Fin juillet, ils montent dans l’avion qui les ramène à Paris. Sur le tarmac de l’aéroport sainte Catherine de Calvi, il fait très chaud. Ils respirent à pleins poumons l’odeur des immortelles. Ils s’installent à la rangée numéro cinq. Les filles sont assises à côté de leur maman. Le petit garçon est à côté de son papa. Ces trois semaines sont passées aussi vite que Usain Bolt lancé pour le 100 mètres aux Jeux olympiques de Londres. La maman regarde ses enfants. Ils ont la peau halée, encore salée de leur dernier bain. Les tatouages de fleurs, de papillons et de dragons s’effacent lentement. Le soleil a jeté de l’or dans leurs cheveux. Les enfants quittent la Corse sans tristesse. Ils sont heureux, dans quelques heures, de retrouver leur maison, les chambres, leur univers et, bientôt, de profiter de leurs grands-parents paternels et de revoir leur grosse boule de poils en villégiature dans l’Ain.
L’avion s’élance sur la piste. Il roule de plus en plus vite et décolle. La maman regarde s’éloigner la grande plage de Calvi et les massifs montagneux. Pendant leur séjour, depuis la terrasse de la maison, ils ont observé les atterrissages et les décollages des avions transportant à leur bord des êtres chers venus partagés avec eux une partie des vacances. Aujourd’hui, ce sont eux qui partent mais hormis une armada de cochenilles nichée dans la vigne, personne, sur la terrasse, n’a le cœur qui se serre en les regardant s’éloigner et disparaître au-dessus de la Méditerranée. Elle ferme les yeux. Elle se rappelle leur départ de la maison, la veille de la fin des classes. Entre les travaux sur l’autoroute, ceux du RER B et le long arrêt de l’Orlyval, ils avaient craint de rater leur avion. Ils s’étaient présentés à l’embarquement en dernier. Le papa s’était demandé comment, dans les transports en communs, ils s’en seraient sortis avec la grosse caisse pour Fantôme, le berger australien, si celui-ci avait été du voyage.
A l’arrivée à l’aéroport, ils leur manquaient une valise, celle des parents. Les enfants avaient la leur et ils avaient également celle où étaient rangés maillots, tenues de plongée, paréos et crèmes solaires. Essayant de faire bonne figure, la famille s’était présentée à un guichet pour signaler à une hôtesse la valise manquante. En pianotant sur le clavier de son ordinateur, elle avait pu localiser la valise restée à Orly. Pourquoi ? Comment ? On ne le saurait jamais. Intérieurement, la maman avait songé qu’en une année de voyages autour du globe avec des vols en correspondance, aucune compagnie n’avait égaré l’un de leurs bagages, en l’occurence des sacs à dos. Numéro un avait fait sourire l’hôtesse en glissant qu’ils avaient l’essentiel : les maillots de bain! L’hôtesse leur avait remis à chacun un sac avec un tee-shirt blanc et une petite trousse de toilette en toile bleu marine. Ce nécessaire qui contenait précisément une brosse à cheveux repliable, une brosse à dents, un tube de dentifrice, un mini déodorant, une crème pour le visage, deux coton tiges, un rasoir et de la crème à raser avait fait la joie des enfants. Numéro trois était si heureux en en faisant l’inventaire qu’il s’était exclamé : « elle est tellement gentille la dame que je vais l’inviter à mon anniversaire ! ». Bien sûr, on avait du lui retirer le rasoir et promettre de le lui rendre le moment venu. Pendant trois semaines, les enfants s’étaient endormis avec leur trousse sur leur table de nuit et ils les avaient glissées dans les valises du retour. Le papa, lui, avait adopté les tee-shirts.
Dans la voiture qui les conduisait au village, les fenêtres ouvertes, ils avaient respiré les odeurs d’immortelle, de laurier rose, de jasmin, de citronnier et de figuier. En arrivant dans la maison restée inoccupée pendant de longues semaines, on avait délogé les araignées, fait la chasse aux fourmis et aux mille-pattes. Tandis qu’un papa s’était auto-désigné pour remplir le réfrigérateur, le reste de la troupe avait rangé ses affaires dans les placards. Numéro un s’était empressée d’aller ramasser des citrons encore un peu verts et de regarder si, dans le potager imaginé par un oncle et envahi par les herbes folles, elle ne pourrait pas trouver quelques tomates cerise. En fin de journée, c’est avec délice qu’on avait goûté au premier bain de mer et que les parents avaient pu, avec les premiers coups de soleil, commencer à se sentir vraiment en vacances.
