Chronique de la mise en route d’un nouveau quotidien ou résistance contre le Covid-19

Dans ma dernière chronique, j’expliquais que c’était sur la foi des propos rassurants des professeurs de médecine que ce nouveau virus ne m’avait durablement inquiété. Je pensais seulement que les vacances de février des trois zones françaises terminées, le virus se propagerait. Ce qui s’est produit. S’agissant des gestes barrières, je les ai assimilés depuis mon plus jeune âge même si je dois confesser pouvoir m’essuyer les mains avec le torchon servant à essuyer la vaisselle et vis versa et que, comme presque toutes les femmes de ma génération qui travaillent, je ne fais pas bouillir les draps, les serviettes et le petit linge. J’avais donc confiance dans le discours des experts et de l’OMS. Et puis, patatra: en quelques jours, le ton a changé et les mesures pour contenir la propagation sont devenues de plus en plus sévères. l’OMS qui a tergiversé pendant des semaines parlait enfin de pandémie. L’Italie et l’Espagne étaient en état d’urgence. Ce revirement est plus que troublant!

J’avais confiance. Je pensais que certains jouaient les oiseaux de mauvaise augure. J’étais assez agacée par ce sentiment de psychose qui gagnait la population mais, par-dessus tout, je ne tolérais pas les vols de masque dont nos soignants manquaient cruellement. Faut-il attendre d’être confronté à une crise sanitaire majeure pour produire des masques? C’est aberrant! J’avais confiance mais quand on me dit les choses et qu’on me donne la feuille de route alors je suis un vrai petit soldat et j’obéis. J’ai toujours pensé que l’intérêt particulier devait céder face à l’intérêt général. C’est l’éducation que j’ai reçue.

Hier, vraiment, j’ai été déçue par l’allocution de notre chef d’Etat. Une nouvelle fois, il était trop long, pas assez pédagogue. Victoire, notre cadette, a jeté l’éponge au bout de dix minutes. Il a tourné autour du pot et refusé sciemment d’employer les mots forts dont les Français avaient besoin pour entendre enfin vraiment la gravité de cette crise sanitaire. Depuis que le mouvement des gilets jaunes a commencé, Emmanuel Macron et son Premier ministre ont été accusés de complaisance à l’égard des violences policières. Dans certains milieux, on a estimé que le quinquennat prenait un fort virage sécuritaire. On a parlé d’atteintes aux libertés individuelles. Dans ce contexte, sans doute, Emmanuel Macron a-t-il estimé préférable de ne pas décréter l’état d’urgence. J’espère me tromper, mais après avoir entendu son discours qui nécessitait des explications de texte quand il aurait dû être compris tout de suite, je me suis dit qu’une partie de la France allait en rire et continuer à vivre comme si de rien n’était. J’imaginais des gens rigolards allant jusqu’à faire des bras d’honneur au chef de l’Etat devant leur poste de télévision.

En fin de nuit, j’ai lu des articles expliquant quels étaient les commerces autorisés à rester ouverts et découvert que, désormais, pour nos petits déplacements, nous allions devoir imprimer une autorisation téléchargeable sur le site du ministère de l’Intérieur. L’armée pourra être mobilisée mais pour venir en renfort des équipes soignantes civiles et construire un hôpital de campagne dans l’Est de la France. La médecine militaire est la meilleure médecine qu’on puisse trouver. J’en ai fait l’expérience quand notre père a été admis en réanimation une fois au Val de Grâce et une autre fois à Bégin. Dans ces deux hôpitaux, je découvrais en quoi consistent de vraies mesures de désinfection avant de pouvoir être admis en réa. Au moins, les visiteurs ne risquaient-ils pas de transporter avec eux des virus et de les transmettre à des malades en état de grande fragilité! Dans le service de réanimation du Kremlin-Bicêtre, on se serait cru à la cour des miracles. Rien d’étonnant à ce que notre père y ait développé une maladie nosocomiale qui a précipité la fin de sa vie.

