Cette vingtième fenêtre du calendrier de l’Avent s’ouvre sur un ciel clair que quitte à pas de loup une grosse lune argentée tandis qu’un soleil habillé de rouge va pointer au Levant. La nature est humide. On est loin des températures négatives qui prenaient dans les filets du givre le moindre brin d’herbe et transformait le plateau en un miroir glissant. Numéro trois a déjà mangé tous ses chocolats. Numéro un et numéro deux, elles, réussissent à n’en laisser fondre qu’un par jour entre langue et palais. Les listes au Père Noël ont été faites et refaites plusieurs fois. Le petit sapin calé par le cerf en bois offert à numéro un pour son premier Noël sent bon mais perd déjà ses épines que la maman réunit en petits tas avant de les ramasser et de les jeter dans l’âtre de la cheminée.
A la vingtième fenêtre du calendrier de l’Avent, Moustache, le chat offert à numéro un pour ses 10 ans, a poussé la porte de la chambre parentale et a sauté sur le lit. Fantôme, étendu dans l’entrée, interdit de couloir et encore plus de chambre à coucher, trouve injuste une telle différence de traitement. Mais, la maman qui a considérablement revu à la baisse son niveau de maniaquerie n’en est pas encore à envisager le berger australien vautré sur les lits après une sortie hivernale ! Numéro un et numéro trois ont repensé l’agencement de leur chambre et après le dîner, numéro trois investit le lit de numéro un et cette dernière lui lit des histoires. Numéro deux a réintégré sa chambre. Le soir venu, elle s’y endort avec Moustache à côté d’elle. La maman se demande comment la petite fille parvient à trouver le sommeil avec une boule de poils qui ronronne aussi fort !
A la vingtième fenêtre du calendrier de l’Avent, la maman pense à sa sœur, son unique sœur par le sang. Cela fait exactement trois mois qu’elles se sont dit au revoir quelque part dans le 16ième arrondissement. Il faisait très chaud. On recommençait à prendre d’assaut les terrasses des cafés. Le lendemain, sa sœur, son mari et leurs enfants s’envolaient pour la Californie. Un taxi était venu les chercher au lever du jour et les valises, pesées plusieurs fois chacune pour s’assurer qu’elles n’excèdent pas la limite autorisée, avaient été chargées dans le coffre. Le chat allait voyager dans la soute pendant 11 heures. Elle s’était demandée à quoi avaient pu penser sa sœur, son mari et ses enfants au moment où l’appareil quittait le tarmac. Son cœur, à elle, s’était serré en y songeant. Il est des moments auxquels on ne parvient jamais à se préparer vraiment même si on met tout en œuvre pour y arriver.
A la vingtième fenêtre du calendrier de l’Avent, la journée a avancé. Le soleil fait dorer la grande haie qui les sépare de leurs voisins de gauche. Les enfants vont bientôt quitter l’école après avoir eu leur goûter de Noël. Les cartables seront lourds et les esprits légers. Elle imagine déjà les enfants rentrant à la maison et abandonnant leurs affaires dans l’entrée. Comme elle reçoit une patiente, ils se réfugieront dans la chambre parentale où un pique-nique les attendra et la perspective de regarder un film avec leur papa, tous les quatre étendus sur le lit « la main au collet ». Elle est certaine que les enfants vont aimer les aventures du chat.
A la vingtième fenêtre du calendrier de l’Avent, elle repense à ce week-end que son mari et elle ont pu s’offrir dans Paris. Un Paris qu’elle a vécu dans le présent à côté de son mari et revisité dans le souvenir des absents de plus en plus nombreux, de tous ses amis dispersés aux quatre coins de la planète et qu’elle aimerait pouvoir réunir, tous les ans, sur un tronçon du pèlerinage de Saint-Jacques de Compostelle. Entre l’île de la Cité et l’île Saint-Louis, en empruntant le pont Saint-Louis, elle s’est rappelée les pique-niques improvisés avec son amie Constance sur les bords de la Seine au printemps, en été, et toutes ces glaces savourées en marchant suspendue au bras d’un amoureux. Dans le Marais, elle a remis ses pas dans les traces nombreuses que sa sœur et elle y ont laissées. Elle s’est souvenue de cette dernière promenade et de ces incroyables sandwichs au pastrami de la maison Florence Kahn à laquelle la façade couverte de mosaïque bleue donne des airs de Byzance. Elle a poussé la porte de l’établissement ouvert depuis 1932. Comme à chaque fois, elle s’est amusée de l’agitation qui s’y déploie. Elle a humé tous les parfums, eu envie de tas de choses pour finalement succomber à un cheese-cake aux fruits rouges. Le monsieur, derrière sa caisse, s’inquiétait auprès de sa femme que les clients le trouvent fatigué. Elle le rassurait en mettant en avant le bruit et la chaleur dans l’épicerie. Rue des Francs-Bourgeois, les boutiques ressemblaient à des ruches envahies par des abeilles pressées.
