Chronique autour d’une maison qui se vide

On entend souvent dire que c’est idéal d’avoir ses enfants rapprochés. Ils grandissent vraiment ensemble, franchissent des caps importants sensiblement au même âge et permettent aux parents de renouer avec une plus grande autonomie plus rapidement. Ce qu’on omet d’ajouter: c’est que les départs s’enchainent laissant parfois les parents et le dernier membre de la fratrie un peu désorientés. Notre maison a perdu la moitié de ses effectifs en deux ans. Notre aînée a quitté le nid en septembre 2021 pour mener ses études supérieures à Paris. Notre cadette a suivi en septembre 2023 et s’est installée à Reims. Avant Noël 2022, notre merveilleux compagnon quatre pattes, notre Fantôme, celui que nous avions baptisé le lion du plateau, rejoignait le paradis des animaux. Dans presque toutes mes chroniques, je l’évoquais. Il était la première personne à se réjouir de me retrouver le matin, à six heures, dans la cuisine. Il était de toutes nos promenades. Il accueillait et raccompagnait mes patientes et mes patients. Depuis, il nous manque à tous. Victoire a eu le coeur gros qu’il ne soit pas associé à ses dix-huit ans et à l’obtention de son bac. Louis aurait été heureux de pouvoir continuer à lui glisser dans le creux de ses grandes oreilles ses secrets et Céleste qu’il fasse la connaissance de son amoureux. Des patientes me confient s’attendre à le trouver derrière la porte quand elles arrivent ou au pied de l’escalier quand la séance est finie.

L’hiver n’a pas été froid mais gris et humide. Cette absence de lumière associée à un sentiment de vide n’ont pas été faciles à traverser. Depuis quelques jours, quelque chose dans l’atmosphère sent le printemps. Les arbres bourgeonnent. Le prunier nous a offert sa première fleur blanche et le prunus ses premières fleurs roses. Dans l’herbe, près du magnolia persistant ou du cerisier, les tulipes ont poussé plusieurs centimètres de tiges d’un vert tendre. Les jacinthes bleues et blanches replantées après Noël ont refleuri. La semaine passée, près du portillon, celui qui ouvre sur les champs, j’ai découvert un groupe de violettes. Je me suis penchée pour les admirer. Je n’en ai cueilli qu’une seule que j’ai mise dans un coquetier. Elle a fané mais ma mémoire en conserve le parfum.

Hier, tandis que les amoureux d’un jour ou les amoureux de toujours dînaient en tête à tête dans des restaurants autour de menus spécial Saint Valentin, Stéphane et moi regardions un film réalisé par un jeune réalisateur de 24 ans, Nathan Ambrosioni, Toni, en famille. Je n’avais jamais revu Camille Cottin jouer depuis une pièce de théâtre au festival d’Avignon, l’été 2005. Elle partageait l’affiche avec Camille Chamoux et ma soeur. Avec une amie très chère, nous avions pris le train pour aller les applaudir. Victoire, âgée de trois mois, était de l’aventure. Je me rappelle l’avoir allaitée dans le théâtre. Depuis que Camille Cottin avait accepté de devenir la « connasse » de Canal +, j’avais décidé de la boycotter. C’était en 2013. Camille Cottin campe avec beaucoup de justesse et de sensibilité Antonia, surnommé Toni, qui élève du mieux qu’elle le peut ses cinq enfants tous lycéens ou collégiens. Toni a connu son heure de gloire à l’époque de la Star Ac. Elle a pu acheter une maison et mettre de l’argent de côté pour les études de ses enfants. Elle continue de gagner sa vie en chantant dans un restaurant ou en animant des enterrements de vie de jeunes filles. Ses enfants sont très fiers de son passé d’artiste. C’est une maman qui se démène pour le bonheur et l’équilibre de sa tribu sur laquelle elle refuse de peser. Les fins de mois sont tendus. Sa mère lui en veut de ne pas avoir persévéré dans le monde du spectacle, une mère que la notoriété de sa fille narcissisait. Son mari ne peut pas lui venir en aide. Si vous regardez le film, vous saurez alors pourquoi. Son quatrième enfant et second fils ne va pas très bien. Sa fille aînée, qui redouble sa terminale, rêve d’intégrer une compagnie de danse. Ce projet effraie Toni qui la pousse à s’inscrire à l’université. Son second enfant et premier fils réalise des vidéos et a pour projet d’entrer dans une école dédiée à l’audiovisuel. Le film montre à merveille que la fratrie fonctionne comme une société en miniature. Parfois, autour de la table de la cuisine ou dans la voiture, les relations sont électriques; personne ne s’écoute. Mais, souvent, la joie et la complicité l’emportent entre les trois soeurs et leurs deux frères. A quarante-deux ans, Toni décide de donner à sa vie la direction qu’elle aura choisie: retourner à la faculté et devenir professeur.

