Chronique autour des effets dans le temps de la seconde guerre mondiale

Chaque personne appréhende l’Histoire en fonction de l’histoire de sa famille. Si je ne peux pas regarder un enfant marcher seul sur le chemin de l’école, avec son cartable toujours trop lourd sur le dos, sans sentir que l’émotion me submerge, c’est parce que, dans cet écolier, je crois voir notre maman à laquelle la guerre a tragiquement volé son papa et qui détestait l’école. Son papa disparu dans la nuit et le brouillard, c’est son grand-père maternel, ancien proviseur de grands lycées français, qui lui tenait fermement la main sur le chemin de l’école. Même si notre maman aimait profondément son grand-père chez lequel elle vivait avec sa grand-mère et sa maman, elle se sentait différente des autres petites filles de son âge et en souffrait.

Récemment, j’ai été replongée dans le climat de la seconde guerre mondiale et des effets qui perdurent encore aujourd’hui par la lecture de l’un des romans d’Ariane Bois « Le monde d’Hannah », la série suisse « Le prix de la paix » diffusée par Arte et la restitution à venir à ses ayants-droits de la seule toile de Klimt que possédait la France. Dans « Le monde d’Hannah », Ariane Bois dont j’aime beaucoup les romans raconte l’amitié fusionnelle entre deux petites filles à partir d’octobre 1939. Les deux enfants vivent dans ce qu’on nommait la « Petite Istanbul », un quartier populaire du onzième arrondissement de Paris. Cette « Petite Istambul » était également composée d’Ashkénazes ayant fui l’antisémitisme polonais mais aussi d’Espagnols, d’Italiens et de quelques familles françaises modestes. Suzon est une enfant pleine de vie, n’aimant pas l’école et dont le père a réussi à force de travail à occuper un poste important à la STCRP. Hannah est née d’une mère roumaine ashkénaze et d’un père turc séfarade. Les parents possèdent une boutique où l’on vend à la fois des torchons et des chemises de nuit, des serviettes et des soutiens-gorge. Hannah est une élève brillante et, comme souvent les enfants uniques, d’une nature sage et réservée. Elle met tout en oeuvre pour aider Suzon en classe et l’éveiller au plaisir de la lecture. Suzon, elle, préfère faire du vélo avec ses frères, épier les garçons, manger des glaces et lézarder au soleil.

Grâce à Ariane Bois, je découvre que la communauté juive séfarade a quitté le Portugal et l’Espagne au quinzième siècle pour s’installer dans l’empire ottoman. J’apprends également que des diplomates turcs ont réussi à organiser le retour en Turquie de Juifs pendant l’Occupation. Ce sont douze trains qui ont pu quitter la gare de l’Est pour gagner Istanbul. Dans ces trains, seuls deux wagons étaient réservés aux citoyens turcs juifs. Le père d’Hannah dont la famille bourgeoise vit très heureuse à Istambul réussira à faire monter sa femme, Cécile et leur fille dans l’un de ses trains. Elles ne reviendront à Paris qu’après la fin de la guerre.

Le père d’Hannah se fera un devoir d’aller servir la France quand l’armée ne lui demande rien. Le père de Suzon signera les documents permettant l’utilisation des bus de la STCRP pour envoyer à Drancy les familles raflées en 1944. Le roman s’achève un peu après 1968. L’amitié d’Hannah et de Suzon survivra à l’horreur.

Dans la série suisse, « Le prix de la paix », on découvre le rôle joué par ce pays pendant et après la seconde guerre mondiale. Pendant la guerre, les banques suisses reçoivent une grande partie de l’or volé par les nazis aux familles juives. Sans le soutien des banques suisses, dés 1942, Hitler n’aurait plus eu les moyens financiers de poursuivre la guerre. A partir de la même année, le passage de familles juives à la frontière suisse s’avère très dangereux. En effet, les militaires en charge de la frontière ne voient pas d’un bon oeil l’arrivée de ces familles dans leur pays et les règles d’accueil se durcissent et peuvent changer d’un jour sur l’autre exposant celles et ceux qui tentent d’échapper à la déportation à un refoulement et à une arrestation dans leur pays d’origine, la France, les Pays-Bas ou la Belgique.

La série qui contient six volets raconte l’histoire d’une famille d’industriels à la fin de la seconde guerre mondiale. Klara, la fille unique de cette famille fortunée, institutrice de formation, décide de devenir monitrice dans le centre de la Croix-Rouge qui accueille des garçons ayant survécu à l’enfer de Buchenwald. Ces jeunes, essentiellement polonais, ont souvent perdu tous les membres de leur famille exterminés par les nazis. Très vite, on réalise que l’accueil de ces jeunes rescapés est une opération de communication de la Suisse qui cherche à retrouver une place à la table des nations européennes. En réalité, personne ne souhaite que ces jeunes puissent s’établir en Suisse pour y envisager leur avenir. Klara vient de se marier à Johann qui succède à son beau-père au poste de directeur de l’entreprise textile. Johan est jeune, plein d’allant et il souhaite engager la fabrication de l’usine vers les fibres textiles comme le nylon pour les bas. Il a besoin de fonds pour réussir. Il va se retrouver piéger par l’oncle maternelle de sa femme, avocat d’affaires et un ami proche de ce dernier également avocat. Le frère de Yohann, Egon, policier, se bat de son côté pour démasquer d’anciens nazis dissimulés en Suisse.

