu de camp, les yeux perdus dans la voute étoilée, nous en oublions les ampoules, les kilomètres en trop et le cavalier sans tête.sleepy hollow.jpg

San Telmo, quartier du tango (Argentine).jpgLe 26 mars, à peine remis de nos aventures, nous quittions Pucon pour Santiago dans un bus de nuit au confort plutôt précaire. Les 27 et 28, nous arpentions un Santiago à peine moins pollué que le Buenos Aires des débuts sud-américains. Stéphane se mettait à rêver de désert. Je m’épanouissais dans ce décor urbain, m’attardais dans les librairies et cherchais à deviner dans les profondeurs des rides des visages croisés les pages affreusement sombres du coup d’état militaire de 1973 et des années de plomb Pinochet.

chili02.jpgLes 28, 29 et 30, nous laissions la capitale chilienne pour rejoindre Antofagasta, ville de pêcheurs, arrachée à la Bolivie par le Chili, après la guerre du Pacifique.  Même si, assis sur une plage où les enfants disputaient une partie de foot, il  arrivait à  Stéphane de pleurer en silence au souvenir encore si vivace de violences morales subies au retour de la Nouvelle-Zélande, il respirait à nouveau, à 1300 kilomètres de la pollution citadine. Moi, dans ces moments-là, je partageais sa douleur qui venait raviver la mienne et je me demandais vraiment quel était le sens profond de ce voyage auquel je n’avais pas rêvé depuis l’âge de vingt ans.

cate-blanchett-elizabeth.jpgDans la chambre sinistre d’un hôtel assez sordide, nous suivions sur la chaîne HBO, le film « Elizabeth ». La reine d’Angleterre était incarnée avec maestria par la comédienne australienne Cate Blanchett. Dans la pièce d’à côté, des marins de passage s’égayaient avec des femmes publiques. Les portes claquaient. Des rires montaient, bientôt remplacés par des râles masculins. Elizabeth ne s’en émeuvait pas. En perdant son unique amour, elle avait, pour toujours, verrouillé son coeur à toute émotion.

San Pedro.jpgValparaiso me tentait et, surtout, j’aurais aimé découvrir la ville portuaire où Pablo Neruda avait puisé une partie de son inspiration.  Les trajets en bus sont trop éprouvants pour que nous y allions. Avec deux pour cent d’humidité, la gorge sèche et les yeux sans larmes, pas de doute, nous sommes en plein désert: l’Atacama est la zone la plus aride d’Amérique du Sud et pourtant les hommes se sont battus pour cette région. Le Chili, en remportant la guerre du Pacifique à la fin du siècle dernier, a gagné l’exploitation des mines de cuivre et des réserves de nitrate tandis que la Bolivie perdait tout accès à l’océan et se refermait sur une pauvreté déjà bien marquée. Nous trouvons refuge à San Pedro d’Atacama, petite oasis à la frontière des deux pays. La population d’émigrants européens babas cool a flairé l’arrivée du tourisme dans cette zone reculée et nous n’avons pas de mal à décrocher une petite ballade à cheval ou une sortie en VTT qui se termine au coin d’un brasero.

PowellRiver_web.jpgL’ambiance n’est tout de même pas encore au « promène-couillon » et la présence de nombreux voyageurs nous permet de lier d’amitié avec Anne et Hugues, deux français de Tahiti. Hugues s’avère être le parrain de l’un des enfants de l’une de mes vieilles amies de faculté, Juliette. Juliette et son militaire de mari, Anne et Hugues étaient en poste en Guyane où ils ont fait connaissance. Nous n’irons malheureusement jamais les voir en Polynésie.  Sur la place de l’église que Stéphane a dessinée, nous faisons, brièvement, la rencontre d’un couple de Canadiens retraités. Hank et Mary nous invitent à venir les voir quand nous serons en Colombie britannique. A Powell River, ville amoureuse du jazz où tout le monde semble chanter, ils nous ouvriront, pour trois semaines, leur maison et, à vie, leurs coeurs. (fin du mail de votre chroniqueuse)

Pause thé.jpgAnne-Lo est malade et cette fois, je n’y suis pour rien. Je n’ai pas cherché à l’empoisonner à nouveau avec de l’eau polluée par la présence massive de moutons comme sur l’île du Sud de la Nouvelle-Zélande! Peut-être (et, franchement, on se demande pourquoi!) n’a t-elle pas apprécié les soixante kilomètres de vélo à deux mille mètres d’altitude sans eau dans le désert? Je la croyais plus résistante! Passons! Alors, le premier jour, en Bolivie, un quatre avril, dans un quatre quatre, piloté de mains de maître par Florencio dont la casquette bleue porte l’inscription « no fear » avec trois Australiens et deux Américains, à la langue bien pendue, un col à 4900 mètres et le cagnard, sans oublier Madonna à plein tube, cela ne se passe pas sans quelques vertiges, envies de vomir et de découper hâché menu un pauvre mari qui croit toujours, depuis le premier jour, que sa femme n’a pas de limites, croyance en laquelle elle se plaît à le conforter! En résumé et c’est fou comme cela donne bonne conscience: c’est sa faute, sa très grande faute!