Ce joli film m’a renvoyée loin, très loin. Plus précisément, en 1980 et à la sortie d’une série diffusée sur France 2 que j’adorais et qui avait eu un très grand succès Papa Poule. Je l’ignorais mais le scénariste, Daniel Goldenberg, avait puisé dans sa propre histoire pour écrire les deux saisons. J’avais onze ans et je me régalais des aventures de Bernard Chalette, dessinateur de profession, élevant seul dans une maison à Montreuil ses quatre enfants nés de deux unions: Julienne et Paul, Eva et Charlotte. Raconter le quotidien d’un papa célibataire et de sa joyeuse tribu était très avant-gardiste en 1980! Encore aujourd’hui, alors que les parents se partageant à égalité la garde de leurs enfants sont nombreux, les films mettent surtout en lumière des mamans seules avec leur progéniture. Le principe de la résidence alternée n’a fait son entrée dans la loi française qu’en 2002. En 2020, l’INSEE que 12% des enfants dont les parents étaient séparés vivaient en résidence alternée. Quand elle est demandée par le père, elle a 80% de chance d’aboutir. Les deux saisons montraient comment ce Papa Poule joué remarquablement bien par Sady Rebbot faisait en sorte d’accompagner ses enfants dans leur scolarité, leurs relations amicales, leur vie intime et de comprendre leurs erreurs sans les juger. Ainsi, un jour, Paul vole une cassette dans une grande surface; Julienne souhaite organiser une soirée alors que son père vient de perdre son travail; Claire risque de se faire renvoyer du collège, Julienne quitte le nid pour mener ses études supérieures. J’aimerais revoir cette série. Je ne serais pas surprise qu’elle n’ait pas pris une ride tant les sujets traités sont toujours actuels.

Les deux saisons de Papa Poule ou le film Toni, en famille peuvent-ils encore attendrir la génération pouvant avoir des enfants dans les années à venir? Après six années de baisse entre 2015 et 2020, le nombre de naissances avait augmenté en 2021 (6900 naissances en plus qu’en 2020) avant de diminuer à nouveau. Avec la naissance de 726000 bébés en France en 2022, la natalité est au plus bas depuis 1945. 5% de la population en âge de devenir parents ne souhaite pas le devenir. Plusieurs facteurs entrent en ligne de compte. Les perspectives professionnelles et économiques ne sont pas bonnes. Le pouvoir d’achat est grignoté par l’inflation. Alimentation, énergie, carburants, tout a augmenté. Ce qui se joue en Ukraine n’est pas de nature à permettre de considérer l’avenir de manière très positive. De plus en plus de jeunes femmes expriment ouvertement leur liberté de ne pas avoir d’enfant. Elles aiment la vie qui est la leur, sont rassurées de ne pas avoir à assumer un autre qu’elles-mêmes. Quand elles ont des perspectives professionnelles intéressantes, elles ne voient pas pourquoi elles devraient laisser un enfant les freiner et porter plus que leur compagnon le poids de la logistique du quotidien. Viennent aussi des considérations liées à la surpopulation mondiale et aux conséquences du dérèglement climatique. N’est-il pas préférable d’adopter des enfants plutôt que d’en avoir? Est-il raisonnable de donner la vie à des enfants quand notre planète souffre autant?

Si la famille XXL était vraiment inscrite dans mon ADN, je comprends parfaitement que le moment venu, notre trio fasse le choix en conscience d’adopter des enfants ou de ne pas en avoir. Je ressens une profonde tristesse à l’idée d’appartenir à la génération dont les enfants envisagent de ne pas connaître tous les bonheurs de la parentalité avec des enfants désirés, portés et mis au monde alors qu’ils le souhaitaient car le monde qui est notre est devenu trop effrayant. Je trouve cela terrible!

Récemment, j’ai lu un roman emprunté à la médiathèque: Et toujours les forêts de Sandrine Colette. Dans cette dystopie, l’autrice fait le récit d’un enfant, Corentin, que sa mère ne désirait pas, une mère retenue captive le temps de sa grossesse pour qu’elle ne cherche pas à se débarrasser de lui. Cette mère jamais capable de créer un lien avec cet enfant finira par le confier à une vielle dame, Augustine. Corentin et elle développeront l’un pour l’autre un amour infini. Élève très doué, Corentin quittera les forêts pour rejoindre la grande ville dont il s’enivra avec ses nouveaux amis, espaçant ses visites à Augustine. La terre se réchauffera jusqu’au moment où une catastrophe nucléaire tuera presque tous les êtres vivants à la surface du globe. Augustin, au nombre des rares survivants, n’aura de cesse de marcher jusqu’aux forêts dans l’espoir d’y retrouver Augustine. En chemin, il s’attachera à un chiot aveugle appelé l’Aveugle. Ils ne se quitteront plus. L’autrice a su admirablement bien traduire cette atmosphère de fin du monde, les terres rendues incultes, la cendre qui recouvre tout, l’horizon gris sur lequel le soleil ne se lève plus, la capacité de la nature à se régénérer et des hommes à faire résolument le choix de la vie. Peu de temps avant, j’avais lu Les terres animales de Laurent Petitmangin. Là aussi, il était question de catastrophe nucléaire mais à une moindre échelle et du choix fait par une poignée d’individus de ne pas quitter la zone exposée aux radiations.

Deux lectures qui se mariaient bien avec cet hiver gris et humide, au plateau détrempé, aux semelles de nos chaussures de randonnée charriant petits cailloux blancs, mottes de terre et feuilles brunes d’automne. Ce matin, lors de notre marche, nous avons constaté que la cane solitaire avait trouvé un compagnon. Deux autres couples avaient aussi élu domicile dans la mare. Tout ce petit monde trouve refuge sous la cabane des pêcheurs. Dans quelques semaines, les trois couples seront les parents heureux d’une grande famille de canetons.

Bonne fin de semaine et à bientôt,

 

Anne-Lorraine Guillou-Brunner

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