Freud est classiquement présenté comme le maître des névroses quand Lacan serait celui des psychoses. Ceux qui ont abordé Lacan en qualité d’étudiant ou de professionnel vantent tous la clarté de sa pensée orale, à laquelle viendrait s’opposer le caractère hermétique et hautement impénétrable de sa pensée écrite. Je connais un médecin, psychiatre et psychanalyste, qui a suivi le « maître » des psychoses alors qu’elle était interne en psychiatrie à l’hôpital Sainte Anne. Elle était son scribe. Son rôle consistait, pendant que Jacques Lacan, flanqué de son équipe, faisait sa tournée des malades, à prendre des notes. Elle m’a dit la puissance de sa pensée et sa capacité à décoder les troubles, à les faire parler quand personne n’y parvenait.
Je connais bien trop mal l’œuvre et l’apport de Jacques Lacan à la psychanalyse moderne pour me risquer à en parler, en revanche, au gré de mes lectures, j’ai découvert un texte admirable que j’aimerais partager avec vous. Je l’ai découvert grâce à la journaliste Danielle qui signe de très beaux billets dans son blog « belles plumes » hébergé par le Courrier International. Je l’ai découvert en lisant le papier qu’elle avait consacré au film « des hommes et des dieux ». Ce texte est en fait un sermon, celui que Marc-François Lacan, moine bénédictin a prononcé le 10 septembre 1981 en hommage à son frère Jacques. Depuis que je l’ai découvert, je l’ai lu et relu. Je sais qu’il va m’accompagner longtemps.
JACQUES LACAN ET LA RECHERCHE DE LA VÉRITÉ
Jacques Lacan a parlé. Pourquoi ?
Pour le savoir, faut-il écouter ceux qui, depuis sa mort, parlent moins de lui que de leur propre position par rapport à lui ? Ce n’est pas le bon moyen.
Ce qu’il faut, c’est rappeler qui il était. Il était un homme ; cet homme cherchait la vérité ; le chemin qu’il ouvrait pour la chercher était la parole.
L’HOMME
Les sciences de l’homme sont sans doute ainsi désignées parce qu’elles nous enrichissent d’un savoir sur diverses fonctions de l’homme ; ce faisant, elles nous permettent de masquer et d’oublier notre ignorance de l’homme lui-même, notre inattention au fait que chaque homme est un mystère. Un mystère qui reste insondable.
Jacques Lacan, c’est d’abord un homme, attentif à l’homme, à sa réalité toujours inaccessible, à son désir dont le caractère propre est de ne jamais pouvoir être satisfait.
Dans le monde intellectuel, il était classé tantôt comme psychanalyste, tantôt comme philosophe, voire comme poète, ou encore comme structuraliste, surréaliste, acteur … ; la liste pourrait s’allonger. Or il est avant tout un homme, dont il ne suffit pas de dire qu’il était humain.
Sa contribution à la psychanalyse, si importante qu’elle soit, ne permet pas de dire qui il était. Bien au contraire, c’est parce qu’il était cet homme unique, nommé Jacques Lacan, qu’il a pu mettre en valeur la découverte inaugurée par Freud : celle de l’inconscient. Mise en valeur telle que le monde des psychanalystes ne l’a pas accueillie sans émoi.
Mais qu’est-ce donc que l’inconscient ? En entendant ce mot, chacun se soucie de le définir. Que révèle un tel souci ? Il indique le plus souvent moins une recherche de la clarté, que la fuite d’un mystère qui inquiète et qui, cependant, caractérise la vie psychique dans sa réalité.
L’inconscient échappe à toute définition ; il désigne l’homme lui-même dans cette dimension de son mystère qui ne donne aucune prise à sa conscience.
Parler à l’homme de l’inconscient, c’est lui rappeler ce qu’il s’applique à oublier ; c’est le sauver de cet oubli que tout est organisé pour favoriser en cette fin du vingtième siècle. C’est lui rappeler en effet que son centre est ailleurs qu’en lui-même. C’est lui faire découvrir que le chemin à suivre n’est pas celui que Descartes a inauguré.
« Je pense, donc je suis. »
Cette déduction sur laquelle Descartes prend appui va-t-elle lui permettre de connaître ce « Je » qui pense ? Lacan réplique: « Je ne suis pas ce que je pense. » La vérité ainsi formulée jaillit de la découverte de l’inconscient, autrement dit de l’homme lui-même. La reconnaissance de l’inconscient permet à l’homme d’avoir accès à sa réalité; loin de s’enfermer dans les limites de sa vie consciente, il doit s’ouvrir à une relation qui le constitue, à une relation avec l’Autre
Une telle relation suscite une recherche: la. recherche de la vérité de la vérité sur l’Autre et inséparablement, de la vérité sur l’homme, constitué par sa relation à l’Autre.
LA VERITE :
Jacques Lacan: un homme; donc un chercheur de vérité.
La vérité. Ce que désigne ce mot fait peur. Chacun, comme Pilate, réagit en disant: « Qu’est-ce que la vérité ? et en s’en allant, sans attendre la réponse.
