Tandis que le Japon compte ses morts et que deux réacteurs nucléaires sont en surchauffe contraignant les autorités nipponnes à donner l’autorisation de relâcher de la vapeur d’eau radioactive dans l’environnement, qu’en Libye coulent ces rivières de sang que promettait son dictateur grand ami de la France et de l’Italie, que la Côte d’Ivoire se déchire, que, dans l’hexagone, le sélectionneur de l’équipe nationale fulmine devant la défaite historique, hier, à Rome, du XV de France et que les spécialistes de la politique intéreure semblent tout surpris devant le futur tsunami bleu marine, votre chroniqueuse fait le choix d’un retour sur leurs aventures « tourdumondesques », très « acadabrantesques » et, plus précisément, de vous envoyer quelque part en Patagonie chilienne, à la fin du mois de février de l’année 2001.
Pour changer, faire entrer un peu de sang neuf et frais, le billet qui va suivre est le copier-coller d’un mail écrit par son mari et adressé à tous leurs proches depuis la petite ville de Puerto Natales. Les photos sont du même mari qui réussit le tour de force de tout savoir faire, y compris d’écouter inlassablement (ou presque) depuis bientôt quatorze ans, ses histoires sur un mode que ne renierait pas Jonathan Quayle Higgins. Sans doute est-ce parce que vivre avec elle est particulièrement éprouvant que son mari qui a un grand besoin de reprendre des forces la nuit la laisse faire face, seule, aux gastro-entérites du trio, la dernière remontant à vendredi soir s’étant muée en crise de bile pour numéro trois. C’est donc bien seule, de dix heures du soir à six heures du matin, qu’une maman changeait les draps sur trois épaisseurs, lavait son petit garçon, l’installait devant « barbapapa », enmitouflé dans une couverture polaire, tandis qu’elle allait à la pêche aux coquillettes au fond de la baignoire dont le tuyau d’évacuation était bientôt bouché nécessitant l’emploi d’une ventouse digne de figurer dans la vitrine d’un musée des arts et traditions populaires, refaisait le lit en fer forgé blanc dans lequel les enfants de la famille dormaient depuis plus de trois générations, aérait les pièces, désinfectait poignées de porte et toilettes à l’eau de javel heureusement parfumée à la fleur d’oranger, rassurait son petit garçon entre deux spasmes, le recouchait et finissait par s’endormir sur le canapé de la mezzanine dans un vieux sac de couchage bercée par le ronronnement du lave-vaisselle, les bruits de basse-cour du réfrigérateur et les sons charmants de leur chiot, Fantôme, berger australien de trois mois trouvant piquant de faire glisser sur le damier noir et blanc de la cuisine un os à moëlle.
C’est cette même maman qui, ce matin, s’arrachait du lit matrimonial à sept heures alors qu’ils s’étaient endormis à deux heures passées, après une merveilleuse soirée durant laquelle son mari et elle avaient projeté à des amis les diapos de leur grand périple restées dans l’ombre depuis dix ans, parce que numéro trois avait une folle envie d’avaler du cervelas et que Fantôme sentait monter en lui l’appel légitime du jardin et des 100 grammes de croquettes. Dans son bocal, Sucrette ne réclamait rien et ne cherchait même plus à comprendre pourquoi, dans cette maisonnée, c’était toujours la maman qui se levait tôt à tout heure du jour et de la nuit. Parce que, désormais, vous et elle vous connaissez bien, êtes devenus au fil des chroniques très proches, elle peut vous expliquer pourquoi elle se lève et ne demande pas à son mari, parfois, de prendre sa place sur le pont. En réalité, la réponse est double. Elle a la chance d’être du soir et du matin, une petite dormeuse qui vit très bien ses journées pour peu qu’elle ait pu plonger dans l’inconscient un minimum de cinq heures pouvant devenir un maximum. Et, aussi, parce que les bénéfices secondaires puisés dans cette situation l’emportent sur la somme des désagréments…Quand on se plaint d’une situation sans rien faire pour la modifier, quand tout peut se changer, c’est qu’il convient d’avoir la lucidité de regarder les intérêts tirés de ce qui nous dérange, plutôt que de jeter la faute sur les autres.
Mais revenons à nos moutons et laissez-vous emporter en Patagonie chilienne, dans le magnifique parc naturel de torres del paine.
