Chronique polluée

 

angelus.jpgNous l’avons tous incrustée profondément dans les sillons de notre inconscient collectif l’image d’Epinal du parfait petit village français bien planté dans les sabots de la ruralité ! Ce petit village français avec sa place centrale flanquée de son église, de sa boulangerie, de sa boucherie-charcuterie et de son bar-tabacs fleurant bon, encore, le marc de café et le tabac à priser ! Un bar-tabacs comme celui que tenait notre mamie bretonne, la seconde femme de notre grand-père paternel. Ce petit village français avec sa mairie, son cimetière, son monument aux morts et ses plates bandes de tulipes, de pensées ou de jacinthes. Les heures s’y égrenaient au rythme des cloches rappelant l’angélus le matin, à midi et le soir. Alors, comme dans la toile de Millet, la vie aux champs s’arrêtait et on priait Marie pleine de grâce de prier, justement, pour le salut des pauvres pécheurs maintenant et jusqu’à l’heure de leur mort. Une mort qui venait à son heure, qu’on attendait sans trop de peur car, dans ce petit village français, le dernier souffle s’exprimait depuis son lit et on était entouré. Même si on a toujours entendu dire qu’on mourait seul, cela fait une sacrée différence quand, dans les faits, une main aimée, une main amie, une main consolante serre la nôtre en ce dernier instant. Dans ce petit village français, le médecin de famille appelé au chevet du mourant ne pensait pas à le sédater, à l’endormir pour qu’il ne se sache pas mourir. Non, dans ce petit village français, on appelait le curé qui venait entendre le mourant en confession et le libérer du poids de ses péchés. Le mourant était dans une totale conscience de la fin à venir.

 

SenanesAuFleau.jpgTout autour de ce petit village français, on trouvait des fermes plus ou moins grandes et les bêtes, les terres, les mares, les bois et les rivières qui allaient avec. Certains avaient la chance de posséder leurs terres. D’autres les exploitaient pour le compte des propriétaires. Il n’y avait pas encore de coopératives agricoles, de machines de fabrication hollandaise ou américaine à rembourser, de calcul de rentabilité. On ne pratiquait pas une agriculture intensive. On pratiquait l’entraide. Au moment des récoltes, les familles s’épaulaient. Dans le Finistère sud, par exemple, dont on sait à quel point il était pauvre et coupé du reste du pays, les hommes battaient encore le blé au fléau à la fin de la seconde guerre mondiale. Les fêtes de la saint Jean étaient magiques ! Si on avait travaillé dur, du lever du jour jusqu’au coucher, on savait s’amuser, chanter et danser. Dans les fermes, on tuait le cochon qui nourrissait, des oreilles à la queue en passant par les pieds sans oublier les litres de sang, une famille pendant plusieurs mois. Les cris du cochon, avant qu’il ne soit offert à la lame de son bourreau, ont traumatisé des enfants sur plusieurs générations dont notre père quand il allait rendre visite à sa marraine qui vivait dans une ferme. A l’adolescence, on faisait son éducation sexuelle en regardant les animaux s’accoupler. La vision de l’étalon prenant d’assaut la jument avait de quoi effrayer les jeunes filles et jeter le trouble dans l’esprit des jeunes garçons !

 

agro8agriculture-pesticides.jpgJusqu’à la fin de la seconde guerre mondiale, partout en France, on trouvait les mêmes petits villages et le même mode de vie rurale. On n’avait pas besoin de penser commerce de proximité ou tri sélectif. Tout était produit sur place et peu de choses ne rentrait pas après leur usage dans un nouveau cycle de vie. Et puis, assez vite, les choses ont changé. On a pensé progrès, rentabilité, confort, sécurité. Les inventions de Fritz Haber, chimiste allemand, ayant obtenu le prix Nobel en 1918, sont passées directement des tranchées de la Grande guerre aux céréales levant dans les champs de nos petits villages français. Le procédé ayant permis à Fritz Haber de fabriquer le gaz moutarde a été utilisé pour la production d’engrais. De la même manière, son invention du Zyklon B a servi d’insecticides pour décimer les ravageurs de semences et de cultures. Fritz Haber était juif. Il est mort en 1932 et n’a donc pas su que le régime nazi utilisait le Zyklon B dans les chambres à gaz. Poussée par la PAC, les agriculteurs se sont lancés dans une politique de remembrement des exploitations. Il a fallu investir dans du matériel très coûteux, contracter des emprunts et produire de plus en plus et à un prix de plus en plus bas pour satisfaire les géants de la grande distribution. La folie a gagné tout le monde. Toute la pyramide a été contaminée des producteurs aux consommateurs. Grand pays agricole, la France est devenue le troisième consommateur mondial d’engrais et de pesticides et le premier en Europe avec quelques 63 700 tonnes de substances actives. Dans la région Centre, plus grande région céréalière en Europe, ce sont 35 000 tonnes de produits chimiques qui sont épandues chaque année sur 72% du territoire régional. Cette utilisation massive d’engrais et de pesticides a tout pollué : l’air que nous respirons. L’eau que nous buvons et tout ce que nous avalons. Tous les organismes concernés par la protection de l’environnement recommandent la consommation d’eau en bouteille. Bien après leur interdiction, certains produits chimiques reconnus comme dangereux pour l’homme et son environnement continuent à apparaître dans les échantillons d’eau prélevée. La pollution est durable. Dès qu’un produit est retiré du marché, un autre le remplace !