Lacan a découvert, grâce à Freud, le moyen d’entendre la réponse. « Freud, écrit-il, a su laisser, sous le nom d’inconscient, la vérité parler. »
Laisser parler la vérité. Voilà le moyen, le seul, de la connaître. Aucun savoir ne donne accès à cette connaissance. Ecouter la vérité est l’unique nécessaire. Si la conscience peut entendre la vérité, elle s’y ferme souvent. L’inconscient est la voix de la vérité refoulée; plus précisément, il est la voie, c’est-à-dire le chemin par lequel elle passe, lorsque l’homme a refusé de l’entendre.
Ici prend place l’intervention du psychanalyste. Il se tait; mais il invite à parler, pour chercher à entendre la vérité qui va passer par des chemins inattendus, la vérité dont va peut-être accoucher l’homme qui parle, non sans douleur.
Ce que Lacan invite le psychanalyste à écouter, est-ce le malade ? C’est bien plutôt la vérité que celui-ci a refoulée la vérité de
son désir. C’est ce type d’écoute qui fonde sa méthode de psychanalyste.
Il s’agit d’écouter la vérité pour la dire. Mais Lacan sait « qu’il est impossible de dire toute la vérité c’est par cet impossible que la vérité tient au réel. »
Le réel est en effet inaccessible dans sa plénitude. Nous le réduisons à ce que nous en savons, mais nous pouvons nous ouvrir à la connaissance du réels et répondre ainsi au désir profond qui nous constitue. Mutiler ce désir nous rend malades, psychologiquement, ou spirituellement. La santé, comme la sainteté exige que nous cherchions la vérité, et, pour cela, que nous l’écoutions parler.
LA PAROLE
Nous pouvons répondre ici à notre question initiale, « Pourquoi Jacques Lacan parle-t-il? » Car il parle encore depuis sa mort.
On lui a reproché son style, et l’obscurité qui le caractérise. Il réplique: « il suffit de dix ans pour que ce que j’écris devienne clair pour tous. »
En effet chaque fois qu’un homme est porteur, non d’un savoir à communiquer, mais d’une parole invitant à chercher la vérité et, pour cela, à l’écouter, il se heurte à un refus qui se masque souvent derrière une accusation: « Ce qu’il dit est impossible à entendre. » (Cf Evangile selon S.Jean 6,60)
Lacan n’a pas parlé pour autre chose que pour ouvrir la porte à la Parole qui vient d’ailleurs, qui est la Parole de l’Autre et dont l’inconscient atteste la présence; cette présence est réelle et elle est manifestée dans sa réalité par la peur qu’elle provoque, et le refus d’écouter qui est le fruit de cette peur.
À travers l’œuvre écrite de Lacan, que faut-Il donc chercher ? Un enseignement oral inachevé et figé ? Nullement, Ce qu’il faut découvrir, c’est un homme en quête de vérité, vérité qui est le trésor évoqué dans la fable: il fallait creuser le champ pour y trouver un trésor caché. Le trésor appartient à ceux qui apprennent par expérience que ce trésor n’est rien qu’on puisse posséder,
Car le bonheur de l’homme, c’est de désirer s’ouvrir à la Parole de l’Autre. Ce désir est suscité par une présence sans laquelle l’homme n’est plus lui-même et grâce à laquelle jaillit de lui une parole qui rend témoignage à la vérité, une parole qui exprime son désir toujours nouveau de la source de sa vie d’homme.
La parole de Jacques Lacan inquiète les hommes qu’elle oblige à sortir de leur fausse paix, en posant la vraie question, la question que voici. Je n’ai pas à me demander en effet: « Que posséder ou que savoir pour devenir un homme? » La vraie question, c’est :
« Qui m’appelle à trouver dans sa recherche le sens de ma vie ? »
Avant de finir cette très courte chronique, je voudrais parler du philosophe Michel Foucault, un des premiers, je crois, en France, à avoir fait porter ses recherches sur les univers fermés, les univers à la marge : le monde carcéral et le monde psychiatrique. C’est étudiante que je suis tombée sur et dans son « histoire de la folie », sa thèse de doctorat. Ce livre m’a profondément marquée et amenée à porter un regard autre sur ceux qu’on étiquette comme « fous ». Depuis cette lecture, je suis intimement persuadée que le psychiatre Lucien Bonnafé avait mille fois raisons d’écrire qu’ « une société se juge à la manière dont elle traite ses fous ». Autrefois, les rois avaient des fous, ce n’était pas un hasard car le « fou » n’est-il pas celui qui ose et exprime à notre place, dit nos souffrances, nos propres zones d’ombre et somatisent les maladies modernes de notre société de consommation ?
Anne-Lorraine Guillou-Brunner
Alors comme ça, Freud aurait été, je vous cite, « le Maître des névroses ». Voyons, ignoreriez-vous la différence entre le discours du Maître et celui de l’analyste? Au bord des larmes -de rire, mais cordialement, Marianne Ronvaux.
Je connaît M.RONVEAUX depuis ses insultes proférées sur des listes de discussion de psychanalyse dont elle s’est fait exclure, alors…
Alors…merci!