Chronique à l’approche du printemps

Au-dessus du plateau, le soleil se fait discret, les averses nombreuses et le froid encore persistant. Chez Muguette, le magnifique camélia rouge voit ses boutons tomber avant qu’ils aient pu se développer pour rejoindre la chevelure de l’héroïne d’Alexandre Dumas. Une patiente m’a écrit que le gel avait eu raison de la floraison de son magnolia. Muguette ne fait rien dans son potager si ce n’est arracher des mauvaises herbes, du « vert » pour le donner à Coco et à ses dames. Le portillon en bois a joué. Il se couvre de taches de mousse orange. Il devient moins facile de prendre la clé des champs.

Lundi, alors que Fantôme et moi étions chez Muguette, elle m’a raconté qu’autrefois, dans les fermes, le matin du vendredi saint, on ramassait tous les oeufs et que le dimanche de Pâques, on les faisait cuir pour en manger un dur à jeun. Cela devait éloigner les maladies pendant un an. Je n’avais jamais entendu parler de cette coutume. Muguette me disait qu’elle s’y pliait quand elle était fille de ferme mais, qu’au fond d’elle, elle trouvait cela assez ridicule. Si Muguette connaît tous les dictons liés aux saisons et à la vie dans les potagers et les jardins, elle n’a aucune superstition. Quand nous surprenons Muguette chez elle les après-midis, nous la trouvons toujours assise sur son trop grand canapé noir avec Pépette sur ses genoux. Elle suit tous les jours avec passion l’émission « Affaire conclue » qui doit lui rappeler tous ces dimanches matins passés à écumer les étals des brocanteurs avec son mari. La maison de Muguette regorge de vieux objets. J’aime tout particulièrement sa collection d’assiettes anciennes et tous les instruments agricoles.

Avec ces températures basses, Muguette continue de débiter du bois sur son billot, dans le hangar. Le poêle Morvan diffuse toujours une chaleur agréable. On entend les bûches gémir. Ses doigts la trahissent de plus en plus souvent. Ils ne parviennent plus à appréhender les choses correctement. C’est comme ça que, récemment, Muguette a cassé un bocal en verre contenant des lentilles du Puy. Elle souffre de la maladie de Dupuytren. Inutile d’envisager l’opération…

La maison aura été étonnamment calme cette semaine. Aucun enfant en distanciel. Depuis la reprise d’un enseignement hybride, l’une des filles a ses cours en visio toutes les deux semaines. Dés lundi, c’est Céleste qui sera avec nous et devra réviser sagement en vue de son bac blanc de philo. Pour Céleste et tous les futurs bacheliers, ce sera la première expérience d’une épreuve écrite de quatre heures. Le plus dur: éviter le hors-sujet et savoir gérer son temps. Les conseils de classe du deuxième trimestre s’achèvent. Pas fameux en visio. Le 6 avril, les voeux formulés sur Parcoursup seront verrouillés et les dés jetés. Ensuite, il faudra s’armer de patience avant que les premiers résultats commencent à arriver. Cette période n’est pas très agréable. Certains jeunes se retrouveront sans rien. D’autres s’inscriront par défaut dans une filière pour laquelle ils n’ont pas d’appétence. D’autres encore ne seront fixés qu’à la dernière minute et, alors, ce sera la course après un point de chute dans une ville que, très souvent, on ne connaît pas. En ce moment, j’envie nos amis qui habitent des grandes villes et dont les enfants n’auront pas à quitter le nid à dix-huit ans.

Sur mon bureau, les deux lettres que Sophie m’a écrites et auxquelles je n’ai pas encore trouvé le temps de répondre. Grâce à Sophie, j’ai appris que l’écriture portée sur la devanture d’un estaminet parisien que j’avais pris en photo et partagé sur Instagram s’appelait « la ronde ». Cette écriture m’écrit Sophie « était enseignée à l’école selon la méthode établie dans l’Encyclopédie de Diderot et d’Alembert ». Elle a perduré jusqu’au vingtième siècle. Les belles écritures m’ont toujours fascinée. J’aurais aimé savoir tracer des pleins et des déliés avec un stylo-plume. A chaque fois que j’utilise un stylo-plume, j’ai l’index et le majeur de la main droite verts, mauves ou noirs.

Voici de longues années, j’avais accompagné la classe de Céleste à une sortie scolaire au musée d’école Fernand Boutet. Les enfants avaient pu découvrir comment se déroulait la classe à l’époque de leurs arrière-grands-parents ou de leurs grands-parents. Il y avait le poêle à bois qui à la fois chauffait la classe mais permettait aussi de réchauffer les repas apportés par les écoliers. Les enfants avaient écrits quelques mots sur une feuille avec une plume trempée dans un encrier. Cette même année, je me rappelle avoir aussi accompagnée la classe visiter le musée de la préhistoire à Nemours. Les ateliers avaient passionné les enfants. Nous avions pique-niqué dans la forêt. Une belle journée!

Depuis plus d’un an, plus de sortie scolaire, plus de voyage et parfois même plus de sport. J’ai pu constater sur notre fils combien le manque de sport pouvait être compliqué. Heureusement, à la campagne, il peut plus facilement se défouler que des enfants grandissant entourés par de hauts murs de béton.

Le béton n’y est pour rien mais je pense à l’actrice Laure Calamy qui a obtenu le césar de la meilleure actrice pour son rôle dans « Antoinette dans les Cévennes ». Comme j’étais heureuse pour elle! Je l’avais trouvée merveilleuse dans ce personnage de femme à la fois très amoureuse, très sensible et très courageuse. La première fois que je l’ai vue jouer, c’était dans un film féministe « Zouzou ». J’avais été impressionnée par son jeu franc et espiègle et sa vitalité. Un peu plus tard, je la découvrais en syndicaliste au grand coeur dans  » Nos batailles ».

Le ciel s’assombrit au-dessus du plateau. Dans le jardin, les tulipes sont sorties. Le lilas et la glycine bourgeonnent. Les jacinthes s’épanouissent. Tous les ans, à l’approche de Noël, j’achète des jacinthes que je mets près de la crèche. J’aime tant leur parfum. C’est une tradition initiée par notre père à laquelle je reste fidèle. Quand les jacinthes sont finies, je les coupe à ras et je vais planter les bulbes dans le jardin. J’ai ainsi le bonheur de les voir réapparaître au printemps pour une nouvelle floraison.

J’avais offert à notre maman et à ma soeur et à ses enfants de venir fêter Pâques à la maison. Je me réjouissais de voir Charlotte chercher les oeufs en chocolat que les grands auraient été dissimulés dans le jardin. Voici deux ans, elle était encore un peu jeune pour vraiment profiter de la chasse aux oeufs. L’an passé, nous étions tous confinés si bien que je ne conserve pas de souvenir très précis. Céleste m’a rappelé qu’il faisait un temps magnifique et que nous portions tous des vêtements d’été. Si l’île-de-France est reconfinée le week-end, nous ne pourrons pas nous réunir. Nous sommes tous tellement las de cette vie rétractée qui nous empêchent de voir nos amis, nos familles et nous vole  notre élan vital et notre capacité à nous mobiliser.

Quand j’écrirai ma prochaine chronique, l’équinoxe du printemps sera passée. Dans le jardin, les fleurs se seront ouvertes et les bourgeons seront plus avancés. Les fleurs roses du prunus se seront envolés. Elles viendront flotter à la surface de la piscine qui, maintenant, tient plus de la mare aux grenouilles.

A bientôt,

Anne-Lorraine Guillou-Brunner

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