Je suis un vrai petit soldat. J’ai annulé tous mes rendez-vous hier matin. J’ai supervisé la mise en route du travail à distance des enfants. Si Pronote ne fonctionnait pas (il a fallu attendre un nouvel identifiant), un relais incroyable s’est mis en place entre les professeurs et leurs élèves, les professeurs recourant naturellement aux outils de communication préférés de notre jeunesse. Le professeur de Français de notre aînée avait enregistré la leçon sur Stendhal. Cet homme est merveilleux! Il a une authentique voix de radio. Je sentais le bonheur de Céleste de l’écouter. Victoire, elle, a regardé, pour son cours de Français, le film « 12 hommes en colère ». Vendredi matin, à l’horaire habituel, Céleste aura deux heures de philosophie en visioconférence via WhatsApp. Cela permettra une interaction entre les élèves. Tous les professeurs ont adressé à leurs élèves la feuille de route pour qu’ils soient guidés. Ils ont abattu un travail colossal en un temps record!

Si cette école à la maison sera, je pense, très positive pour nos grands adolescents qu’elle va préparer à l’entrée au lycée et aux études supérieures, cela sera sans doute plus compliqué pour les élèves du CP à la quatrième. Dimanche, j’ai craint de perdre la raison en essayant d’expliquer une leçon de grammaire (niveau cinquième) à notre fils Louis qui, de son côté, n’avait pas envie de travailler et chez lequel la mise au travail s’apparente à une souffrance morale et physique. La leçon portait sur l’adjectif. Les mots employés étaient si complexes que je les lisais sans que mon cerveau les comprenne. Finalement, je suis allée chercher mon vieux Bled couvert d’un papier plastifié orange et suis revenue aux fondamentaux dont on ne devrait jamais s’écarter de peur de laisser les jeunes esprits sur le bord de la route. La grammaire française est déjà assez complexe pour qu’il soit nécessaire de la rendre plus difficile encore!

Ce matin, nous avons des exercices à faire autour de l’adjectif. Céleste m’ a sollicitée pour débroussailler un cours de géopolitique de douze pages. Victoire, elle, souhaite que je l’aide dans son débat argumentatif autour du thème qu’elle a choisi de défendre à l’oral: la gratuité des protections hygiéniques pour toutes les femmes. Alors que nous étions dans le car qui nous emmenait du centre de Séville à l’aéroport, je lisais que l’Ecosse était le premier pays au monde a avoir voté la gratuité des protections hygiéniques. La tête d’une maman et d’un ancien professeur ne cesse jamais de faire le lien entre l’actualité et les sujets que les enfants doivent traiter.

Nous avons fait le choix du travail le matin pour, après le déjeuner, aller faire du vélo, s’occuper de Fantôme, dessiner, regarder des films et lire (c’est quoi un livre déjà?). Louis, hier, refusait de lire des extraits du livre sur la vie de saint Louis par son ami fidèle Jean de Joinville. J’espère que ce temps d’école à la maison va aider Louis à retrouver la capacité à se mettre au travail sereinement. Son attitude est telle qu’il me contraint à me mettre dans une immense colère et à tenir des propos très durs pour qu’enfin il cesse d’être lui-même dans la colère et se calme. Epuisant! Le soir, au moment du coucher, je vais le voir et m’excuse alors pour les mots que j’ai employés. J’ai pu me montrer parfois très dure avec notre aînée qui, elle aussi mais sur un mode différent, ne voulait plus travailler. Je me rappelle l’avoir fait pleurer au retour d’un conseil de classe et que Louis m’avait trouvé terrible avec sa grande soeur…Plus tard et c’est ce que j’ai dit à Louis hier soir, Céleste m’a remerciée en ses mots: « Merci maman de ne jamais m’avoir lâchée. J’ai des amis que leurs parents n’ont pas aidé et, maintenant, ils ne sont plus capables de suivre et en sont malheureux ».

