« Dis, maman, pourquoi le premier avril, on peut faire des blagues et pourquoi on accroche des poissons dans le dos ? » . Il n’est pas tout à fait huit heures du matin quand cette question à double entrée fond sur moi. La petite fille qui vient, si innocemment, de me faire prendre conscience d’une lacune importante dans ma culture fondamentale, attend la réponse. Ses grands yeux bleus ne me quittent pas, tandis que sa tartine nappée de Nutella disparaît, totalement, en quelques bouchées. Son jus de fruit a dessiné de belles moustaches rouges orangées au-dessus de sa lèvre supérieure. Je regarde ma tasse de thé comme si elle était remplie de café turc et que j’allais y trouver la réponse dans son marc. Mais, je n’en sais rien. Je n’ai pas même un embryon de réponse à apporter. C’est terrible d’avouer un manque de curiosité aussi flagrant, mais je ne m’étais jamais demandé pourquoi, aux premiers jours du printemps, la tradition voulait qu’on fasse des canulars et que les enfants s’amusent, de la maternelle jusqu’à l’entrée au collège, à accrocher, le plus discrètement possible, des poissons en papier dans le dos de leurs professeurs et de leurs proches. Et pourtant, petite, j’en avais dessiné et découpé des familles entières de poissons arborant le plus beau des sourires et de superbes écailles aux couleurs de l’arc-en-ciel !
Je n’ai jamais menti à mes étudiants quand ils me posaient une colle, je n’allais pas commencer aujourd’hui avec ma propre fille! J’ai connu des professeurs qui préféraient inventer de fausses réponses plutôt que de reconnaître les limites de leurs connaissances. Ils craignaient qu’un aveu de faiblesse ne mette à mal leur statut de « sachant » forcément tout puissant. Ayant systématiquement pris le contre-pied de cette méthode, je n’avais jamais été malmenée dans mon métier, et, au contraire, n’avais été que davantage respectée par mes étudiants auxquels, la semaine suivante, j’avais toujours apporté la réponse à une question qui s’était pourtant déjà perdue dans les méandres de leur mémoire de futurs juristes. En expliquant à ma fille de six ans et demi que je ne savais pas, je ne redoutais donc pas de chuter, brutalement, de mon piédestal parental. Je me contentais juste de lui dire que j’ignorais la réponse et que j’allais me renseigner. Elle n’a pas semblé surprise. Elle a repoussé sa chaise de la table, essuyé moustaches de jus d’orange et îlots de chocolat, fait tomber cinq flocons de nourriture déshydratée à la surface de l’eau du bocal de son poisson rouge, et rejoint sa sœur et son frère qui se balançaient, à qui mieux mieux, dans un hamac guyanais. Dans son bureau ouvert, un papa s’abtrayait autant que possible pour prendre connaissance de ses mails.
Avant de me mettre au travail, j’ai, en quelques cliques de souris, trouvé la réponse à la question posée par ma fille, et ainsi, enrichi mes connaissances relatives aux grands moments marquant notre année civile. Mes recherches m’ont renvoyée quelques siècles en arrière, et plus précisément, en plein milieu du seizième siècle. Quitte à voyager à cette époque, j’aurais aimé me retrouver à la cour de François premier, et être présentée à Léonard de Vinci, lequel, c’est une évidence, aurait insisté pour me peindre ! Mais, c’est un autre roi de France qui m’attendait, un autre Valois, Charles IX et, avec lui, un royaume de France en proie à la barbarie des guerres de religion. Je ne parvenais toujours pas à faire le lien entre le troisième fils d’Henri II et de Catherine de Médicis et les poissons du premier avril. Charles IX était, dans mes souvenirs d’histoire générale, associé à la paix d’Amboise, au massacre de la Saint Barthélemy, et dans mes souvenirs d’histoire du droit, à la personnalité passionnante de Michel de l’Hospital et à l’édit de Moulins, réglant les successions et déclarant le domaine royal inaliénable.
La plupart des rois de France et des présidents se sont toujours plu à marquer de leur sceau architectural le patrimoine national, Charles IX, lui, avait décidé, de modifier la date de début de l’année civile. C’était en 1564. Il était dans l’Isère, plus précisément, au château de Roussillon. Par l’édit du même nom, il faisait débuter, dans tout le royaume de France, l’année civile le premier janvier à la place du premier avril.
Le nouvel An ne serait plus accompagné par le renouveau flamboyant de la nature. Son front ne serait plus ceint par une guirlande de jonquilles, de violettes et de primevères. Lorsque arriva le premier avril, certaines personnes, en souvenir des étrennes données à cette époque, continuèrent à se faire des petits présents symboliques. Avec le temps, ils se transformèrent en cadeaux pour rire, en farces, et en tours pour piéger ses proches.
J’avais, désormais, une partie de la réponse. Il me restait encore à élucider la question relative aux poissons. Je n’ai pas trouvé une mais plusieurs réponses. Certains pensent que le poisson d’avril est devenu poisson car au début du mois d’avril, la lune sort du signe zodiacal du poisson. D’autres avancent que cette période correspondant à la phase de reproduction des poissons durant laquelle la pêche est interdite, on faisait des farces en offrant des harengs saurs. Enfin, pour certains, l’explication serait d’origine religieuse. Cette période liée à la fin du Carême pendant laquelle la consommation des produits carnés était interdite, on continuait à offrir, après le Carême, des « poissons d’avril ».
Vous, je ne sais pas mais moi j’ai décidé de faire prévaloir l’explication d’origine chrétienne qui me semble la plus logique. J’ignore encore laquelle emportera l’adhésion de ma fille qui, hier soir, m’a parlé de tous ces poissons que ses amis et elle avaient collés dans le dos de leur maîtresse. Avec ou sans explication historique, la tradition est sauve et c’est une chance d’avoir ainsi un jour de l’année dédié aux farces gentilles et aux informations loufoques relayées par de très sérieux organes de presse.
Bonne Pâques !
Anne-Lorraine Guillou-Brunner