Tour du monde 009.jpgPourtant, on oublie tout face à ces paysages qui ont du peupler l’imaginaire de Salvador Dali: des lagunes salées blanches, vertes ou oranges semblent incrustées dans ces immensités minérales où des flamands roses décollent sur des fonds de volcans aux cimes enneigées. Le vent exerce ses talents de grand sculpteur et ça et là, la roche prend des formes d’arbres ou d’animaux géants qui se figent dans la nuit gelée de l’altiplano. « C’est beau comme l’antique! ». Je sais que si mon beau-père que j’ai à peine connu me lisait, c’est ce qu’il dirait!

Salar d'Uyuni (Bolivie).jpgPendant trois jours, nous croyons rêver (Anne-Lo cauchemarde pas mal et elle ne supporte plus Madonna) et avant de revenir à la réalité de la civilisation (je ne suis jamais pressé), nous terminons notre excursion bolivienne dans le salar d’Uyuni, lac salé le plus grand de la planète et réservoir mondial de lithium. Vision exceptionnelle que celle d’un miroir de 12 000 kilomètres carrés reflétant le ciel d’orage et sur lequel travaillent des hommes, des femmes et des enfants à ramasser, en petites pyramides, cet or blanc qui sera vendu à l’étranger. Nous disons adieu à l’hôtel de Sal, bâtisse iréelle construite entièrement avec des briques de sel (y compris les tables, les chaises et les lits) pour rejoindre la ville d’Uyuni et son cimetière de locomotives indiquée par Ben, notre ami anglais rencontré chez Nancy à Puerto Natales, port patagon.

Tour du monde 041.jpgLa magie de ce voyage s’estompe un peu après une nuit d’hôtel passée avec une groupe de jeunes Israéliens en voyage post service militaire obligatoire de trois ans, fêtant au-dessus de nos têtes, le début de Pessah, à grand renfort de chants martiaux rythmés par des coups de talons au sol et de cavalcades autour de la table à dos de chaise.

Encore sept heures de bus et nous arrivons à Potosi, ville incroyable située à 4700 mètres d’altitude. Nous vous quittons sur les paroles de cette chanson chilienne qui résume notre impression de ce pays et qu’Anne-Lo a trouvé à l’occasion de l’une de ses innombrables lectures:

Tour du monde 022.jpg« Un pays plein d’espoir

où personne ne croit en l’avenir

Un pays plein de souvenirs

où personne ne croit au passé

Un pays bâti sur des miracles

qui ne croit pas aux promesses

Un pays où tout le monde se connaît

mais où personne ne se salue…

Un pays où il se passe beaucoup de choses dont on nie l’existence…

Un pays où les gens naissent, vivent et tuent ».

 

AL dans loco.jpgAnne-Lorraine et Stéphane Brunner

 

PabloNeruda.jpgEncore une chose, un poème magnifique de Pablo Neruda, à lire et relire.

Il meurt lentement

Il meurt lentement
celui qui ne voyage pas,
celui qui ne lit pas,
celui qui n’écoute pas de musique,
celui qui ne sait pas trouver
grâce à ses yeux.
Il meurt lentement
celui qui détruit son amour-propre,
celui qui ne se laisse jamais aider.
Il meurt lentement
celui qui devient esclave de l’habitude
refaisant tous les jours les mêmes chemins,
celui qui ne change jamais de repère,
Ne se risque jamais à changer la couleur
de ses vêtements
Ou qui ne parle jamais à un inconnu
Il meurt lentement
celui qui évite la passion
et son tourbillon d’émotions
celles qui redonnent la lumière dans les yeux
et réparent les coeurs blessés
Il meurt lentement
celui qui ne change pas de cap
lorsqu’il est malheureux
au travail ou en amour,
celui qui ne prend pas de risques
pour réaliser ses rêves,
celui qui, pas une seule fois dans sa vie,
n’a fui les conseils sensés.
Vis maintenant!
Risque-toi aujourd’hui!
Agis tout de suite!
Ne te laisse pas mourir lentement!
Ne te prive pas d’être heureux!