 

livre-rabhi_0.jpgEn 2015, tout le monde le sait : l’exposition prolongée aux engrais et aux pesticides peut avoir un impact sur la santé. Chez les agriculteurs, on note un pourcentage plus élevé de cas de Parkinson et de cancers de la thyroïde. Mais, dans le monde rural, ce sujet reste encore tabou. C’est l’omerta ! L’agriculteur malade qui cherche à mettre en garde ses collègues, à les faire réfléchir sur d’autres manières de travailler leurs terres se retrouve ostracisé. Il est difficile de vouloir repenser son organisation de travail quand on a des prêts en cours, des taux de rendement à tenir et un certain niveau de vie. Tout le monde ne se sent pas l’envie, la force de tenter l’aventure d’un Pierre Rabhi.

 

se-convertir-a-lagriculture-biologique-dvd.jpgAujourd’hui, on distingue cinq manières de pratiquer l’agriculture : elle peut être intensive, raisonnée, à bas niveau de pesticides, intégrée ou encore biologique. Autour de chez nous, dans la région Centre, la plupart des agriculteurs sont en agriculture raisonnée et très peu en agriculture biologique mais on note une progression des exploitations en conversion vers du biologique.

 

Tistou.jpgEn milieu de semaine dernière, en poussant les volets de la chambre vers six heures du matin, j’ai été assaillie par une odeur effrayante. Je me suis vue à hauteur de Feyzin, sur l’autoroute du Sud, l’autoroute des vacances. Cela sentait si fort l’industrie pétrochimique que je n’ai pas pris le risque de polluer l’air de notre chambre. Dans le champ, un tracteur arrosait à qui mieux mieux les jeunes pousses. L’odeur a persisté plusieurs jours et, sur la route, on pouvait observer ces petites billes blanches qui ressemblent à des grains de sel et finissent par fondre en laissant des traces grasses sur le bitume. Notre maison est vraiment presque tout à fait cernée par les champs. Depuis de longues années, nous avons renoncé à avoir un potager. Quel plaisir à semer,  planter, prendre soin, voir pousser, arroser, ramasser et  manger des légumes, des herbes et des fruits rouges qui sont bourrés d’engrais et de pesticides ? Franchement, il n’y en a aucun ! Ce jour-là, j’étais et sombre et en colère. Je pestais contre cette campagne polluée par l’homme, ces producteurs convertis au veau d’or, ces consommateurs irresponsables qui continuent à vouloir manger des framboises et des fraises au cœur de l’hiver et ne regardent jamais la provenance de ce qu’ils achètent ou la composition des produits mais seulement son prix au kilo !

 

potager.jpgLes enfants étaient heureux quand nous avions un petit potager et nous, parents, nous avions plaisir à les voir tirer sur la queue des radis et des carottes et couper les salades. Je suis triste de voir que ce petit bout de campagne est pollué par une agriculture encore bien peu raisonnée. Si nous avons la chance de ne pas vivre à côté d’une exploitation porcine dont les Bretons vous diront les ravages et les odeurs pestilentielles, nous avons le privilège de compter sur notre petit village français une cuve de méthanisation qui exhale un parfum absolument révoltant ! La méthanisation consiste –je cite la définition donnée par le Ministère de l’écologie, du développement durable et de l’énergie- en un traitement de déchets ou de matières organiques fermentescibles en l’absence d’oxygène (en milieu anaérobie). Contrairement au compostage, ce procédé ne s’accompagne pas d’un dégagement de chaleur, et la température nécessaire au traitement, généralement autour de 38°C, résulte d’un apport extérieur de chaleur. De manière un peu moins scientifique et enrobé, disons que ce procédé permet d’utiliser les déjections des animaux dont les bouses de vache pour fabriquer des engrais. On n’est pas très loin de l’idée géniale qui consista à donner à manger aux animaux leurs congénères réduits en poudre ! Heureusement, dans ce procédé jugé écologique et durable, on ne risque pas de contracter la maladie de Creutzfeld-Jakob mais, tout au plus, de ne pas dîner sur sa terrasse en été ou de faire un tour de vélo en apnée !

