Partir à la campagne le vendredi soir et rentrer, si possible, avant que les axes routiers soient saturés, que les embouteillages ne transforment en déjeuner de soleil les moments exquis passés sous les tonnelles, dans les transats, les pieds dans l’herbe, que la mauvaise humeur gagne un habitacle dans lequel on chantonnait tout en mâchouillant la tige d’une pâquerette, c’est plutôt un concept citadin. Inversant la tendance, elle, elle se verrait volontiers transhumant dans l’autre sens, tournant le dos au sud, aux champs, aux chasseurs faisant sortir des bois des biches affolées et trouvant à se nicher au cœur de la grande ville.
Deux mois sans voir mamie et papi, c’était trop long pour les enfants, alors la famille s’est décidée à fermer la maison pour deux jours et à prendre la direction de la Dombes. Le dimanche soir, dans la voiture, si numéro trois avait du mal à trouver le sommeil, tout le monde était ravi de son week-end, de cette pause estivale dans les colonnes du calendrier dédiées à l’automne, de ces moments d’échange en famille.
La valise rouge est bouclée. La niche et le sac de croquettes de la grosse boule de poils sont déjà dans le coffre. Les enfants ont fait leurs devoirs pour lundi. Des serviettes de table propres ont été substituées aux sales à partir desquelles on peut recomposer les menus de la semaine écoulée. Les cahiers de correspondance sont signés. Un au revoir à Sucrette, le poisson rouge, et la voiture s’élance sur la petite route ouverte entre les champs. A vingt heures passées de quelques minutes, la nuit continue de tomber. Un beau croissant de lune se lève au-dessus de la ligne d’horizon. Les chansons de l’album « Lusofonia » de Maria Teresa sont comme une invitation au voyage ou au sommeil. Le trio s’endort très vite et tandis qu’un papa se concentre sur la route, une maman se laisse partir pour Lisbonne et Mindelo. Elle revoit le port de cette île cap-verdienne, dernière étape avant la traversée de l’Atlantique jusqu’aux rives du Brésil ou des Antilles. Elle se rappelle comme les enfants s’amusaient de les voir reconstituer leur canoë entièrement démontable et étaient heureux de les aider.
Quand ils arrivent, le thermomètre affiche douze degrés. L’humidité est tombée. Le trio est ravi de retrouver la chambre d’enfants. Chacun replonge dans le sommeil avec un magnifique sourire dessiné sur le visage. La boule de poils trouve vite ses marques. Toute la maison se fond dans l’obscurité.
Six heures et demie. Le soleil dort encore. Les pas d’un petit bonhomme de presque quatre ans font chanter les marches de l’escalier. La porte de la chambre s’ouvre. Le petit garçon n’a plus sommeil. Si on le remet au lit, il réveillera ses deux sœurs. Parfois, la coupe du monde de rugby, cela peut présenter, pour une maman, de sacrés avantages. En voici un : puisque le quinze de France rencontre les joueurs du Tonga à sept heures, un papa glisse à sa femme : « repose-toi encore. Je me lève ». Ce père, amoureux de l’ovalie, a de la chance. Sa mère est debout et elle va veiller sur le trio tandis qu’il pourra se désoler devant le jeu tricolore. Quand la maman émerge à son tour, le match n’est pas tout à fait achevé mais la messe est dite. Près de la piscine, sur les longues planches de bois, le marabout, imaginé avec des outils recyclés, affiche sa mine des mauvais jours. Les nappes de brouillard s’accrochent aux champs humides. Le soleil lutte pour faire valoir ses droits. Dans le salon, le papa est dépité. Dans la cuisine, une mamie est entourée par ses trois petits-enfants. Numéro un écrit à la peinture sur des boites métalliques. Numéro deux fait courir Rose, son écureuil zhu zhu pet, dans sa roue. Numéro trois propulse l’un contre l’autre ses deux nouveaux transformers. Le contenu de la boite de légos a été renversée sur le dessus de la table et chaque enfant a élaboré une voiture ou une maison.
Les deux jours s’écoulent dans la douceur d’une impression d’été dont on n’a pas vraiment récolté tous les fruits quand c’était la saison. Les enfants passent de la piscine à la douche et de la douche au trampoline. La maman, lasse de leur répéter de mettre des souliers, renonce et ils vont nus pieds et en maillots aussi longtemps que la chaleur du soleil les y autorise. Les enfants décrivent des cercles tout autour de la maison avec leur vélo. Dans le potager, ils ramassent les dernières fraises, petites mais incroyablement sucrées. Ils se délectent également de tomates cerises et numéro deux réussit à trouver quelques framboises. Le soir, ils mangent les dernières salades. Le potager va s’endormir. Les feuilles des fraisiers sont déjà sèches et rouges.
Quand ils ne sont pas dans l’eau avec les enfants, les parents paressent au soleil. Le « Courrier international » paternel n’est jamais loin. Quand elle ne lit pas, la maman ferme les yeux et se concentre sur les rires des enfants qui sont telles des bulles de champagne, des feux d’artifice. On voudrait qu’ils rient comme ça toujours, que rien ne vienne entamer leur confiance, leur gaieté, leur insouciance, leur capacité à vivre le moment présent. Fidèle à son habitude jusqu’au-boutiste, une mamie tente de venir à bout d’un livre qui, pourtant, ne lui plait pas. Un papi rassemble en petits tas les premières feuilles d’automne.
Dans le champ voisin, des centaines de poules blanches évoluent en liberté. Parfois, l’une ou l’autre passe la haie de fils barbelés pour voir si, de l’autre côté, l’herbe est plus verte. Quand la grosse boule de poils découvre qu’une poule se promène dans le jardin, il fond sur elle. Il ne cherche pas à la manger, à lui faire du mal. Il veut seulement s’amuser. Les enfants qui ont entendu les cris
de la poule se précipitent en direction des adultes. Ils veulent sauver la poule. Le papa disparaît dans un parterre de cosmos. Il en ressort avec la poule. Dans la bataille, elle a perdu toutes ses plumes mais elle est toujours en vie. Elle rejoint ses congénères sous l’œil désabusé du berger australien.
On voudrait pouvoir croire que l’été est vraiment revenu mais la nuit arrive si vite, elle tombe avec une telle brutalité qu’on est obligé de se rappeler qu’on est déjà le premier octobre. Impossible de dîner sous l’auvent. Obligation d’allumer les lumières pour y voir clair. La nuit a tout envahi avec la même rapidité qu’aux Antilles.
Le dimanche soir venu, c’est à regret que les enfants quittent la maison de leurs grands-parents. Les au revoir durent. On se promet de se retrouver vite. Près de la piscine, le grand marabout aimerait pouvoir leur adresser un salut de sa grande aile. Le portail se referme. La maison renoue avec le calme. Quelques jeux d’enfants traînent encore ça et là, petites traces du passage du trio.
La voix de Maria Teresa accompagne leur retour à la maison. La maman essaie de trouver un moyen d’arrêter les petits cris de Rose, le zhu zhu pet de numéro deux. Faute d’y arriver, elle l’installe sur ses jambes et il ne bronche plus. Dans le ciel encre de Chine, la grande ourse ne lui a jamais paru aussi proche.
Anne-Lorraine Guillou-Brunner
J’adorrrrre ces mots…
« les rires des enfants qui sont telles des bulles de champagne, des feux d’artifice. On voudrait qu’ils rient comme ça toujours, que rien ne vienne entamer leur confiance, leur gaieté, leur insouciance, leur capacité à vivre le moment présent. »
Plume vivante, envoûtante, un régal !
Bises et excellentes vacances !