On avait rendez-vous au China Club pour déjeuner avec un ami de retour à Paris après plusieurs mois de vie polaire à bord de Tara. Le China Club était privatisé. Ce n’est encore pas aujourd’hui qu’elle pourrait faire découvrir à son mari ce lieu si étonnant qu’elle avait rêvé de louer pour y organiser une grande soirée cotton club. Tandis que son mari aurait disputé dans la bibliothèque du premier une partie de majong tout en sirotant un verre de rhum vieux, elle aurait dansé sur les tables en faisant tourner autour de son cou un sautoir. On avait renoncé à un déjeuner asiatique et opté pour une pizza. Le patron, de toute évidence tunisien, parlait l’italien. Le soleil donnait par la baie vitrée, un soleil de toute fin d’automne. C’était agréable d’écouter cet ami faire le récit de ses impressions polaires, sa deuxième expérience à bord de Tara, la force des liens tissés entre les hommes d’équipage qui peuvent être des femmes et les grandes retrouvailles à Lorient.
Le soir, à l’angle de la rue Mouffetard, le couple avait dîné dans une ambiance très cosmopolite. La jeune femme qui s’occupait d’eux était biélorusse et avait les joues en feu tant il faisait chaud dans le restaurant. Son mari et elle s’amusaient des rires francs d’une tablée de suédoises qui en étaient au café gourmand. Elle s’était rappelée qu’en Nouvelle-Zélande, des femmes lui avaient dit qu’elles s’étonnaient que les françaises n’organisent pas plus souvent des virées entre femmes laissant à leurs hommes la responsabilité des enfants et du foyer. Depuis longtemps, elle avait observé que les femmes, entre elles, s’amusent beaucoup plus que lorsqu’elles sont dans des ambiances mixtes. Elle se rappelait ces dîners de femmes qu’elle avait, à l’époque où son mari partageait sa vie entre la France et la Roumanie, organisé chez eux. Les filles étaient encore jeunes et leur frère n’était pas né. Ces réunions démarraient à 20h30 et pouvaient se terminer à 5 heures du matin. Bien sûr, tout y passait : les enfants, les accouchements, les allaitements, les maris, les rêves, les déceptions. On riait beaucoup et si on avait tant de mal à se quitter c’est bien parce que ces moments étaient trop rares.
Le dimanche matin, qui correspondait à la quinzième fenêtre du calendrier de l’Avent, elle avait laissé son mari se reposer et était partie marcher. Ils avaient réservé des places pour l’exposition consacrée à Félix Vallotton. Elle avait déambulé dans les rues jusqu’au Louvre. En ce matin frais, Paris retenait son énergie. Au Bel-Ami, seuls des japonais prenaient leur petit-déjeuner avant d’attaquer une journée marathon. Dans la vitrine de Vuitton, de belles oies sauvages tiraient des traîneaux couverts de paquets. Elle avait cherché Nils Olgerson mais ne l’avait trouvé nulle part. Toute à l’heure, après qu’ils aient été conquis par la palette de Félix Vallotton, séduit par sa liberté et son audace, et qu’elle ait trouvé triste que l’artiste à l’inconscient torturé trouve drôle de peindre les fesses d’une femme gagnée par la cellulite, ils pousseraient la porte du magasin Missoni. Tous deux admireraient la même robe longue à dos nu et plus tard elle réfléchirait à tout ce qu’il est possible de faire avec 1450 euros ! Une femme était sortie de la boutique au moment où ils y entraient. Elle portait un long manteau de fourrure, des cheveux blonds mais pas de sourire! Elle avait quitté la place sans un au revoir, sans un geste en direction des vendeurs. L’argent ne rend pas heureux quand les journées s’écoulent à savoir comment le dépenser pour soi!