 

quimper_faience.jpgPour ajouter à ma colère, il y a eu le premier tour des élections départementales. Pleine d’espérance, dimanche matin, après avoir renoncé à une exposition de 48 heures à une dose massive de particules fines à Paris, j’accompagnais mon mari au bureau de vote. Nous avions laissé quatre enfants à la maison et Fantôme caracolait en tête librement jusqu’à ce que nous repérions des hommes oranges encerclant un bois où, presque tous les jours, j’ai le bonheur de surprendre des chevreuils et des biches. Ces hommes étaient plantés là comme nos petits villages français le sont dans les sabots de la ruralité. Même de très loin, j’en devinais un qui nous jetait un regard mauvais car nous n’avions pas dans l’idée de renoncer au chemin rigolo. Le chemin tout cabossé que j’empruntais le matin avec les enfants pour les conduire dans leur première école, de la maternelle au CP ou CE1 selon les cas. Devant le bureau de vote, Fantôme avait clairement plus de succès que les candidats des affiches. La dame qui me succédait avait un nom breton et des yeux de la couleur des myosotis. Je n’ai pas pu m’empêcher de lui demander d’où elle venait. Elle était née à Quimper. En plein dans le mille ! La Bretagne, la vraie et tant pis, Maryvonne, ma chère marraine, si tu me lis et que tu ne pourras pas t’empêcher de penser que si Quimper est magnifique, Vannes l’est encore plus…

 

Violette.jpgLe soir venu, avant de me plonger avec délice dans le nouvel opus des aventures du commissaire Adamsberg et de toute sa brigade (elle a été dure avec ses inconditionnels Fred Vargas. Elle nous a fait attendre quatre ans. L’archéozoologie médiéviste avait mis l’auteur de polar en sommeil. ), j’ai voulu connaître les résultats du premier tour. Les quelques 50% de votants qui s’étaient rendus aux urnes avaient voté en premier lieu pour le FN. Même si, en bientôt 10 ans ici, je me suis habituée à ce que le petit village plébiscite l’extrême-droite, cela m’a mise vraiment en colère. Je me suis demandée comment dans ce petit village du Loiret, bien blanc, bien chrétien, on pouvait avoir si peur des étrangers, de l’autre car je ne suis pas certaine qu’il s’agisse ici d’un vote contestataire. Si je n’avais pas quelques rares mais très bons amis ici, une merveilleuse filleule, l’impression d’une sorte d’acceptation assez vague de mes différences, un cabinet et deux enfants sur trois très attachés à leur vie à la campagne, je partirais. On aurait tort de penser que je n’aime pas la campagne car j’y ai vécu deux années. La première à côté d’un village dans la Sarthe. J’étais en sixième et la seconde année dans un hameau de semi-montagne dans le Tarn. J’étais en terminale. Je n’avais aucun poster accroché sur les murs de ma chambre mais, de ma fenêtre, une vue imprenable sur la Montagne noire. J’aime la nature quand elle se réveille et quand elle s’endort. J’aime observer le pic-vert accroché au tronc du bouleau argenté. J’aime surprendre les chevreuils et les biches. J’aime pouvoir pousser la petite porte au fond du jardin et partir sur mon vélo à travers champs.

 

methanisation.pngCe que je n’aime pas ce sont les épandages d’engrais et de pesticides, les odeurs de bouses de vache en décomposition, quelques regards encore suspicieux, le bruit des tondeuses, les prises de bec de part et d’autre d’une haie mitoyenne et, bien sûr, que notre chat ait été tué.

 

IMG_20150321_075507.jpgJuste avant de retrouver le commissaire Adamsberg, Danglard, Retancourt et tous les autres membres de la brigade entre les pages des « temps glaciaires », je me suis demandée pour qui la jolie vieille dame qui avait ouvert de beaux yeux myosotis à Quimper avait voté.

 

 

 

AL Colza.JPGAnne-Lorraine Guilou-Brunner