Cette vie de confinement avec télétravail (pour ceux qui le peuvent) et école à la maison va encore largement reposer sur les épaules des femmes! Depuis vingt ans, Stéphane et moi avons un mode de vie qui fait que nous travaillons chez nous. Même si, en temps normal, Stéphane est absent deux jours presque toutes les semaines, je suis celle qui cuisine deux fois par jour sept jours par semaine. Maintenant, je vais continuer de le faire mais pour cinq personnes! Quand je ne serai pas sollicitée par les enfants, je ferai du repassage ou du nettoyage. Le temps dont j’ai besoin pour écrire sera sans doute encore plus court qu’en temps normal.

J’aurais aimé que ma soeur et ses trois enfants puissent venir nous rejoindre et se mettre au vert mais elle avait des choses à régler à Paris et, désormais, les déplacements ne sont plus possibles. Hier, les Français qui le pouvaient ont quitté les grandes villes pour se trouver refuge à la campagne, au bord de la mer ou à la montagne. Les étudiants ont eu envie et besoin de regagner leur cocon familial.

Ce matin, j’espère de tout coeur que les Français auront entendu les appels répétés de tout notre corps soignant déjà au bord de la rupture depuis de longs mois: restez chez vous! Ne venez pas surcharger davantage les urgences! N’allez à l’hôpital qu’en cas de vraie nécessité! Pensez aussi à offrir votre aide à ceux qui vous entourent. La solidarité marche en général très bien dans les villes où les gens habitant dans des immeubles peuvent former une grande famille. A la campagne, dans cette campagne qui est devenue la nôtre, l’entraide est presqu’inexistante! C’est terrible! Si j’avais pu, j’aurais voulu délocaliser toute ma famille à Saint Véran, dans ce Queyras que j’aime tant!

Je continue d’aller voir Muguette avec Fantôme. Tout ce que vit notre monde la rend malheureuse. Elle a commencé à planter des petits-pois dans son potager. Elle va attaquer les pommes de terre. Elle m’a raconté comment, quand elle était fille de ferme, l’exploitation avait été mise en quarantaine après qu’un cas de fièvre aphteuse ait été découvert sur une vache. L’Afrique commence à se protéger du Cov-19. Les mesures varient d’un pays à un autre. J’imagine que si les infrastructures sanitaires ne sont pas les mêmes qu’en Europe, ils ont bien mieux armés s’agissant de la gestion des crises sanitaires. Ebola a été un drame humanitaire épouvantable!

Une lumière pale éclaire le plateau. Le lilas a poussé des têtes d’un bleu lavande. Les narcisses sentent délicieusement bon. Ce temps de repli va pouvoir être un temps ou, justement, on renoue avec la lecture d’un temps plus présent. Cette période devrait resserrer les liens familiaux ou, au contraire, générer des tensions dans les couples et les familles où on a perdu l’habitue de vivre ensemble. J’ai envie de passer du temps dans le jardin. Nous avons cette chance d’être à la campagne. Je plains toutes celles et tous ceux qui vont vivre ce confinement à l’étroit dans des villes dont la qualité de l’air sera vite meilleure. Sciemment, je n’ai pas évoqué l’économie mondiale vacillante, la chute du cours du pétrole, la revanche que Poutine s’apprête à prendre sur Trump (Stéphane me l’a expliqué ce matin à la table du petit déjeuner), la mise à l’arrêt des chaînes de production, le creusement de la dette publique…Je dois bientôt rendre non pas l’antenne mais mon ordinateur à Céleste!

Prenez soin de vous. Prenez soin des autres. Je vous laisse avec ce chant sublime. Aujourd’hui, notre bravoure n’a rien à voir avec celle des armées de l’ombre mais elle n’en est pas moins essentielle!

https://www.youtube.com/watch?v=g3D9M5-4tWg

Anne-Lorraine Guillou-Brunner

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