Son mari l’avait rejointe au Louvre où elle avait eu le temps d’admirer une exposition sur les estampes dans les pays du Nord de l’Europe à la Renaissance et découvrir une petite partie du département consacré à l’islam. Devant ces chefs d’œuvre, une fois de plus, elle avait eu envie de partir sur la route de la soie, de vivre les aventures de Marco Polo. Dans la ville de Leh, au Ladakh, dans une autre vie, elle avait essayé d’imaginer à quoi pouvait ressembler ces grands rassemblements de caravansérails venus d’Asie Centrale et de Chine. Pour ce court séjour, elle portait un manteau que sa sœur lui a confié avec d’autres avant de partir pour la Californie. Elle est heureuse de le porter. Il est magnifique ! Une véritable œuvre d’art ! C’est ce que lui disent deux gardiens du Louvre qui s’avancent vers elle pour la complimenter sur le vêtement, et à tous ceux qui en font de même elle redit que ce manteau appartient à sa sœur et qu’elle le lui a prêté. Dans une petite boutique de la rive gauche, non loin de la Seine, entre boîtes à musique, pantins articulés et montgolfières colorées, une très vieille dame portant une toque en vison blanc lui souffle de le garder.
A la vingtième fenêtre du calendrier de l’Avent, les enfants sont rentrés de l’école. Ils n’ont pas voulu regarder « la main au collet ». Il est tard maintenant mais on les laisse veiller un peu. Sa patiente partie, la maman de trois a eu sa sœur au téléphone. Avec le décalage horaire et leur travail, elles avaient du convenir d’une heure pour un rendez-vous téléphonique. C’était le matin pour elle. Les enfants étaient en vacances depuis mercredi. Il avait plu en Californie et les températures se radoucissaient après un épisode froid. Cette après-midi, elle se rendait chez des amis français, un couple de toulousains, pour y préparer un foie gras pour le réveillon de Noël. Il lui restait à acheter de l’Armagnac. Elle avait voulu lui demander si la France lui semblait loin ou, au contraire, proche comme lorsqu’ils avaient vécu à la Martinique et que la métropole semblait à une heure de route et non pas à 8 heures de vol ! Elles avaient manqué de temps pour pouvoir avoir le sentiment de se retrouver. Le début de la conversation était tendu car, des deux côtés, il y avait de la fatigue, des rythmes, des modes de vie et une façon de communiquer différentes. On se reparlerait à Noël. Elle espérait que ce ne serait pas trop dur car les proches nous manquent tout particulièrement en certaines occasions. Elle se rappelait la tristesse de sa belle-soeur, un soir de Noël, quand elle avait appelé de la Roumanie où elle était restée avec son mari et sa belle-famille. Elle y vivait depuis trois ans. Après, il lui avait semblé que les Noëls où elle ne rentrait pas dans sa famille en France avaient été plus faciles car la Roumanie devenait vraiment sa seconde patrie et le lieu où elle construisait sa vie.
La quinzième fenêtre du calendrier de l’Avent s’était refermée sur une crêpe au Josselin dans une ambiance typiquement bretonne avec, au-dessus des galetières, deux chefs sri-lankais dont les visages se fondaient derrière une épaisse fumée et un très beau film indien « the lunchbox » qui leur avait rappelé leur long séjour en Inde. Comme elle aurait aimé partager et cette crêpe et ce film avec sa sœur !
A la vingtième fenêtre du calendrier de l’Avent, il sera bientôt 22h30. Un papa est allé lire dans son lit. Deux filles regardent un Hercule Poirot, un petit garçon est triste de ne plus avoir personne avec qui jouer, un berger australien sommeille au pied de l’escalier, un chat est lové sur un lit, un poisson rouge rêve, des épines du sapin tombent sans bruit sur le parquet, un petit Jésus emmailloté dans du papier journal attend de rejoindre les siens dans la crèche, des paquets sont emballés et rangés dans une valise et une maman va pouvoir mettre son billet en ligne et vous souhaiter à tous un joyeux Noël placé sous le signe du partage et de la joie.
A l’année prochaine !
Anne-Lorraine Guillou-Brunner