« 😯 kilomètres à pied, ça use, ça use…80 kilomètres à pied, ça use les souliers! »
Et pourtant, au début, tout n’est que ravissement quand on s’embarque pour la première fois dans un bus chilien au pare-brise grillagé, au milieu du désert austral et que les guanacos (lamas patagons) et les nandous (petites autruches) vous regardent d’un oeil prétentieux grimper les côtes en première à deux à l’heure en crachant le diesel dans un ciel cristallin. On se sent tout petit en pensant que dans ce tacot, il y a plus d’âmes qui vivent que dans les cent kilomètres carrés alentours. Mais, le sourire aux lèvres, on se sent aussi monstrueusement privilégiés. Alors, on en profite. On arrive après deux cents kilomètres de pampa à la petite guérite qui marque l’entrée du parc et l’on charge vaillamment ses vingt et quelques kilos sur son dos pour rejoindre, en marchant, le premier campement aux pieds des montagnes. La tente est vite montée. On jette un regard émerveillé vers la forteresse de granite qui nous surplombe. Le temps est gris. Le vent est frais et la douche écossaise.
Peu importe, le lendemain, nous montons à l’assaut des géants qui, comme par enchantement, se débarassent de leur écharpe de nuages au moment où nous sommes au plus près d’eux. Nous les admirons quelques minutes, puis demi-tour pour les quatre heures de descente. Après mille mètres de dénivelé positif, mille mètres de dénivelé négatif. Au total, huit heures dans les pattes pour le premier jour: une bonne mise en jambe! Le lendemain, c’est reparti pour huit heures, le long des eaux turquoises du lago Nordentkjöld (nous sommes toujours en Patagonie pour ceux qui ne suivent pas ou plus et non dans les fjords norvégiens!). L’ombre des nuages glisse sur les flancs de la Cordillère et le soleil livre son dernier combat avec la pluie quand nous plantons la tente au campamento italiano (toujours en Patagonie!); juste avant le campamento britannico, dans la vallée frances. Là, nous retrouvons nos amis belges, Christel et Gert, rencontrés dans la pension de Nancy, à Puerto Natales. Nous passons une nuit froide. Le lendemain, la neige nous accompagne pour une courte sortie de cinq heures le long d’un torrent glaciaire. Tant pis, pour une fois, les géants sont restés dans la brume. Nos amis belges décident de
rester un jour de plus, espérant une éclaircie.
Nous les quittons pour trouver notre bonheur, plus bas, près du lac Pehoe, à sept heures de marche. Le vent souffle ici avec violence. Nous arrivons en titubant. Nous plantons notre frêle demeure à l’abri tout relatif de quelques arbustes penchés. Notre sortie touche à sa fin. Les signes de fatigue ne manquent pas: le lendemain, alors que nous allons découvrir une vallée magnifique, remonter un lac jusqu’à un gigantesque glacier, nous avons des fantasmes de menus dignes des plus grands chefs, tels que ceux de Gilles, « papa » du restaurant « A côté de chez Fred », à Saint Martin en Ré. On se prend entrain de s’imaginer les fesses confortablement installées dans un fauteuil près d’un bon feu de cheminée crépitant avec un bon film à la télévision. C’est que les pâtes et le riz n’ont plus la côte et que » 80 kilomètres à pieds, ça use, ça use, 80 kilomètres à pieds, ça use les souliers! ».
9h20. La chronique est achevée. Ça va carrément plus vite quand on recopie le texte d’un autre qui, en l’occurrence, sommeille encore comme numéro un. Numéro deux regarde « princes et princesses » tout en habillant ses poupées. Numéro trois pousse, à intervalles réguliers, la porte du bureau maternel, la pressant de lui mettre Spiderman sur son ordinateur. Il peste parce qu’il se fait rembarrer. Dans la cuisine, il est possible que Fantôme ait abandonné une grande flaque d’un beau jaune, près du canapé rouge. Votre chroniqueuse se sent, en ce dimanche matin, aussi alerte que lorsqu’elle avait vingt ans et qu’elle émergeait après une folle nuit à danser, à boire, à fumer et à « causer »… Elle se sent aussi fraîche qu’une truite qu’on aurait oubliée, hier, au bord d’une rivière. La migraine rampe. Chaque follicule est douloureux. Chaque dispute entre numéro deux et trois une torture! La journée promet d’être longue et qu’il pleuve ou non, toute la famille sera au rendez-vous de la brocante sur le thème « Amérique ».
Bon dimanche à tous!
Anne-Lorraine Guillou-Brunner
Déplacer les montagnes au sens propre et figuré… à notre Chroniqueuse et Maman Super Woman… Chapeau bas !
Vise toujours la lune, dans le pire des cas tu retomberas parmi les étoiles !
Journée longue et pluvieuse…mais le soleil demeure dans nos esprits !
Merci, Chris! Cela fait du bien tes messages. Nous filons faire un tour à la brocante entre deux averses. Très bon dimanche. Baisers de L à V et de moi à vous.