Dans l’avion, l’écart se creuse entre la Corse et eux. Les filles écoutent de la musique. Leur frère joue avec ses playmobils. L’hôtesse qui veille sur eux a un nom breton et un regard noisette. Yeux ouverts, la maman voit défiler les plus belles images de l’album de leurs vacances : les mises à l’eau dans le petit port de pêche de San Damiano où la mer est si claire que les gens y nagent entre les bateaux, les plongeons des cinq cousins dans la piscine ou depuis les boudins du zodiac, une mâtinée de shopping complice avec une vraie sœur « modeuse », les longues observations des fonds marins, les parties de kems et de Cluedo âprement disputés, les cavalcades des enfants sur la grande plage d’Algajola dans les derniers rayons du soleil, la forêt de Bonifato où en raison du vent violent le préfet, par arrêté, avait interdit tout le site aux randonneurs, l’eau délicieusement fraîche et douce de la rivière Figarella, des moments rosés partagés avec un couple de voisins belges charmants et leurs trois filles, les huit bougies soufflées par un petit neveu après que la famille lui ait chanté un « joyeux anniversaire » dans un esprit proche d’une polyphonie corse, la visite du village de Calenzana avec arrêt devant le panneau marquant le départ du GR 20, une belle promenade depuis Lumio jusqu’aux ruines du village d’Occi avec une grand tante et un grand oncle tandis qu’au-dessus de leurs têtes des canadaires essayaient, avant la nuit, de circonscrire un incendie attisé par de terribles rafales de vent et une après-midi sur une crique, sans personne, avec l’impression presque troublante d’être seuls au monde.
Au deuxième jour de la fin des vacances, le soleil joue à cache-cache entre les nuages, la grosse boule de poils a retrouvé son domaine, le vent fait chanter le maïs, les enfants sont au centre aéré, accueillis sur deux sites différents. Hier, en retrait, la maman de trois observait ses filles marcher sur le sentier serpentant dans la forêt. Elles allaient chercher le petit garçon. Les filles se tenaient par la main. La plus jeune tirait son aînée de dix-sept mois la dépassant d’une tête. Leurs visages disparaissaient derrière les masques confectionnés dans l’après-midi et, au bras droit, elles portaient un bracelet en perles de couleur d’inspiration africaine. Elles riaient. Tout à l’heure, dans la voiture, elles pourraient tout aussi bien se battre comme des chiffonniers.
Si les arbres de la forêt semblaient à peine avoir poussé davantage leurs têtes en direction du ciel, si les limaces étaient toujours aussi oranges, la maman de trois, elle, mesurait le temps écoulé qui ne reviendrait jamais en regardant sautiller ses deux grandes filles. Bientôt six ans qu’elle conduisait pour la toute première fois son aînée sur ce sentier menant au centre aéré. La seconde les accompagnait. Agée d’un peu plus de dix-huit mois, elle devait être dans les bras maternels. Si le cœur et l’esprit de la maman étaient de longue date ouverts à l’idée d’une grande famille, numéro trois n’était pas encore là. Et voilà que numéro trois, du haut de ses quatre ans et demi, était rentré de Corse sachant nager. Pendant une semaine chez sa mamie et son papi, il avait eu tout le loisir d’améliorer sa brasse encore très coulée et de peaufiner ses plongeons. Une nouvelle étape était franchie. Une page se tournait. En rangeant toutes les affaires de plage dans deux grands sacs, la maman avait mis de côté les brassards.
Anne-Lorraine Guillou-Brunner
Merci pour ce recit qui me rappelle les sejours que nous faisions à Propriano pendant 10 ans avec nos enfants…désormais tous kes 2…nous sommes en Ardèche ! Très chaud aussi…
Amitié
catherine