Cette série, remarquablement bien interprétée, a le mérite de nous faire découvrir l’histoire de la Suisse sous un jour qu’on ne connaît pas. Tandis que nous suivions les épisodes de la série, je me documentais sur le rôle de la Suisse pendant et après la seconde guerre mondiale. Derrière les vaches à grosses cloches rutilantes, les montagnes, les lacs intérieurs et les montres de précision se cache une histoire sombre dont les chapitres sont dissimulés dans des comptes en banque. En 2020, deux Argentins triant des vieux papiers dans un bâtiment situé non loin du palais présidentiel de Buenos Aires ont découvert, tout à fait par hasard, la liste de 12000 noms de sympathisants nazis installés en Argentine, dans les années 30. Cette découverte a permis de comprendre leurs liens avec des comptes bancaires en Suisse qui servaient à financer le régime d’Hitler.

On savait qu’après la seconde guerre mondiale, un nombre important de nazis avait fui en Amérique du Sud mais, avec ce document, on mesure à quel point l’Argentine a servi de base arrière au régime d’Hitler. Grâce aux informations contenues dans cette liste, on peut percer les mystères du circuit du financement. Il s’agissait déjà d’évasion fiscale. L’argent circulait dans les deux sens. Côté argentin, on finançait les caisses d’Hitler et des entreprises allemandes comme l’IG Farben fournissant le gaz Zyklon B, utilisé pour l’extermination massive des Juifs. Côté allemand, on plaçait l’argent volé aux familles juives en Argentine via la banque Schweizerische Kredit Anstalt, devenue plus tard le Crédit Suisse.

Il semblerait qu’une grande partie de cet argent volé dorme encore dans les comptes du Crédit Suisse, comptes en partie gelés après la guerre. Selon le centre Simon Wiesenthal, chargé de lutter contre l’antisémitisme et de traquer les anciens nazis, la somme serait colossale: 35 milliards d’euros. Le directeur du centre a écrit au Crédit Suisse pour demander l’ouverture des comptes. L’argent ne représente qu’une partie de la spoliation dont la communauté juive a été victime. Il y avait également les oeuvres d’art. En France, de 1940 à 1944, l’hôtel Drouot organise des ventes aux enchères portant sur les oeuvres volées à des familles juives. Il est très difficile de savoir avec précision combien d’objet d’art ont été volées mais une estimation donne le chiffre de 100 000 oeuvres parties pour l’Allemagne. 60000 seraient revenues et 45000 auraient été restituées après la guerre.

Il s’avère très complexe pour les héritiers d’obtenir la restitution de biens volés car il faut pouvoir en retrouver la trace, que les objets peuvent avoir changé de propriétaire à plusieurs reprises et avoir été acquis en toute bonne foi. Le film « La femme au tableau » retraçait le combat mené par Maria Altmann pour récupérer auprès du gouvernement autrichien les toiles de Klimt qui faisaient partie de la collection de sa famille et avaient été confiées au musée du Belvédère de Vienne. Parmi ces toiles, « La femme en or », portrait de sa tante. Avec l’aide d’un jeune avocat, descendant du compositeur Arnold Schönberg, elle obtiendra gain de cause 65 ans après le vol des toiles.

Le gouvernement français va restituer aux ayants-droits d’une famille juive autrichienne spoliée en 1938, une oeuvre de Gustave Klimt conservée au musée d’Orsay. C’est la première fois qu’un tableau d’un musée dont la nature est inaliénable va sortir des collections publiques. Cette toile intitulée « Rosiers sous les arbres » avait été acquise par Victor Zuckerkandl, collectionneur viennois réputé, mécène et ami de Klimt. C’est Nora Stiasny, nièce du collectionneur, qui avait hérité de la toile.

En août 1938, Nora Stiasny, âgée de 40 ans, persécutée en tant que juive, ruinée par « l’aryanisation des biens », doit se plier à une vente forcée pour une somme dérisoire, six à cinquante fois inférieure à sa valeur. La personne qui se cache derrière cette spoliation est un ancien amoureux de Nora, l’artiste Philipp Haüsler, ayant, dés 1933, adhéré au parti nazi. Nora, son mari et son fils meurent en 1942 en Pologne, au ghetto d’Izbica ou dans le camp de Belzec.

Que feront les héritiers de cette toile? Maria Altmann avait vendu « La femme en or » à Ronald Lauder, magnat des cosmétiques et grand collectionneur. La toile est désormais exposée dans la galerie Neue à New-York, selon la volonté de Maria Altmann.

Doucement, le soleil se laisse aspirer par la ligne d’horizon. Quelle magnifique journée! Dans les bois, des tapis de petites fleurs blanches et jaunes.  Le chat s’est fait un ami: le chat roux de notre voisine. C’est si drôle de les voir jouer dans le jardin! Ce matin, à six heures, le chat roux attendait Cookie derrière la baie vitrée. Fantôme, de son côté, n’apprécie pas du tout de voir un intrus sur la terrasse.

Plus de série à suivre. Plus de livre en réserve. Samedi, j’irai faire mon marché à la médiathèque. J’aimerais beaucoup trouver le livre autobiographique de l’historien Pierre Nora.

A bientôt,

Anne-Lorraine Guillou-Brunner

 

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